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«Peintures des lointains», peintures de l’Afrique coloniale
Le musée du quai Branly propose, jusqu’au 6 janvier 2019, une exposition de quelque 200 tableaux, intitulée «Peintures des lointains». Peintures réalisées entre la fin du XVIIIe et le milieu du XXe. L’exposition interroge le regard alors porté en France sur les pays lointains, notamment africains, progressivement colonisés. Une réflexion sur la notion d’exotisme. Et les préjugés de l’époque.
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«Les 200 œuvres présentées proviennent du fonds graphique du musée, inauguré en 2006», explique Sarah Ligner, responsable de l’unité patrimoniale Mondialisation historique et contemporaine de l’établissement et commissaire de l’exposition. Une collection méconnue.
Objectif : «Raconter la rencontre des artistes européens avec l’autre et l’ailleurs, en interrogeant la notion d’exotisme», résume Sarah Ligner. Exotisme? Un terme qui vient d’un mot grec signifiant «étranger». «Cette notion exprime une fascination pour des paysages, une nature différente, une lumière intense, des espèces végétales inconnues. Il en ressort des motifs, fantasmés et idéalisés, qui traduisent un décalage avec la réalité», précise-t-elle. L’exaltation de la couleur, celle de de la lumière servent ainsi les rêves d’un Orient de luxe et de volupté que sont, aux yeux des peintres, l’Egypte, le Maghreb, l’Afrique subsaharienne... Par la suite, ces représentations passeront par un regard plus réaliste, plus attentif aux individus. Notamment grâce à l’émergence de l’ethnographie.
Papier peint
Littérairement, la fin du XVIIIe siècle est marquée par la publication du fameux roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1788). Un roman que l’auteur situe à l’île de France (aujourd’hui île Maurice), et qui inspirera nombre de productions graphiques tout au long du XIXe. On verra même du… papier peint à l’effigie des deux jeunes gens.
A la même période, on assiste à une intensification des voyages de navigateurs français et britanniques dans l’océan Pacifique, tels Louis-Antoine de Bougainville. Ils embarquent des scientifiques, mais aussi des artistes chargés de représenter les paysages et les habitants des contrées «découvertes». Bougainville donne volontiers dans la métaphore paradisiaque, parlant de Tahiti comme un «jardin d’Eden». Par la suite, les peintres accompagnent les militaires dans la conquête des terres lointaines, comme Horace Vernet en Algérie dans les années 1830. Horace Vernet à qui le roi Louis-Philippe a passé commande de nombreuses toiles pour glorifier l’action guerrière de la France dans sa colonie nord-africaine.
Les voyages d’artistes sur le terrain vont aller en s’intensifiant. «Ces voyages leur offrent la perspective de renouveler leurs thèmes de création, tout en tournant le dos à l’Occident», souligne la commissaire. En quête d’un âge d’or, Paul Gauguin part en Océanie. Son ami Emile Bernard (les deux hommes se brouilleront par la suite) s’en ira en Egypte.
Mais la peinture n’est pas qu’une aventure individuelle. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’expansion coloniale s’accélère. En 1885, à la conférence de Berlin, les pays européens se partagent l’Afrique. L’art se met alors à refléter la «pacification» et l’exploitation économique des territoires lointains. Avec la vogue des théories évolutionnistes, les milieux scientifiques européens établissent une hiérarchie des «races» et des êtres humains, des plus «sauvages» aux plus «civilisés».
Propagande
Le mythe de l’explorateur devient à la mode, comme le montrent les représentations de Pierre Savorgnan de Brazza, jeune et beau, en aventurier, en administrateur... On trouve alors ce qu’on appellerait aujourd’hui des produits dérivés. «Comme par exemple un savon des explorateurs!», raconte Sarah Ligner en riant.
Dans la première moitié du XXe, les autorités encouragent les séjours d’artistes français dans les colonies. On leur accorde des bourses qui leur permettent de découvrir ces pays lointains. En retour, les lauréats s’engagent à enseigner dans des écoles de beaux-arts qui y sont créées. Les non-Occidentaux apprennent ainsi à se représenter à travers le prisme de l’influence européenne.
Dans les années 30, l’art pictural devient un instrument de propagande, notamment à l’occasion des expositions internationales destinées à montrer la grandeur de l’Empire colonial français, comme celle de Paris en 1932. C’est ce qu'expriment les grandes fresques de Géo Michel. Là, les scènes prennent «des allures d’étals de marché» de toutes les richesses coloniales, explique un cartel. Comme s'il y avait «échanges entre la métropole et les colonies», souligne Sarah Ligner. On y voit des «indigènes», l’air affairé et tranquille, en train d’extraire (écrits sur le tableau en lettres d’or!) du chrome, de la houille… Une vision de la réalité édulcorée et mensongère, comme l’ont dénoncé les écrits d’Albert Londres ou d’André Gide.
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