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Au Nigeria, le réseau de téléphonie mobile va bloquer les millions d'abonnés qui n'ont pas attesté de leur identité

Afin d'achever la mise en place laborieuse du numéro d'identification nationale, les autorités l'imposent désormais pour ouvrir ou maintenir un compte de téléphone portable. Or, 29 millions d'habitants n'auraient toujours pas cette identification.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Le "computer village" de Lagos, l'incontournable marché du téléphone mobile et de l'ordinateur d'occasion de la capitale économique du Nigeria. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Le 19 janvier s'achevait au Nigeria la période de couplage de son téléphone avec son numéro d'identification nationale (NIN). Pour ceux qui ne détiennent toujours pas ce NIN, la date limite est fixée au 19 février 2021. Tous les frais inhérents à l'opération sont supprimés afin de permettre à tous de s'inscrire. La décision a été prise de mettre de l'ordre dans la procédure d'enregistrement des numéros de téléphone portable. Selon le gouvernement nigérian, "des mesures urgentes et drastiques sont devenues inévitables pour améliorer la transparence et l'intégrité de la procédure".

Lutte contre le terrorisme

Car le téléphone mobile est devenu un enjeu de sécurité. Les autorités placent en premier la menace terroriste, et plus particulièrement Boko Haram, dont les membres profiteraient d'un certain laxisme des opérateurs pour accéder au réseau. Mais il est fort probable que les groupes armés ont d'autres possibilités de se fournir que chez le boutiquier du coin.

Publicité pour MTN, l'opérateur de téléphonie mobile sud-africain, sur un pont de Lagos. L'opérateur a payé une lourde amende en 2015 pour ne pas avoir coupé son réseau à des usagers non-identifiés. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

La remarque vaut également pour la petite et moyenne délinquance, dans un pays devenu leader dans le piratage numérique. Avec le développement de la MobileMoney, les paiements dématérialisés augmentent et la menace d'escroqueries avec. En Afrique, on comptait 396 millions de comptes MobileMoney pour près de 27 milliards de transactions en 2018.

Des failles dans la procédure

L'élément essentiel de la procédure repose sur la fourniture, à l'opérateur, du numéro national d'identité pour mettre à jour l'enregistrement d'un numéro de téléphone. Faute de quoi le téléphone est purement et simplement bloqué. Dans le même temps, aucune nouvelle carte Sim ne peut être attribuée. Les opérateurs au Nigeria – MTN, Airtel ou encore 9mobile  ont fourni les procédures afin que les clients puissent s'enregistrer.

Mais la première brèche est de taille. Bon nombre de Nigérians ne possèdent pas de numéro national d'identification et n'ont donc pas la possibilité de valider leur numéro de portable. Selon le média NCBN, en octobre 2020, le pays comptait 207 millions de lignes mobiles (pour une population estimée à 206 millions d'habitants, selon le gouvernement). Or, seulement 43 millions de Nigérians possédaient un NIN. 164 millions d'usagers se retrouveraient donc potentiellement sans téléphone. A ce jour, ils seraient encore 29 millions dans ce cas.

Un berger Fulani prend en photo son troupeau sur son portable, dans l'Etat de Kaduna, en avril 2019. Au Nigeria, comme dans de nombreux pays d'Afrique, l'usage du téléphone portable est devenu incontournable.  (LUIS TATO / AFP)

Pourtant, la procédure a été lancée en 2010 afin de créer une base nationale et mettre un terme aux fraudes sur l'identité. Mais l'affaire a pris du retard, multipliant les bugs. Fin 2019, le service espérait enfin atteindre les derniers 70 millions de Nigérians sans NIN. Ce n'est toujours pas le cas. Ajoutons que la procédure est laborieuse : il faut d'abord commencer par une inscription dans un bureau dédié pour une prise de photo et d'empreintes avant de la conclure "online". De quoi en rebuter certains.

Pas de nouvelles cartes Sim

La seconde faille réside dans l'interdiction faite aux opérateurs de délivrer de nouvelles cartes Sim. En cas de perte, de panne ou de vol, le client se retrouve sans connexion.

Un professeur de l'université de Lagos a raconté son infortune au Guardian. Lors d'une agression, les malfaiteurs lui volent son portable. Malgré un dépôt de plainte, ses deux fournisseurs d'accès lui refusent l'obtention d'une nouvelle carte. Il lui faut attendre février et la fin de la procédure. "Je n'ai plus accès à mes comptes bancaires, à Facebook, à WhatsApp", dit-il.

Sur Twitter, les témoignages de victimes de vols ou d'incidents se multiplient. Les opérateurs sont les premiers à recevoir les doléances des clients qui ne comprennent pas le refus qui leur est opposé de fournir une nouvelle carte. Visiblement, ils semblent peu au courant de la procédure.

Dépendance au mobile

L'affaire met en évidence la dépendance du Nigeria, comme tous les pays d'Afrique, au téléphone mobile. La puce Sim est en fait pour beaucoup l'unique lien avec le monde numérique. "La migration vers l'économie digitale se fait grâce aux cartes Sim", explique Olusola Teniola, coordinateur d'Alliance for Affordable Internet (A4AI), une ONG qui milite pour un accès bon marché au réseau.

L'usage du téléphone mobile dans le pays n'est pas qu'une commodité. Il est aussi le moteur du développement économique.

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