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Affaire Kieffer: «Dès le début de l'enquête, le nom de Simone Gbagbo a été cité»
Le procès de Simone Gbagbo, jugée depuis le 31 mai 2016 notamment pour crimes contre l'humanité, se poursuit en Côte d'Ivoire avec son lot de révélations. Pour la première fois, un témoin a désigné l'ex-première dame comme la commanditaire de l'exécution du journaliste Guy-André Kieffer disparu le 16 avril 2004 en Côte d'Ivoire. Son épouse, Osange Silou Kieffer, réagit à ce témoignage inédit.
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Rappel des faits. Le 16 avril 2004, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer est enlevé sur un parking à Abidjan, la capitale économique de la Côte d'Ivoire, alors qu’il a rendez-vous avec Michel Legré, beau-frère de Simone Gbagbo, épouse de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo. Le journaliste enquêtait, entre autres, sur les malversations dans la filière cacao, l'une des principales ressources de la Côte d'Ivoire. Il aurait été «probablement» exécuté dans les deux jours qui ont suivi son kidnapping.
En France, tout comme en Côte d'Ivoire, une procédure judiciaire a été lancée après sa disparition. L’enquête du juge français Patrick Ramaël a mis en lumière l'implication de Michel Legré dans la disparition du journaliste. Dans ses aveux, le beau-frère de Simone Gbagbo donne l'identité des commanditaires de l'enlèvement, à savoir des personnalités de l'entourage du couple présidentiel et, plus particulièrement, celui de la première dame.
En Côte d'Ivoire, Michel Legré, inculpé pour «enlèvement, séquestration et assassinat», est écroué le 28 mai 2004. En France, il est mis en examen le 21 octobre 2004 par le juge Ramaël pour «enlèvement et séquestration». Cependant, Michel Legré, qui est revenu sur ses aveux depuis, est en liberté provisoire depuis 2005.
«Depuis que le juge Ramaël a été remplacé (il a instruit l'affaire de 2004 à 2013), on a l’impression que l’affaire est enlisée dans les deux pays», déclarait Bernard Kieffer, le frère de Guy-André Kieffer lors d'un entretien accordé au Monde en 2015, après la sortie de son livre Le frère perdu, enquête sur un crime d’Etat au cœur de la Françafrique (La Découverte, 2015), écrit en collaboration avec le journaliste par Benoît Collombat.
Alors qu'elle est jugée pour des crimes commis lors de la crise post-électorale de 2011, l'ancienne première dame ivoirienne Simone Gbagbo a été, pour la première fois le 20 juillet 2016, formellement impliquée dans l’assassinat de votre époux, le journaliste Guy-André Kieffer, par un témoin qui rapporte une conversation. Vous attendiez-vous à une telle révélation, à savoir le nom du commanditaire de l’exécution et la façon dont on a fait disparaître le corps?
Dès le début de l'enquête, le nom de Simone Gbagbo a été cité ainsi que ceux de son garde du corps Anselme Séka Yapo. Il a souvent été avancé qu'elle était à l'origine de l'enlèvement de Guy-André. Elle a été entendu à deux reprises par le juge Patrick Ramaël qui fut en charge du dossier en France pendant dix ans. Ce n'est donc pas une surprise pour nous.
Moïse Metchro Harolde Metch, chef du Groupement des patriotes pour la paix (GPP), l’auteur de ses révélations est-il crédible, selon vous? Son nom avait-il été mentionné dans les précédentes enquêtes qui ont été faites, notamment par le juge Ramaël?
C'est la première fois que nous entendons parler de ce témoin. Ce qui ne veut pas dire que son témoignage n'est pas fiable. Jusqu'à présent, ceux qui se sont manifestés spontanément ne le faisaient pas sans exiger de contreparties. Alors, oui, j'y accorde un certain crédit.
Avez-vous, vous, et vos proches le sentiment de connaître enfin la vérité sur la disparition de votre conjoint?
Il n'y a pas de vérité qui reste cachée éternellement. Nous avons la certitude que nous saurons à moyen ou long terme ce qui a été fait à mon époux. Est-ce ce témoignage qui sera décisif? Il est trop tôt pour le dire. Nous allons en tout cas exploiter cette piste.
En quoi, selon vous, les investigations de Guy-André Kieffer menaçaient-elles tout particulièrement les intérêts de Simone Gbabgo si les allégations de Moïse Metchro Harolde Metch sont confirmées?
Guy-André enquêtait, entre autres, sur les turpitudes dans la filière cacao (la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial de cacao et le secteur, vital pour son économie ivoirienne, a été au centre de plusieurs scandales financiers, NDLR) et il est clair que cela gênait un certain nombre de personnes. Madame Gbagbo en fait-elle partie? Nous allons, avec nos avocats et les juges français et ivoiriens, essayer de le savoir avec précision.
En France, quelles suites judiciaires pourraient avoir cette révélation faite dans le cadre d’une procédure légale en Côte d’Ivoire?
Nous avons porté l'affaire devant les justices française et ivoirienne. Ce qui vient d'être révélé en Côte d'ivoire concerne la partie française autant que l'ivoirienne. Nous allons demander, avec nos avocats français et ivoirien, que ce témoin soit entendu de manière plus systématique, ainsi que celui qu'il cite comme étant son informateur.
Qu’attendez-vous désormais des autorités politiques françaises et ivoiriennes à l’aune de cette révélation?
Ce que nous attendons et demandons depuis douze ans : à savoir ne pas entraver le travail des magistrats et ne pas accorder d'immunité aux responsables.
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