Toutankhamon à Paris, le VRP en or du tourisme égyptien auprès des Français
Comme en 1967, Toutankhamon s’affiche dans la capitale française. En l'occurrence à la Villette, du 23 mars au 22 septembre 2019. L'exposition connaît un tel succès (800 000 visiteurs début juin) qu'elle pourrait battre un record de fréquentation.
Toutankhamon est donc présent dans la capitale française. En l'occurrence à la Grande Halle de la Villette depuis le 23 mars. L'exposition devait se terminer le 15 septembre. Elle a été prolongée d'une semaine et s'achèvera finalement le 22 septembre. Venu de Los Angeles, le pharaon continuera ensuite sa tournée de cinq ans à Londres, Sydney et dans six autres villes.
Au-delà de son aspect culturel, l’exposition permet à l’Egypte de réaliser une opération de charme auprès des touristes occidentaux.
Il y a 52 ans, Toutankhamon était accueilli dans la capitale française avec la majesté et les mesures de sécurité qui siéent à un pharaon de la Haute et de la Basse-Egypte. Par une nuit de janvier, il avait été escorté "par une escouade de motards, de CRS, de pompiers et de policiers en civil depuis l’aéroport du Bourget" jusqu’au Petit-Palais, raconte Le Monde.
L’exposition, qui accueillait alors le fameux et somptueux masque d’or contrairement à 2019, est un événement national. Elle symbolise les bonnes relations retrouvées entre la France et l’Egypte après le fiasco de Suez. Les Français ont tendance à croire qu’ils sont les premiers à recevoir les splendeurs du pharaon. En fait, ils ont été précédés par les Américains et les Japonais… Même si le masque n’avait effectivement jamais quitté les rives du Nil avant d’arriver sur les bords de la Seine !
L’affaire avait été initiée par Christiane Desroches-Noblecourt, papesse de l’égyptologie en France et conservateure des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre. Laquelle avait effectué près d’une centaine d’allers et retours entre Paris et Le Caire pour monter l’exposition. A cette époque, sous l’impulsion du président Gamal Abdel Nasser, l’Egypte entend construire un barrage à Assouan. Lequel risque d’entraîner une destruction des temples nubiens, notamment celui d’Abou Simbel.
"Est-ce que vous avez été habilité ?"
Christiane Desroches-Noblecourt va se démener pour les monuments antiques de Nubie en se livrant à une sorte d’opération de troc. Elle propose aux autorités égyptiennes une exposition à Paris sur Toutankhamon et, de son propre chef, "promet que les recettes de la manifestation alimenteront le fonds de sauvegarde" des temples, raconte Le Monde. Elle suggère que Paris participe au sauvetage de celui d’Amada.
N'ayant pas été habilitée à parler au nom des autorités françaises, cette ancienne résistante au caractère bien trempé demande alors un entretien à l’Elysée avec Charles de Gaulle. Entretien qu’elle a elle-même raconté. Le chef de l’Etat lui reproche d’avoir "osé" faire de telles déclarations. A la fois déférente et insolente, elle n’hésite pas à lancer : "Général, vous qui êtes notre gloire, quand vous avez parlé à la radio le 18 juin (1940), est-ce que vous avez été habilité par Pétain, ou pas ?" Et l’égyptologue de préciser : "Il m’a regardée. (…) Il s’est mis à rigoler. Il m’a dit : ‘Vous avez gagné.’ Et il m’a aidée."
Enorme succès
L’exposition du Petit Palais sera un énorme succès : elle accueillera 1,24 million de visiteurs, record inégalé jusqu’à aujourd’hui. Les bénéfices (près de 3 millions de francs de l’époque) seront versés de préférence à l’Unesco, en charge du sauvetage des temples, plutôt qu’aux autorités égyptiennes. Méfiance, méfiance…
Cinquante-deux ans plus tard, les expositions prévues de par le monde devraient, elles aussi, connaître un grand succès. Près de 700 000 personnes ont ainsi visité celle de Los Angeles, ce qui va générer d'importantes recettes, lesquelles devraient notamment contribuer à financer le futur Grand musée égyptien, en cours de construction près des pyramides de Gizeh.
Ce que la tournée mondiale de 150 pièces issues de la tombe de Toutankhamon doit rapporter "est dérisoire par rapport à ce que nous payons pour le Grand musée. Ce que nous attendons d’une exposition pareille, c’est ce que nous dépensons pour ce Grand musée par mois", a affirmé le nouveau ministre des Antiquités égyptiennes, Khaled el-Anany, interrogé sur la manne financière de cette tournée lors de sa venue à La Villette le 21 mars 2019.
Le budget du chantier de Gizeh s’élevant à un milliard de dollars, on peut ainsi penser que les différentes expositions organisées de par le monde rapporteront quelque 83 millions de dollars (1 milliard divisé par 12 mois). Ce qui peut paraître assez peu, quand on sait que le prix du billet pour l’exposition en France est de 22 euros. Et qu’elle sera vue par des millions de personnes. Sans compter l’apport des (très nombreux) produits dérivés.
Rappelant le succès de celle de 1967, le ministre a ajouté : "On espère qu'elle va donner envie aux Français de retourner en masse en Egypte."
Toutankhamon, un "porte-parole" du tourisme
La manifestation a ainsi pour but affiché de redorer le blason du pays, terni par les troubles politiques depuis 2011, les attentats islamistes et la prise du pouvoir par Abdel Fattah al-Sissi qui a instauré un régime musclé. "Toutankhamon, c’est un porte-parole qui a pour but de s’adresser aux touristes, grâce à l’engouement des médias et de leur dire : ‘Revenez pour découvrir une civilisation fascinante’", explique un égyptologue français, qui ne tient pas à être cité. Mais pour lui, s’il s’agit de faire revenir les touristes, cela ne se fait pas au détriment du patrimoine antique.
Avant le renversement d’Hosni Moubarak en 2011, "on avait affaire à un tourisme de masse : les touristes arrivaient par charter entier, les cars défilaient, les bateaux s’empilaient sur le Nil. Les groupes se succédaient de manière industrielle sur les sites en un temps record", observe l’égyptologue.
"Là, on assiste à un retour à un tourisme de meilleure qualité : il s’agit de faire revenir les étrangers sans négliger le patrimoine. Alors qu’ils avaient accumulé un certain retard, les Egyptiens entendent le développer dans le standard de ce qui se fait au niveau international. Ils ne négligent pas les éléments scientifiques, leur service des antiquités fonctionne. Ils veulent développer les sites, mais sans doute de manière moins Walt Disney qu’avant", poursuit-il.
De fait, les projets culturels et patrimoniaux sont nombreux. "On va ouvrir dans les mois qui viennent la synagogue d'Alexandrie, le musée gréco-romain d'Alexandrie, le palais du Baron Empain au Caire, un énorme projet de valorisation du plateau de Gizeh, la vue du Sphinx à Louxor, un musée à Charm-el-cheikh, un musée à Hurghada", énumère Khaled el-Enany. Le ministre égyptien chiffre à 150 millions d'euros par an le budget de l'Etat pour la réalisation de ces différents projets.
Image de marque
Pour assurer ce développement, les autorités du Caire ont donc besoin d’argent. D’autant que depuis 2011, l’activité touristique s’est effondrée. Avant la chute de Moubarak, celle-ci rapportait quelque 12 milliards par an. Des revenus divisés par quatre en 2016-2017. "L’une des grandes préoccupations des autorités a donc été de faire revenir les visiteurs. Nous, archéologues, l’avons bien senti. Dans les années qui ont suivi 2013 (et le coup d’Etat de l’armée contre le président Mohamed Morsi), quand nous parlions projets avec nos interlocuteurs, ils nous demandaient si ceux-ci étaient susceptibles de faire revenir les étrangers", se souvient l’égyptologue.
On peut penser que le régime de Sissi, qui exerce une "répression sans précédent" selon Amnesty International, a aussi entamé avec Toutankhamon une offensive diplomatique pour améliorer son image de marque à l’extérieur. "Les Egyptiens sont très sensibles à celle-ci et font d’énormes efforts pour être estimés", observe l’égyptologue.
La politique de l’actuel pouvoir ne risque-t-elle pas d’entraver ces efforts ? "De fait, l’Egypte n’est pas le paradis des droits de l’Homme. Mais il faut dire que l’armée a restauré une certaine stabilité dans un Proche-Orient à feu et à sang, et une certaine sécurité après les attentats. C’est fondamental. Mes collègues égyptiens préfèrent cela pour le développement de leurs activités", poursuit le scientifique français. Pour autant, il convient de préciser que la situation n’est pas totalement stabilisée… Des attaques ont ainsi encore visé des étrangers en décembre 2018.
L’intervention du secteur privé
Autre question : l’organisation de l’exposition parisienne par un groupe privé, l’américain IMG. En 1967, la manifestation était patronnée par les Etats. En 2019, "il s’agit d’un projet du Service égyptien des antiquités, mené à bien par une compagnie privée dans le but de rapporter de l’argent", explique Dominique Farout, conseiller scientifique de la manifestation parisienne cité par Le Monde. Petit signe qui ne trompe pas : IMG a coproduit le catalogue de la manifestation, signé de Zahi Hawass, le très médiatique archéologue égyptien au chapeau de brousse.
Qu’en pense l’égyptologue français ? "Le financement par ces grandes sociétés privées est lié au fonctionnement des Etats qui n’ont plus d’argent. On retrouve cette problématique dans de nombreux secteurs, du montage d’une pièce de théâtre à l’organisation d’un chantier de fouilles. Nous autres, chercheurs, nous sommes contraints de nous aligner sur nos collègues anglo-saxons, qui eux ont une culture du parrainage. On passe parfois plus de temps à chercher de l’argent qu’à mener nos travaux !" Et de conclure : "Je ne pense pas qu’un financement privé ait une influence sur la qualité" des travaux archéologiques.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.