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Tensions post-électorales au Bénin : Patrice Talon, un président moderniste endurci par le pouvoir

Deux journées de violences ont suivi le scrutin législatif du 28 avril 2019, alors que l'opposition en avait été exclue. L'armée a usé de balles réelles pour disperser les supporters de l'ex-président Yayi, candidat écarté. La démocratie est-elle bafouée ? Portrait de Patrice Talon, un homme qui se présentait sous les meilleurs auspices.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le président du Bénin Patrice Talon lors de sa visite à l'Elysée, à l'invitation d'Emmanuel Macron, le 5 mars 2018. (ETIENNE LAURENT / POOL)

Arrivé au pouvoir en 2016 avec une image de businessman ambitieux fonceur et novateur, le président du Bénin Patrice Talon est désormais accusé d'avoir engagé son pays dans un tournant autoritaire après des législatives où l'opposition n'a pas pu présenter de candidats.

Plus de sept électeurs sur dix ne se sont pas déplacés

Pour le chef de l'Etat, qui rêvait d'être "porté en triomphe" à l'issue de son mandat, la victoire annoncée de son parti pourrait être au contraire sa plus grande défaite politique, alors qu'il n'excluait plus de se représenter en 2021.

Les électeurs ont boudé les urnes à 72,9%, selon les résultats définitifs, en réponse à l'appel de l'opposition qui protestait contre son éviction du scrutin. Au-delà de l'élection des députés, ce vote était perçu davantage comme "un référendum (contre le président) qui ne dit pas son nom", commente le politologue Expédit Ologou. 

De nombreux détracteurs reprochent en effet au chef de l'Etat un autoritarisme tardif qui secoue ce petit pays de 12 millions d'habitants, longtemps cité en modèle de démocratie en Afrique. Chez ses opposants comme au sein de la société civile, on l'accuse d'ailleurs d'être derrière l'exclusion des grands partis d'opposition – officiellement évincés pour n'avoir pas respecté le nouveau code électoral.

Avant le vote du 28 avril, ONG béninoises et internationales comme Amnesty International ont aussi dénoncé des "arrestations arbitraires", "des manifestations réprimées" et la coupure d'internet le jour du scrutin.

L'ex-président Boni Yayi, passé du statut d'allié à celui d'ennemi

Thomas Boni Yayi, ex-président du Bénin (2006 - 2016), photographié la dernière année de son mandat à Abidjan, lors d'une rencontre avec les présidents du Togo et de la Côte d'Ivoire. (ISSOUF SANOGO / AFP)

L'histoire avait pourtant bien commencé. Homme d'affaires, surnommé le "roi du coton", classé 15e plus grande richesse d'Afrique sub-saharienne avec un patrimoine estimé à plus de 400 millions de dollars en 2015, selon Forbes, Patrice Talon est entré tard en politique. Il s'est construit sans fief, sans réseau et en opposition au président Yayi, ex-allié devenu ennemi à la suite de coups politiques pénalisant ses affaires. Depuis, Boni Yayi symbolise tout ce que le businessman déteste, une vieille garde gangrenée par "les affaires", l'immobilisme et, pire que tout, le laisser-aller.

Un homme "obsédé par les résultats"

A 61 ans, chemise blanche éclatante, veste de costume ouverte et lunettes aux verres fumés, l'actuel président béninois veut représenter une nouvelle génération de leaders : ceux qui sont persuadés que le continent rattrapera son retard lorsque les Africains eux-mêmes seront convaincus qu'ils peuvent y arriver.

"Il veut changer les mentalités", explique à l'AFP son conseiller en communication Wilfried Houngbedji. Comme combattre la corruption, quel que soit son niveau. Des dizaines de fonctionnaires ont ainsi été renvoyés pour avoir fait ou tenté de faire ce qu'ils avaient toujours fait : récupérer quelques bakchichs pour arrondir leurs fins de mois.

"Obsédé par les résultats", comme il le confie lui-même, Patrice Talon est également obsédé par le modernisme fondé sur ses performances professionnelles. "C'est un perfectionniste", confie l'un de ses proches collaborateurs. "Il peut arriver dans votre bureau, puis d'un coup repérer le moindre détail qui ne va pas sur les murs et vous le signaler.

Sur le plan économique, le Bénin affiche une belle croissance de 6,8% en 2018, grâce à une intégration à marche forcée de l'économie informelle omniprésente, qui représente la quasi-totalité des sources de revenus de la petite classe moyenne ou pauvre.

Il est devenu l'ennemi de la classe populaire

Son premier cercle est composé d'une poignée de conseillers et de son épouse Claudine Gbénagnon qui joue un grand rôle. Ceux qui travaillent à ses côtés, souvent extérieurs à la sphère politique ou issus de la diaspora, se sont ralliés, séduits par son ambition pour le Bénin.

Mais trois ans après son arrivée au pouvoir, si l'élite continue de voir en lui un visionnaire, il est détesté par la classe populaire qui lui reproche son arrogance. Même chez les intellectuels et dans le secteur privé, on commence à s'interroger. Les inculpations constantes des opposants, les mesures d'intimidation contre des voix de la société civile dérangent. Avait-il besoin de créer une cour spéciale pour éliminer son plus grand adversaire politique, aujourd'hui en exil, Sébastien Ajavon ? "Ils ne comprennent plus jusqu'où il va aller. C'est son orgueil mal placé et son esprit de vengeance malsain qui l'animent, c'est dangereux", estime l'un de ses anciens proches.

L'homme s'est endurci durant ses années d'exil sous la présidence Yayi. Ce dernier l'avait mis à l'écart pour une sombre affaire d'empoisonnement qui ressemblait plus à un coup monté. Selon des politologues et observateurs du pays, Talon n'aurait également pas supporté de voir son projet de réforme constitutionnelle retoqué deux fois par le Parlement. Il voulait être le premier président africain à instaurer un mandat présidentiel unique de sept ans. Pour l'opposition, c'est seulement un moyen de rester au pouvoir.

Comparaison constante avec le Rwandais Paul Kagame

Aujourd'hui, tout le monde attend que les 83 députés issus de la majorité votent le texte. Pour l'un de ses anciens collaborateurs, la direction donnée à sa présidence a été fortement marquée par sa rencontre avec le président rwandais Paul Kagame trois mois après son arrivée au pouvoir. "Il voulait axer son mandat sur un modèle politique charismatique, il l'a trouvé en Kagame", explique cette source.

La comparaison est constante avec le président rwandais, au pouvoir depuis 2000 et réélu en 2017 avec 99% des voix, qui a engagé son pays dans un développement accéléré. Un homme devenu un leader autant respecté que craint chez lui, davantage qualifié de despote éclairé à l'extérieur. Mais pour l'instant, l'entourage de Patrice Talon hésite à entretenir cette comparaison aussi flatteuse qu'embarrassante.

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