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COP21 : «Les politiques ont la vie des peuples autochtones entre leurs mains»
Les peuples autochtones militent depuis des années pour que leurs droits soient reconnus dans l'accord climat qui se négocie à Paris pendant la COP21. Pour l'heure, ils n'ont pas encore obtenu gain de cause. La Tchadienne Hindou Oumarou Ibrahim, co-présidente du Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques, rappelle combien cette revendication est vitale. Entretien.
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L'article 2, qui traduit les principales revendications de la société civile, est l'un de ceux qui n'a pas fait consensus la première semaine de négociations de la conférence de Paris. Les mentions relatives aux droits humains, aux droits des peuples autochtones, le genre, l'équité et la justice climatique sont restés entre crochets dans le projet d'accord de Paris sur lequel planchent depuis le lundi 7 décembre 2015 les ministres des Etats-parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Vous militez pour la mention des droits des peuples autochtones dans le futur accord climat de Paris. Quelle importance revêt une telle démarche?
Nous voulons qu'une référence soit faite aux droits humains, donc aux droits des peuples autochtones, parce que le changement climatique n'impacte pas que l'environnement. L'être humain est également touché du fait de l'insécurité alimentaire, de l'accaparement des terres, des violations des droits humains dans le cadre des conflits et des migrations. Le droit à l'eau rentre aussi en ligne de compte.Tous ces éléments touchent aux droits humains.
Par ailleurs, si on ne parle pas des droits des peuples autochtones qui ont protégé 80% de la biodiversité du monde, on risque de provoquer les pires catastrophes. S'il n'y a pas de référence aux droits humains, cela signifie qu'au moment de la mise en œuvre de l'accord, les solutions climat ne vont pas respecter les populations et leur environnement. Par exemple, au lieu de faire de l'agro-écologie, les gens vont faire de l'agriculture industrielle. Pour cela, il faut de grands espaces, avoir recours à des ressources hydrauliques souterraines, beaucoup de main d'œuvre...
Tout cela va engendrer des déplacements de population, l'accaparement des terres et de l'insécurité alimentaire. Mais, au contraire, si les droits des peuples autochtones sont préservés, les populations pourront s'opposer ou soutenir les projets environnementaux selon leur impact sur leur mode de vie et leur écosystème.
Pourquoi une simple référence aux droits humains ne suffirait-elle pas à préserver le sort des peuples autochtones?
A cause de la notion des droits collectifs qui est inhérente aux peuples autochtones. Ils utilisent la terre de façon globale. Une parcelle de terre n'appartient pas à un seul individu, mais à l'ensemble de la communauté qui met en œuvre une gestion participative et durable de l'environnement. Nous le protégeons de manière traditionnelle de façon collective et l'environnement nous protège en retour en nous offrant les ressources nécessaires à notre survie.
Qui sont ces peuples autochtones?
Les peuples autochtones sont estimés à 300 - 500 millions de personnes. On en trouve dans chaque région du monde. En Afrique, par exemple, sont considérés comme peuples autochtones les Touaregs qui vivent dans le désert, les Berbères, les Masaï, tous les Pygmées de la forêt en Afrique centrale…
Pour mon compte, j'appartiens à la communauté des Mbororo (Peuls nomades) qui se repartissent entre le Tchad, le Cameroun et la Centrafrique. Dans tous ces pays, nous avons des couloirs de transhumance (de la Centrafrique au fleuve Congo) et des zones de stationnement. Quand je viens avec mon bétail, je reste trois jours puis je cède la place à un autre membre de ma communauté, qui avant de s'installer, doit laisser les ressources se régénérer toutes seules sur l'espace que nous partageons.
Les peuples des forêts fonctionnent de la même manière. Ils ne chassent pas n'importe comment et ne cueillent pas n'importe quoi afin de préserver la biodiversité. Autrement, une espèce végétale ou animale risque de devenir dominante. Ce qui risque de perturber tout l'environnement. Tout le monde reconnaît déjà que les peuples autochtones ont l'expertise pour le préserver. Par conséquent, il est important que ces droits collectifs, qui ont permis de protéger beaucoup de ressources naturelles jusqu'ici, soient aussi reconnus dans l'accord climat.
Si ces droits n'étaient finalement pas mentionnés, serait-ce, pour vous, une condamnation à mort?
Oui, parce que nos droits seront violés et notre environnement détruit. Et ce sera la catastrophe pour tout le monde. L'Europe reçoit des millions d'immigrés mais elle n'en accueille qu'une partie. Et ce n'est pas parce qu'elle est plus riche mais plutôt parce qu'elle est plus proche. Les migrants sont originaires de pays qui se trouvent à proximité du continent européen. Ceux qui sont plus éloignés migrent dans les régions avoisinantes où règnent souvent la pauvreté. Ce qui crée des conflits intercommunautaires et de l'insécurité à l'intérieur des Etats qui n'arrivent pas à y faire face.
Votre sort est à ce jour entre les mains des politiques, ce que vous dénoncez...
Je trouve inéquitable que les politiques aient toujours le dernier mot sur les peuples. Ils ont nos vies dans leurs mains. Après 20 ans de négociations, quand nous avons adopté la déclaration des Nations unies sur le droit des peuples autochtones le 13 septembre 2007 à New York, le Canada a été le premier pays à s'y opposer. Alors qu'il abrite de nombreuses populations autochtones. Ce fut la guerre entre les autorités et ces populations jusqu'à il y a quelques semaines encore.
Le Canada a changé de gouvernement et toute leur politique en matière des peuples autochtones a évolué. Des membres du gouvernement canadien sont issus de ces populations. Les Canadiens sont aujourd'hui les premiers à soutenir les droits des peuples autochtones dans le projet d'accord de Paris. Ce qui confirme bien que ce sont les politiques qui ont droit de vie ou de mort sur nous.
C'est injuste car ils sont seulement une poignée comparée à nous, le peuple. Mais si à Paris, ils ne prennent pas la bonne décision, ils seront responsables de la destruction de la planète. Ce serait dommage pour l'humanité car il s'agit de la survie de notre planète pour assurer celle de l'espèce humaine, animale et végétale.
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