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Chibanis: «Paris la blanche» ou l'épilogue d'un déracinement

Le destin peu enviable des chibanis, ces travailleurs immigrés qui sont souvent obligés de finir leurs jours en France loin de leur pays et de leur famille, est porté à l'écran dans «Paris la blanche». Une réflexion sur l'exil et l'immigration signé Lidia Leber Terki.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min

«A ceux qui cherchent l'espoir par-dessus les mers.» Pour son premier long métrage, la cinéaste franco-algérienne Lidia Leber Terki consacre une fiction aux chibanis. Le mot,qui signifie «cheveux blancs» en arabe dialectal, est le terme désignant les vieux travailleurs immigrés, souvent d'origine maghrébine et qui sont arrivés dans les années 60, contraints de vivre dans l'Hexagone pour être assurés de bénéficier du maigre fruit de décennies de labeur. «Ce sont des vies tellement brisées, confinées… C’est surtout l’espoir lié à l’exil qui se trouve finalement déçu», résume Lidia Leber Terki

«On peut estimer aujourd’hui la population immigrée ayant plus de 55 ans, les chibanis, à un peu plus de 800.000 personnes dont 355.000 pour les plus de 65 ans. Parmi eux, on trouve 127.000 Algériens, 65.000 marocains et 37.000 Tunisiens (...)», précise la proposition de loi datée du 25 janvier 2017 dont l'objectif est d'améliorer les conditions de vie des chibanis et de leurs familles


«Eclairer ceux qu’on nomme les Invisibles»
Avec Paris la blanche, explique Lidia Leber Terki, «je voulais à la fois éclairer ceux qu’on nomme les Invisibles, les chibanis, mais aussi ceux qui sont encore plus invisibles. A savoir ceux qui restent au pays ou ailleurs, qui attendent, qui ont vu un jour leur mari ou leur père partir… D’un côté comme de l’autre, beaucoup de choses se jouent. Je voulais montrer également que les hommes et les femmes sont à égalité quand il s’agit de sacrifice.»

«C’est un hommage, 
poursuit la réalisatrice, à tous ces hommes et femmes qui ont travaillé en France, qui travaillent en France, à toutes ces personnes qui sont issues de cette immigration qui ne trouvent pas leur place parce que leurs parents ne l’ont pas encore trouvée non plus». Cependant, la première fiction de Lidia Leber Terki est surtout «un hommage à (ses) origines, à (son) père». «J’espère que les jeunes générations verront dans ce film une partie de leurs origines, ressentiront peut-être l’exil de leurs parents.»

Les pas hésitants de Rekia, l’héroïne de Paris la blanche qui quitte l'Algérie pour retrouver son mari Nour dont elle n'a plus de nouvelles mais qui lui envoie tous les mois de l’argent depuis 48 ans, conduisent les télespectateurs sur les nouvelles routes de l’immigration. Entre autres, celle des Syriens que Rekia croise dans sa quête. «Quand j’ai commencé à travailler sur ce film en 2011, c’était au tout début de l’arrivée des Syriens. J’ai été très choquée par ce qui se passait», se souvient Lidia Leber Terki


C'est la guerre qui a obligé quelque 5 millions de ressortissants syriens à quitter leur foyer. Et c'est une autre forme de politique qui a scellé le sort des chibanis pour qui le retour prend rapidement des allures de mythe. «La situation des immigrés âgés est révélatrice de la difficulté pour la France de se comprendre comme société d’immigration», notait un rapport parlementaire sur les immigrés âges publié en 2013. Il préconisait par ailleurs la réorientation «des politiques publiques afin d’offrir à ces personnes les conditions d’une vieillesse digne, qu’elle soit vécue en France, dans le pays d’origine, ou entre les deux».  

«Certaines décisions politiques peuvent nous enfermer toute une vie»
Certes, le cadre légal concernant les conditions de circulation des chibanis s'est assoupli au fil du temps. Auparavant obligés de séjourner au moins six mois sur le territoire français pour toucher un complément nécessaire (autrefois, l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou ASPA) à une retraite souvent dérisoire, les chibanis peuvent depuis le 1er janvier 2016 retourner chez eux et surtout auprès de leurs familles sans perdre leurs avantages sociaux. 

Malheureusement, souligne le projet de loi de janvier 2017 «alors que l’on estimait à 35.000 personnes le nombre de bénéficiaires potentiels, ils sont moins de 100 à avoir demandé cette aide. La très faible demande peut en partie s’expliquer par le niveau de cette prestation, inférieur aux aides au logement et minima sociaux sous condition de résidence, dont l’immigré âgé perdrait alors le bénéfice.» L'échec de la mesure «serait également lié à la question du titre de séjour». Car «l’obtention ou le renouvellement d’un titre de séjour nécessite d’être présent sur le territoire français et d’y effectuer des formalités».

Une autre approche politique aurait-t-elle permis d’éviter de faire de ces hommes, à l'instar de Nour, des éternels déracinés? «Ce sont des questions que je me pose, admet la cinéaste. Ce sont des personnes qui n’ont jamais été vraiment intégrées à la société française. Ils ont été logés dans des bidonvilles, puis dans des hôtels miteux… Et puis, une fois qu’on a eu besoin de ces hôtels situés à Paris, on les a mis dans des foyers gérés par des sociétés privées… J’ai choisi de ne pas m’appesantir sur ces aspects politiques mais plutôt sur la dimension humaine. Oui, c’est une réflexion qui m’habite et que je voulais transmettre dans le film: certaines décisions politiques peuvent nous enfermer toute une vie.» 

Paris la Blanche, clin d'œil au surnom de la capitale algérienne, fait le pont entre deux villes, deux pays et une histoire commune marquée aussi par la guerre d’Algérie et le sort des pieds noirs. «Il est aussi question d’exil de ce côté-là. Il y avait énormément de gens qui vivaient, qui ont grandi en Algérie, qui avaient des amis algériens et qui ont été obligés de s’en aller… Cela a été un déchirement aussi pour eux. La guerre entre ces deux pays a été un déchirement  Encore une fois, des décisions politiques font que la situation se dégrade entre des gens qui ne sont pas forcément les uns contre les autres. On le voit encore aujourd’hui dans certains pays d’Afrique ou d’ailleurs. Les politiques essaient de nous délier alors que nous sommes liés.»

«Paris la blanche» de Lidia leber Terki
Avec Tassadit Mandi, Zahir Bouzerar et Karole Rocher 
Sortie française : 29 mars 2017

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