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Il y a un millénaire, les Africains envoyaient des girafes... en Chine

L’Afrique et la Chine entretiennent de très anciennes relations, bien antérieures à la colonisation européenne. Elles ont peut-être commencé dès le IIIe siècle de notre ère. Et culminé au XVe siècle avec l’arrivée en Afrique de jonques chinoises longues de 50 à 60 mètres de long. Les Chinois appréciaient particulièrement les girafes. En qui ils voyaient un emblème de la vertu et de l'harmonie!
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une girafe dans le Nairobi National Park, au Kenya, le 12 mai 2017. Un animal très apprécié par les Chinois anciens... (REUTERS - Baz Ratner)
«C’est l’Afrique de l’Est qui a, durant une époque comprise depuis les débuts de l’ère chrétienne jusqu’à la fin du Moyen Age, connu certaines entreprises commerciales et maritimes chinoises», peut-on lire dans un article très complet de la revue sénégalaise Ethiopiques (fondée par Léopold Sédar Senghor), malheureusement assez ancien (1977).

Les premiers Chinois à mettre le pied en terre africaine auraient été des négociants arrivés entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère sous la dynastie des Han. Les relations commerciales, portées sans doute à la fois par des navigateurs chinois et arabes, se sont ensuite développées sur une période millénaire. Ainsi, à l’époque Song (960-1279), «l’importation annuelle en Chine de l’ivoire, de la corne de rhinocéros, des perles, de l’encens et d’autres produits que l’on trouve spécifiquement le long des côtes du Yémen et de l’Afrique Orientale, se montait (vers 1053), à 53.000 unités de compte», aux dires des chroniqueurs de la dynastie de l’époque. Dans le même temps, les Chinois apportent avec eux notamment des porcelaines.

Sur les bords de l'océan Indien, sur l'île de Pemba (archipel de Zanzibar) en Tanzanie en septembre 2011... (REUTERS - Thomas Mukoy)


Porcelaines, animaux, esclaves…
Conséquence : on peut encore voir aujourd’hui sur la côte tanzanienne à Kunducuchi, près de Dar es Salaam, «enchâssés dans des tombes, des bols en porcelaine, dont la datation est incertaine», affirme l’universitaire François Bart dans la revue Cahiers d’Outre-Mer. De nombreuses monnaies chinoises Song, mais aussi Tang (618-907), «ont été trouvées, ainsi que des porcelaines, dans les régions côtières de la Somalie, du Kenya et du Tanganyka ainsi que l’île de Zanzibar», complète Ethiopiques. Des poteries du XIIIe siècle ont également été découvertes dans la province du Limpopo, au nord de l’Afrique du Sud, et des inscriptions en caractères chinois dans la province du Cap, rapporte François Bart.

Apparemment, les échanges concernaient aussi des animaux, tels que girafes (apparemment très appréciées, on y reviendra), autruches (des «oiseaux chameaux» pour les Chinois!), léopards, lions, exportés en Extrême-Orient. Une peinture chinoise montre ainsi une girafe, expliquait à Géopolis en mars 2017 l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, commissaire associée de l’exposition «L’Afrique des routes» au musée du Quai Branly à Paris.

Une autre peinture, du Xe siècle, «montre même un esclave noir à Pékin», précisait Mme Coquery-Vidrovitch. Selon un auteur chinois du XIIe, cité par Ethiopiques«des milliers de Noirs provenant» de Pemba (île de l’archipel de Zanzibar en Tanzanie) ou Madagascar «étaient vendus comme esclaves en Chine». La littérature scientifique (en anglais) sur la question semble rare et datée: sur internet, après moult recherches, on trouve un article daté de 1930 dans une revue de l’Université catholique de Pékin (1930), un autre de 2002 édité par l’Université de Pennsylvanie (Etats-Unis)…

Les expéditions de l’amiral Zhang He
L’apogée des relations sino-africaines avant l’ère moderne remonte à l’ère Ming (1368-1644). Au début du XVe siècle, l’empereur Yongle (ou Yong Lo), signifiant «Joie éternelle», commande à l’amiral Zheng He (parfois aussi appelé Tcheng Ho) une série d’expéditions qui commencent en 1405. Donc avant les premières explorations européennes qui ne débutent que l’année suivante. Le Portugais Vasco de Gama n’atteignant l’Inde qu’en 1498. 
 

Répliques de jonques chinoises sur le lac Tai (est de la Chine) le 26 août 2006. ( AFP - STR )


Les entreprises chinoises sont alors facilitées par «la flottabilité du bambou» (Les Echos). Laquelle «avait permis dès l’Antiquité la construction de radeaux plus souples que les pirogues d’Occident». Dans le même temps, connaissant les phénomènes magnétiques, les Chinois mettent au point «une invention capitale»: la boussole, qui permet à Zheng He de dresser des itinéraires maritimes assez précis.

A en croire les chroniqueurs du temps, les navires du «Fils du ciel» mesuraient 130 mètres de long sur 50 de large. «Interprétation que les experts ont aujourd’hui ramenée aux dimensions plus raisonnables de 50-60 mètres (rappelons que les caravelles de Christophe Colomb atteignaient à peine 30 mètres)», rapporte la journaliste Bernadette Arnaud dans un (excellent) article de la revue Sciences et Avenir«Des moines bouddhistes et des religieux musulmans participaient à ces voyages uniquement faits à la gloire de l’Empereur puisqu’il ne s’agissait pas d’expéditions conquérantes contrairement à celles qui furent lancées par l’Europe», ajoute-t-elle.

La personnalité et la vie de Zhang He, devenu un héros de roman et du théâtre de marionnettes, sont hors du commun. Né en 1371 dans une famille paysanne musulmane, il aurait été castré à l’âge de 13 ans avant d’entrer au service de l’empereur. Il en devient le confident avant d’être nommé «amiral des mers de l’Ouest». Il va alors diriger la plus grande flotte du monde du temps, forte de plusieurs centaines de navires qui auraient emporté près de 30.000 hommes!
 

Image populaire chinoise (1891) (AFP - Photo12)


Ses expéditions l’emmènent à Bornéo, dans le golfe de Thaïlande, en Inde, en Arabie, dans le golfe Persique, en mer Rouge et en Afrique de l’Est. Les navires «étaient chargés de soieries, de céramiques, de produits laqués… qui étaient changés contre des épices, des pierres précieuses, de l’encens, de l’ambre et des animaux africains», rapporte Le Monde. L’intensité des échanges est telle que «les contrées visitées versaient aussi des tributs à l’empereur» de Chine.

Vertueuse et harmonieuse girafe
Les Africains envoient aussi des ambassadeurs, tel le sultan du Malindi, aujourd’hui ville du sud-est du Kenya. Lequel enverra, outre son diplomate, parmi d’autres cadeaux… une girafe (apparemment suivie par d’autres). Un animal apprécié par les Chinois «pour sa démarché jugée harmonieuse» et «sa voix considérée comme musicale», rapporte Ethiopique. Pour eux, le grand mammifère artiodactyle était «l’emblème de la vertu par excellence, du parfait gouvernement et de l’harmonie complète de l’univers». Les ambassadeurs, eux, seront invités à l’inauguration de la Cité interdite en 1420.

En 1424, l'empereur Yongle meurt alors que la Chine est en pleine crise. Premier décret de son successeur de fils, Zhu Gaoxu (Zhu Gaozhi): la suspension des expéditions lointaines. Les ambassadeurs sont renvoyés, les résidents à l’étranger sont rapatriés. Mort au bout d’un an de règne, le nouvel empereur est remplacé par Ming Xuanzong qui fait à nouveau appel à l’amiral eunuque. A 62 ans, celui-ci repart pour une septième et ultime expédition, au cours de laquelle il décède en 1433. Peu à peu, la Chine va se replier sur elle-même, comme elle a en eu le secret tout au long de son histoire. A tel point que les «fils du Ciel» iront jusqu’à interdire la construction de navires de plus de trois mâts. Au moment où l’Europe commence à partir à la conquête du monde. Les relations entre l’empire et l’Afrique vont s’en trouver interrompues pendant plusieurs siècles.
 

Rencontre entre les présidents sénégalais, Macky Sall, et chinois, Xi Jinping, à Hangzhou (est de la Chine) le 2 septembre 2016. (AFP - IWASAKI MINORU)

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