Cet article date de plus de huit ans.

Dans les «hôpitaux-mouroirs» du Cameroun

La mort tragique faute de soins d’une femme enceinte de jumeaux a relancé la polémique sur la prise en charge des patients dans les hôpitaux publics du Cameroun. Certains n’hésitent pas à traiter les médecins camerounais d’«assassins». Ils les accusent d’abandonner les malades qui ne peuvent pas payer les soins.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le corps de Monique Koumateké transporté vers la morgue le 12 Mars 2016. Devant les portes de l'hôpital Laquintinie de Douala, une de ses proches a tenté, sans succès, d'extraire de son ventre les jumeaux qu'elle portait. Le personnel médical ayant refusé de la prendre en charge.

 (Capture d'un Tweet (Journal du Cameroun))

La scène se déroule le 12 mars 2016 aux portes de l’Hôpital Laquintinie, l’un des principaux établissements publics de Douala, la capitale économique du Cameroun.
 
C’est là que Monique Koumateke, une jeune Camerounaise de 31 ans est décédée avec les jumeaux qu’elle portait, faute de soins. Une mort tragique qui a suscité une vague d’indignation dans le pays. Sa famille accuse le personnel de l’hôpital d’être responsable de sa mort.
 
Selon l’hôpital, la jeune femme est arrivée inconsciente avec plusieurs membres de la famille. Le personnel refuse alors de la prendre en charge après avoir constaté qu’elle était déjà morte. Ce que contestent formellement les proches de la victime. Ils affirment que les bébés étaient bien vivants quand leur mère est arrivée inconsciente aux urgences de l’hôpital.
 
Le drame devant la porte fermée de la maternité
Devant la porte fermée de la maternité, une proche de la jeune femme tente de sauver les fœtus en improvisant une césarienne. Avec une lame chirurgicale, Rose Tacke éventre sa tante et retire les deux bébés qui n’ont malheureusement pas survécu.
 
Menacée de poursuites pour profanation de cadavre, Rose Tacke ne regrette pas aujourd’hui son geste. Elle raconte le fil des événements. De l’accueil glacial réservé par le personnel médical à la maternité, qui, sans avoir examiné la malade, conclut à sa mort, à son renvoi à la morgue sans aucun certificat de décès. L’employé de la morgue «s’étonne qu’on veuille y installer une femme enceinte dont le fœtus donne visiblement des signes de vie», témoigne Rose Tacke dans l’hebdomadaire Jeune Afrique.
 
Retour à la maternité. Nouvelles suppliques au personnel et nouveau refus. L’unique bloc opératoire du service est déjà occupé, annonce une infirmière de la maternité dont les propos cyniques et cinglants résonnent encore dans la tête de Rose: «Ce n’est pas la première fois qu’une femme meurt avec des fœtus dans le ventre.» Puis les portes de la maternité se referment au nez de sa famille.
 
«Nous nous sommes retrouvés face à nous-mêmes, désemparés… J’ignore si le serment d’Hippocrate a le moindre sens chez nous», raconte-t-elle à Jeune Afrique.
  

«L’hôpital est le miroir de ce qui se passe au pays»
Les images de la scène montrant la défunte jeune maman étendue dans une mare de sang, avec ses deux bébés morts sur son ventre, ont fait le tour du monde, suscitant colère et indignation au Cameroun. Les appels à la démission du ministre de la Santé se sont multipliés jusque dans les rangs du parti au pouvoir.
 
«L’image actuelle de nos hôpitaux est très pathétique. On dirait des prisons à ciel ouvert. On peut dire sans risque de se tromper que les hôpitaux ne répondent pas aux attentes… Les hôpitaux publics du pays sont des mouroirs», se désole Hugues Seumo sur le site camerounais Camer.be.
 
Pour lui, l’hôpital est le miroir de ce qui se passe au Cameroun. «Un pays où les tenants du pouvoir, au moindre malaise ou accident, sont évacués en dehors du pays. L’état désastreux, humiliant, dégradant et honteux des hôpitaux du pays, ne les concerne pas», affirme-t-il.
 
Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, l’essayiste camerounais Yann Gwet ne décolère pas. Ce qui importe dans cette histoire, et qui permet d’expliquer la réaction populaire, est que la scène à l’origine du scandale s’est produite au sein d’un hôpital, remarque-t-il.
 
«En 2016, des hommes et des femmes meurent tous les jours dans les hôpitaux camerounais parce qu’ils doivent acheter sans en avoir les moyens leur propre seringue ou leur propre flacon d’alcool. En 2016, les hôpitaux camerounais sont, en somme, des lieux d’inhumanité, de violence et de malheur», écrit Yann Gwet.
 
Le directeur de l’hôpital incriminé de Douala a été limogé par le gouvernement le 12 avril 2016. Mais la polémique est très loin d’être close après cette tragédie.
 
Un autre directeur d’hôpital a été relevé de ses fonctions à Mbanga, à environ 50 km de Douala, après un décès similaire à celui de Monique Koumateke.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.