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Maroc: un siècle de patrimoine végétal et urbain vu par la paysagiste Mounia Bennani

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min

Dans le livre "Villes-paysages du Maroc: Rabat, Marrakech, Meknès, Fès, Casablanca" (La Découverte), signé Mounia Bennani, se côtoient d’innombrables plans historiques, dessins et photographies d'un incomparable patimoine.

Cette iconographie exceptionnelle accompagnée d’un texte érudit, lève le voile sur ce patrimoine végétal qui marquera définitivement l’urbanisme et le paysage du royaume chérifien.

A la fin du XIXe siècle, l’Américain Frederick Law Olmsted, les Britanniques Ebenezer Howard et Raymond Unwin ou le Français Tony Garnier sont des pionniers. Architectes et paysagistes, ils sont les premiers à avoir pensé l’aménagement moderne des grandes villes en y incluant la nature. Et comment imbriquer parcs, ceintures de verdure, jardins et espaces vides au cœur et autour des villes.

Entre 1912 et 1956, le Maroc est alors sous protectorat français. "Les colonies vont apparaître comme des laboratoires d’expérimentation privilégiés (…) et l’occasion pour la France de mettre en pratique les plans d’aménagement et le concept de système de parcs restés sans application en métropole."

C’est dans ce contexte que les plans vont être pensés pour l’aménagement et l’extension des villes. L’urbanisme végétal est au cœur de la réflexion des principaux artisans dans la création des villes-paysages marocaines. Celles-ci doivent être modernes, aérées, où une nature domptée et un art des jardins tiennent un rôle primordial.

L’urbaniste et paysagiste français, Jean Claude Nicolas Forestier (1861-1930), théorisa le concept de système de parcs au sein des villes en 1906. Puis en 1913, au terme de sa mission, il proposa à Hubert Lyautey (1854-1934), premier résident général du protectorat français au Maroc, de faire appel à l’architecte et urbaniste Henri Prost (1874-1959) pour concevoir les plans d’aménagement des nouvelles villes et mettre en œuvre ses concepts de planification paysagère.

Pour Lyautey, la colonisation algérienne est synonyme d’asservissement et d’humiliation, "le musée des horreurs, le modèle à ne pas suivre".

"Avec le protectorat marocain, il allait faire naître un ‘’contre-modèle français original’’ et construire ainsi une nouvelle image de l’œuvre coloniale." C’était d’abord "une œuvre de pacification, celle qui crée, qui développe, celle qui humanise, autrement dit une œuvre constructrice et non destructrice. (…) Au Maroc, les concepteurs cherchent davantage à créer des jardins qui reflètent non plus comme dans les autres colonies le pouvoir colonial – sauf dans le cas particulier de Rabat –, mais la modernité et le progrès ancrés dans la tradition."

Un siècle après sa création, ce patrimoine végétal urbain représente un héritage culturel extraordinaire et suscite un intérêt croissant des autorités, des habitants et des touristes. Nombre de ces réalisations sont classées comme monuments historiques.

Mais l’auteur Mounia Bennani ajoute: "On doit (aussi) prendre en compte tous les espaces non construits que la ville ne cesse de convoiter, notamment les forêts, les bois, les vallées, les points de vue remarquables, les places, les ronds-points, ainsi que l’ensemble des réserves d’espaces libres et tous les vides qui assurent la lisibilité du paysage urbain. Ce sont ces espaces et ces grands vides qui font aujourd’hui la beauté et l’identité de chacune de nos villes marocaines. Notre devoir est de les préserver et de les pérenniser pour le bien des générations futures."

Diplômée de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles et de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Mounia Bennani a fondé à Rabat en 2006 sa propre agence MBpaysage. Elle milite en faveur d’espaces publics de qualité et pour l’amélioration du cadre de vie au Maroc et a fondé, en décembre 2010, l’Association des architectes-paysagistes du Maroc, première association regroupant les professionnels de l’architecture du paysage au Maghreb, reconnue par l’IFLA (International Federation of Landscape Architects).

Franceinfo Afrique vous propose de découvrir en 15 photos quelques extraits de ce livre.

en reprenant la composition quadrillée, les systèmes de terrasses et d’irrigation (seguias, norias, bassins, fontaines, etc.), la disposition en saillie des allées, la palette végétale (plantes odorantes et fruitiers) ainsi que la tradition des céramiques colorées (azulejos en Espagne ou zelliges au Maroc). (…) Avec le Maroc, il allait approfondir sa connaissance de la culture islamique et du milieu méditerranéen et inventer ainsi le vocabulaire d’un nouveau jardin méditerranéen qu’il allait nommer ‘’jardin du climat de l’oranger’’. Ce jardin servira de référence clé aux jardins art déco des années 1920-1930.»
  (Mounia Bennani)
Lyautey ordonna que soient protégés et sauvegardés l’aspect des médinas, leur caractère originel et pittoresque, en somme tout ce qui faisait leur identité: les remparts, le labyrinthe de ruelles étroites et sinueuses, l’architecture en toits terrasses, les mosquées, les monuments historiques en général. Un Service spécial des Beaux-Arts et des monuments historiques fut créé à Rabat à cet effet. (…) L’aménagement des nouvelles villes marocaines fut une réponse au discours politique du protectorat. Lyautey instaura une doctrine urbaine tout à fait nouvelle. Il imposa la séparation complète de la médina et de la nouvelle cité européenne pour des raisons essentiellement esthétiques, sanitaires et économiques, mais aussi par respect des mœurs et des traditions locales, le tout pour appliquer des règles strictes d’urbanisme aux nouvelles agglomérations.»
  ( Fonds Prost. Académie d’architecture/Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du XXe siècle)
en juillet 1914, capitale du Maroc et siège du protectorat français, Rabat possédait tous les atouts de la ville moderne idéale: sa position géographique à l’embouchure d’un fleuve, son relief contrasté, ses larges horizons, son héritage architectural, ses jardins, ses couleurs, ses lumières. (…) C’est l’une des rares villes modernes au monde à avoir été réellement pensée à partir de son socle géographique : la topographie, les points de vue, l’océan, le fleuve, les anciens jardins et les repères historiques ont servi de support pour orienter le tracé de la ville nouvelle et pour identifier les espaces à préserver et à aménager en parcs, jardins et réserves boisées.» (Mounia Bennani)
l’architecte-paysagiste français, Jean Claude Nicolas Forestier, s’inspira des techniques d’irrigation par immersion utilisées dans les anciens jardins d’Espagne et du Maroc. Alliant l’esthétique à la fonction, il concentra les ouvrages d’irrigation le long de l’axe central ; l’eau fut ainsi placée au cœur de la composition, pour jouer le rôle de colonne vertébrale du jardin. Afin d’assurer l’arrosage de toutes les parties du jardin, Forestier avait prévu un point d’eau à chaque terrasse.» (Guy Thimel)
de classement du ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement, de l’Urbanisme et de l’Habitat, le 16 octobre 2000, le jardin du Belvédère a été classé monument historique le 16 décembre 2003.» (MBpaysage)
au sommet du secteur des jardins, près du palais impérial, dans le quartier dit des Touargas. Tout plaidait en faveur de ce choix: les accès directs depuis l’ancienne Résidence et depuis la médina, l’emplacement idéal des habitations entre l’ancienne et la nouvelle Résidence avec une zone d’extension possible dans l’Agdal pour des établissements universitaires. (…) Surtout, Lyautey et Prost avaient été particulièrement séduits par le panorama que l’on pouvait admirer depuis ce point de Rabat. (Guy Thimel)
Sans doute l’œuvre la plus importante du paysagiste, ce jardin est aujourd’hui l’un des plus représentatifs des parcs urbains du protectorat. Sa position stratégique, en limite des quartiers européens et de la médina, en fait un maillon clé du système de parcs de la capitale et un élément structurant de la trame géométrique de la nouvelle ville.» (Guy Thimel)
est aujourd’hui le jardin de Rabat le plus visité par les touristes, mais également par les Rabatis. Plusieurs raisons expliquent cet engouement: son emplacement, à l’intérieur même des remparts de la casbah, en belvédère sur l’embouchure du Bouregreg et sur la ville, mais aussi sa composition, illustration parfaite des riads traditionnels marocains. Enfermé dans ses hautes murailles crénelées datant du règne de Moulay Rachid et de l’époque almohade, ponctué de bastions et d’une tour que relie un chemin de ronde, le jardin occupe une superficie de presque un hectare.» (Guy Thimel)
le site du Chellah est le premier jardin public réaménagé par le protectorat. Le site se compose d’une cité antique sur environ 4 hectares et d’un ensemble funéraire mérinide. La trame urbaine de la cité maurétanienne est encore lisible aujourd’hui. Bien que situé en dehors de la trame urbaine de la nouvelle ville, le site du Chellah fut réaménagé en jardin public au début du protectorat. Depuis 2012, le site du Chellah est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.» (Guy Thimel)
des réserves boisées furent créées pour ceinturer les premiers noyaux de la ville nouvelle. Le premier boisement, le bois Omar Ibn Khattab (ancien bois de l’Agdal), fut planté dès l’aménagement de la foire de 1917. (…) Pour que la capitale honore pleinement son statut exemplaire de ville-jardin saine et équilibrée, il fallait offrir à ses habitants des espaces de loisirs et d’activités de plein air, nécessaires à leur bien-être moral et physique. Dans ses esquisses, Prost multiplie les projets de terrains de sport à l’intérieur des jardins publics (Nouzhat Hassan), intégrés au sein des réserves boisées (stade du Belvédère) ou à l’extérieur de la ville, comme le champ de courses, déjà projeté dans le plan d’aménagement de 1915.» (Guy Thimel)
l’avenue Mohammed V (anciennement avenue Dar el-Maghzen et cours Lyautey) part de l’enceinte andalouse, s’élargit ensuite dans sa partie supérieure à partir de la poste, puis se prolonge jusqu’à la mosquée Es-Sounna. L’ensemble de l’avenue se déroule ainsi sur près de un kilomètre. (…) Pour compléter le système de parcs, un réseau combinant voies larges et rues étroites fut planifié afin d’offrir des promenades ombragées continues entre les différents espaces libres et les différents quartiers. Les profils des diverses voies publiques ont été étudiés en fonction de leur destination. Selon les directives de Prost, les plantations et les portiques furent à la base de l’aménagement des grandes artères. À l’échelle des quartiers, pour des raisons d’agrément, de confort et de salubrité, les rues durent obéir à des servitudes de reculement.»
  (Guy Thimel)
Marrakech possédait déjà tous les atouts d’une ville-paysage moderne idéale avec ses jardins historiques, son immense palmeraie, un réseau hydrographique ancestral et ses magnifiques vues sur les montagnes du Haut Atlas. Contrairement à Rabat, l’action urbanistique du protectorat s’est limitée à préserver le patrimoine paysager existant et à l’intégrer dans la planification des nouveaux quartiers européens. (…) Le jardin de la Ménara et celui de l’Agdal furent les principaux jardins fréquentés par les touristes. Dès l’installation des troupes françaises à Marrakech, ces jardins furent conservés, tout comme la palmeraie, où fut aménagée une piste de promenade. Les colons voyaient là un patrimoine historique d’une grande valeur urbanistique et touristique. Il s’agissait de préserver et d’intégrer ces immenses réservoirs d’espaces libres dans la planification de la nouvelle ville.» (Mahdi Messouli)
 ne laisse qu’un texte de quelques lignes sur Meknès, sans plans ni dessins. Il semble qu’il n’ait jamais reçu les documents graphiques nécessaires pour identifier les réserves à prévoir pour l’aménagement de la future ville européenne. Comme pour les autres villes impériales, Forestier recommande la conservation des jardins existants et leur intégration aux nouvelles constructions, en privilégiant notamment la création de pavillons de jardins, éléments architectoniques caractéristiques des jardins marocains. (…) La Vallée heureuse représente aujourd’hui un patrimoine naturel, paysager et culturel d’une valeur exceptionnelle pour Meknès et unique au Maroc. Sa réhabilitation et son réaménagement s’imposent.» (Guy Thimel)
les Français découvrent une médina formée de deux tissus urbains: Fès el-Bali (Fès l’ancienne) et Fès ej-Jedid (Fès la Neuve), une enceinte particulière entourant chaque tissu. La densité du tissu urbain, ajoutée à une topographie très accidentée par la présence de l’oued Fès et de ses affluents, qui ont creusé de nombreuses vallées et ravins assez profonds, rendait difficile la lisibilité des deux cités. (…) Située sur l’oued Fès, non loin de son confluent avec l’oued Sebou, la ville ancienne culmine à près de 370 mètres d’altitude. Les deux tissus urbains qui forment la médina épousent parfaitement les contours du relief: la vieille cité, Fès el-Bali, épouse le relief jusqu’au fond de la vallée de l’oued Fès et la seconde cité, Fès ej-Jedid, s’étend sur le plateau, à l’ouest, au-dessus de la première agglomération. L’oued Fès et sa multitude de rivières, de ruisseaux et de sources sillonnent les deux villes.» (Mounia Bennani)
le réaménagement du parc d’attractions Sindibad (2014); l’aménagement (en cours) de la forêt de Bouskoura (près de 3.000 hectares qui constituent l’unique réserve boisée de Casablanca à 14 km du centre-ville); la réalisation (en cours) d’un parc de 40 hectares au cœur d’un quartier-jardin de 360 hectares sur l’ancien site de l’aérodrome d’Anfa; un parc archéologique (en cours) ; le réaménagement du zoo d’Aïn Sebaa ; l’aménagement de la corniche Aïn Diab et de la promenade maritime de la mosquée
Hassan II. Enfin, la réhabilitation de l’ancien vélodrome (années 1920) en un jardin public de proximité.» (Mounia Bennani)

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