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Des ramasseurs de tomates africains surexploités dans le sud de l’Italie
Des centaines de travailleurs agricoles, surtout africains, ont délaissé le 8 août 2018 les champs de tomates de la région de Foggia (sud-est de l’Italie) pour réclamer plus de respect après la mort de 16 d'entre eux dans deux accidents de la route. Ils ne veulent plus travailler comme «des esclaves» dans l’empire de la production de tomate, appelée aussi l’«or rouge».
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«Plus jamais des esclaves», ont scandé les manifestants en parcourant la plaine de Foggia. Une région où pendant l’été, des milliers d'ouvriers agricoles africains, mais aussi polonais, bulgares, roumains ou même indiens, ramassent les tomates sous un soleil de plomb. «On compte plus de 50.000 journaliers dans la région de Foggia pendant la saison de la récolte», rapporte le New York Times. Selon le syndicat CGIL, cité par L'Obs, ils seraient au moins 400.000, «dont plus de 150.000 ne seraient pas déclarés et donc pas protégés».
Ces ramasseurs de tomates «sont quasiment tous en situation régulière, avec un permis de séjour ou une demande d'asile en cours d'examen», selon l'AFP. Mais ils «bénéficient rarement des conditions de travail et de rémunération requises par la loi». «Si certains ont un contrat de travail, ils n'ont quasiment jamais de fiche de paie», poursuit l'AFP. Beaucoup sont obligés de s'en remettre à des intermédiaires, souvent mafieux, pour se rendre sur les exploitations. Et ils sont souvent contraints de loger dans des squats ou des bidonvilles en rase campagne.
Selon la correspondante de L'Obs en Italie, Marcelle Padovani, les 16 victimes étaient des «travailleurs clandestins», que la journaliste qualifie d'«esclaves modernes». Et de citer l'écrivain Giancarlo De Cataldo: «Seule leur mort nous oblige à prendre conscience de l'existence de ces nouveaux esclaves».
10 heures par jour pour quelques dizaines d’euros
«Je travaille 8 à 10 heures par jour pour 30 euros, avec seulement 30 minutes de pause à midi, et je dois encore verser 5 euros chaque jour pour le transport», dénonce un Malien de 22 ans cité par l’AFP. D’autres sources, comme franceinfo, font état de beaucoup moins : «20 euros en moyenne». En principe, le salaire minimum dans l'agriculture italienne s'élève à 48 euros brut pour des journées de 7 heures maximum.
Les étés de ces dernières années ont été marqués par la mort, dans les champs, de plusieurs ouvriers agricoles italiens ou étrangers.
Cette année, en 2018, c'est la question du transport qui a fait la une des journaux. Le 4 août, puis le surlendemain 6 août, deux fourgonnettes, qui ramenaient des saisonniers à la fin de la journée de travail, sont entrées en collision frontale avec des camions de tomates. Bilan : 16 morts et 4 blessés graves. Tous originaire d'Afrique noire à l'exception du conducteur marocain de la seconde fourgonnette. 14 saisonniers étaient transportés dans ce véhicule à l’origine équipé de neuf sièges.
Les conditions de transport de ces ouvriers, entassés dans des camionnettes, sont dénoncées depuis des années. Les migrants et ceux qui les défendent demandent la mise en place d’un système public de transport. «L’absence d’un tel système contraint (les saisonniers) à voyager comme des animaux», dénonce un syndicaliste italien cité par le New York Times.
«Gestion par des groupes mafieux»
Pour sa part, la Coldiretti, le principal syndicat agricole cité par l’AFP, dénonce les pressions du marché. Selon cette organisation, dans une bouteille de coulis de tomates vendue 1,30 euro dans les supermarchés italiens, la tomate représente 8% du prix du produit. Contre 10% pour le récipient, 18% pour le traitement industriel. Et 53% pour la distribution. La CGIL évalue à 4,8 milliards le bénéfice engendré par l'activité.
Le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini (extrême droite), connu pour ses positions anti-immigrés, a rencontré les autorités et des représentants des ouvriers agricoles. Il a promis une multiplication des contrôles. «C'est un problème de mafia. Dans la province de Foggia, il y a une criminalité mafieuse que j'ai l'intention d'éradiquer (…) par tous les moyens légaux», a-t-il affirmé.
Les enquêtes autour de la main-d'œuvre agricole révèlent «parfois une gestion par des groupes mafieux», a confirmé le procureur de Foggia. «Pour l'instant», il n’y a «pas d'élément allant dans ce sens» dans l'enquête sur les deux accidents de la route mortels, a-t-il précisé.
Déjà en 2006…
En 2006, les autorités italiennes avaient déjà démantelé, dans la région de Foggia, «un véritable réseau d’esclavage, géré par la mafia polonaise», avec «camps de travail, barbelés, (…) et passages à tabac», avait alors rapporté Le Monde. Sans parler de morts suspectes.
Tous les saisonniers rencontrés par le journal français parlaient de «capos». Dans cette région de grands domaines, les propriétaires ne traitent pas directement avec la main d’œuvre. Et font appel à des intermédiaires. «De tout temps, ce sont les caporali qui recrutent les journaliers, les véhiculent dans les champs, organisent leur travail, les paient, avant de les raccompagner le soir chez eux. Ce système est la plaie endémique d'une agriculture fondée sur le travail au noir. Mais avec la disparition des saisonniers italiens, remplacés par des clandestins, les méthodes des nouveaux "capos" ont dérivé vers la violence et la coercition», ajoutait Le Monde.
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