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Burkina Faso: elles ont à peine 13 ans et sont mariées de force

Elles souffrent en silence et par milliers. Les jeunes filles du Burkina Faso sont contraintes d’épouser des hommes parfois plus âgés que leurs pères. Ces petits corps fragiles supportent mal leurs grossesses précoces. Certaines y laissent leur vie. Très peu ont la chance d’aller à l’école ou de terminer leurs études. Amnesty tire la sonnette d'alarme.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des jeunes filles apprennent à tricoter dans la région de Tenkodogo, au Burkina Faso. La pression familiale est plus forte en milieu rural pour contraindre les jeunes filles à se marier. (Photo AFP/Jean Blondin)

 
Difficile de résister à la pression familiale qui s’exerce sur elles. Au Burkina Faso, des familles marient souvent leurs filles afin de renforcer des alliances familiales, d’acquérir un statut social ou en échange de biens, d’argent ou de service.
 
Amnesty a recueilli au Burkina Faso, les témoignages de dizaines de jeunes filles mariées sous la contrainte des parents, souvent des pères.
 
«Mon père m’a mariée à un homme de 70 ans qui a déjà cinq épouses. Il m’a dit que si je ne rejoignais pas mon mari, il me tuerait», raconte Maria, une adolescente de 13 ans ayant fui le jour de son mariage. Elle a marché pendant trois jours et parcouru près de 170 km pour trouver refuge dans un centre d’accueil pour jeunes filles.
 
Malaika s’est aussi enfuie pour ne pas être mariée de force par ses parents. Elle a raconté à Amnesty International que la police l’avait retrouvée et lui avait dit de retourner chez son père et sa mère.
 
«J’avais 15 ans quand les parents voulaient que j’épouse un vieillard de 75 ans. Il est plus âgé que mon père et il a déjà trois épouses et des filles de mon âge. Le jour des présentations, j’ai dit à mes parents que je n’étais pas d’accord avec leur choix et que je voulais terminer ma scolarité. Ils m’ont dit que j’étais obligée d’épouser le mari qu’ils avaient choisi et que je n’avais pas d’autre choix que d’aller là-bas», témoigne Malaika.
 
Selon la loi en vigueur, une jeune fille doit être âgée au moins de 17 ans pour pouvoir se marier au Burkina Faso.
 
«Femme bonus»
Les chercheurs d’Amnesty qui ont mené l’enquête au Burkina évoque aussi la pratique, dans certaines zones, du «Po-lenga» ou «femme bonus». Il s’agit, pour la nouvelle épouse, d’amener sa nièce dans la famille de son mari comme une jeune fille en plus à donner en mariage. C’est ce qui est arrivé à Céline, une adolescente de 15 ans qui a fui le jour de son mariage.
 
Je ne voulais pas épouser cet homme, raconte Céline. Ma tante m’a dit : «Si tu t’enfuis, je te détruirai. Je me suis échappée du domicile de mon mari. Mais quand je suis arrivée au village, ma famille m’a dit que je ne pouvais pas vivre avec eux.»
 
Les taux de mariages précoces et forcés au Burkina Faso sont parmi les plus élevés au monde. 52% des filles sont mariées avant 18 ans et près de la moitié d’entre elles sont déjà mères à cet âge. Et pas question de soulever la moindre question concernant leurs corps, leur vie et leur futur.
 

Des écolières défilent à Ouagadougou pour le 52e anniversaire de l'indépendance. Certaines d'entre elles seront contraintes d'abandonner l'école avant la fin de leur cycle d'études pour être mariées de force.  (Photo AFP/Ahmed Ouaba)

Grossesses précoces et risques de mortalité
Une fois mariées, ces jeunes filles sont censées avoir des enfants le plus tôt possible. Des grossesses précoces qui augmentent fortement le risque de mortalité. Chaque année, 2000 d’entre elles succombent à des complications liées à l’accouchement.
 
Presque toutes les victimes rencontrées par Amnesty ont dit avoir été insultées ou agressées physiquement lorsqu’elles ont soulevé la question de la contraception avec leur conjoint.
 
«Juste avant de tomber enceinte de mon dernier enfant, raconte Bintou (25 ans), j’ai voulu profiter de la semaine de gratuité de la contraception, mais je suis arrivée trop tard et elle était terminée. J’ai demandé de l’argent à mon mari. Il s’est fâché. Il s’y opposait systématiquement. Et chez nous, quand le mari parle, les femmes doivent écouter et obéir. Déjà en temps normal, quand on demande de l’argent pour les courses, il en vient aux mains. Vous imaginez alors quand c’est pour des produits contraceptifs.»
 
«Je me cache pour prendre la pilule. Mon mari n’est pas au courant. Il pense que la contraception entraîne des maladies et il me dit que si je tombe malade à cause des produits contraceptifs, il ne me soignera pas», témoigne Thérèse, mère de trois enfants.
 
Amnesty appelle le gouvernement burkinabè à prendre les mesures qui s’imposent pour protéger ces milliers de jeunes filles et femmes en détresse.
 
«Les engagements récents en faveur de l’élimination du mariage des enfants sont encourageants, mais tant que ces promesses ne seront pas une réalité quotidienne, des jeunes filles en paieront le prix», estime Alioune Tine, directeur du bureau Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

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