Le 20 novembre 2015, l’Hôtel «Radisson Blu» à Bamako est frappé par un attentat. Vingt personnes y trouvent la mort. Après trois jours de deuil national et malgré l’état d’urgence, la capitale du pays reprend ses activités. Les Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la photographie rouvrent leurs portes, car artistes et organisateurs de cette manifestation refusent de céder à la psychose.
Si cet événement culturel n’a pas eu lieu pendant deux ans en raison du conflit au Mali, sa 10e édition se déroule du 31 octobre au 31 décembre 2015. Pour Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali, «cette biennale est un acte de résistance, un fanal contre la peur et la stagnation après la crise».
Plateforme de rencontres avec les professionnels du monde entier, lieu incontournable de visibilité et de révélation pour les photographes du continent et de la diaspora, les Rencontres de Bamako ont reçu cette année 800 candidatures, quatre fois plus qu’en 2011. De nombreux espaces, Musée national du Mali, Musée du District, Mémorial Modibo Keïta, Institut français de Bamako et l’espace public accueillent les expositions.
La thématique de cette programmation artistique confiée à Bisi Silva s’intitule «Telling time, Conter le temps», une réflexion sur le temps réel ou imaginaire. Ou comment parler de l’action politique, de l’expérience sociale et esthétique, comment penser le passé, débattre du présent, et imaginer le futur. «En choisissant ce titre, je voulais parler du temps que nous sommes en train de vivre, le temps de la crise au Mali, mais aussi le temps consacré à la combattre», précise la directrice artistique.
Alors qu’il a pu être parfois reproché au festival de ne pas donner assez de place au photojournalisme, Bisi Silva précise au magazine Jeune Afrique , partenaire du festival: «Je voulais aller au-delà du photoreportage et de la photo documentaire et les propositions qui nous sont parvenues montrent une claire orientation dans ce sens.»
Géopolis vous propose une sélection de 9 photos.
En 2014, l’Afrique de l’Ouest puis l’Afrique centrale sont touchées par l’épidémie du virus Ebola, une maladie hautement contagieuse. L’OMS alerte du «risque de pandémie» alors que la contagion au reste du monde reste très faible. Relayée par les médias du monde entier, la crainte d’une épidémie à l’échelle mondiale sème la panique. Entre art et photojournalisme, entre réalité et fiction, les clichés d’Emmanuel Bakary Daou, où se diffusent une angoisse persistante, mettent en scène la campagne sanitaire mise en place en Afrique. Ses photos se veulent le reflet de la peur croissante qui a gagné les services sanitaires, les medias et les populations, entre psychose et fantasme. ( Emmanuel Bakary Daou)
Au Mali, suite aux conflits avec les groupes djihadistes, une partie de la population trouve refuge dans le camp de Mbera dans le sud de la Mauritanie, à 50km de la frontière malienne. A l’époque, 70.000 personnes vivent dans cette zone désertique du Sahara occidental comparable à un no man's land. Si ce lieu est souvent représenté comme un endroit dur et hostile, le photographe Australo-Ghanéen, Nyani Quarmyne, a voulu montrer une autre image, et parler de la vie quotidienne dans le désert (naissances, jeux des enfants, mères s’occupant de leur foyer…). Cette série nous dévoile les traditions de ces réfugiés maliens confrontés aux réalités sociales et culturelles de Mbera. Voir le reportage… (Nyani Quarmyne)
Depuis plus de dix ans, Moussa Kalapo participe au programme de conservation et de préservation de collections de photographes maliens. Son travail dans «La métaphore du temps» est un exercice de reconstruction de la mémoire. Les modèles de cette série, habitants de Bamako, racontent leur histoire à travers albums de famille, photos de grands- parents, d'aïeuls marqués par l’usure du temps. Moussa Kalapo interroge sur l’importance de l’archivage et de son rôle de perpétuation d’une mémoire personnelle ou collective, une manière aussi de lutter contre l’oubli. ( Moussa Kalapo)
La photographe propose une réflexion sur les rituels quotidiens de la foi, faits de gestes simples, profonds, répétitifs et uniques. Ces autoportraits montrent l’artiste dans la pratique de ses prières. Des instants de solitude sereins qui lui permettent d’oublier un bref moment la douleur qui traverse son corps, due à la maladie neurologique de Charcot-Marie-Tooth.
Ses photos captent les gestes flous de ses mouvements alternés par des méditations profondes. (Sihem Salhi)
En 2014, une insurrection populaire éclate au Burkina Faso, réclamant la démission de Blaise Compaoré, à la tête du pays depuis 27 ans. Le titre de cette série traduit parfaitement la pensée du photographe qui a voulu documenter l’histoire de son pays en participant lui même aux manifestations. En tant que citoyen, Sawadogo fait le choix de suivre les cortèges, de faire corps avec la jeunesse burkinabè dans le feu de l’action, de participer à un moment collectif avec ceux qui construisent l’histoire d’un peuple, d’une nation. (Nomwindé Vivien Sawadogo )
Sur les clichés présentés ici, on pourrait croire au premier coup d’œil à une catastrophe naturelle ayant frappé Brazzaville, la capitale du Congo. Pourtant il n’en est rien. Le 4 mars 2012, un court-circuit dans l’une des plus grandes réserves d’armement de la ville déclenche une série d’explosions, faisant de nombreux morts et blessés. Si au départ, ces bâtiments militaires étaient construit en dehors de la ville, le développement démographique a obligé au fil du temps les habitants à se rapprocher sans sécurité ni prévention de ces lieux hautement dangereux. Samba, né et vivant à Brazzaville, dénonce le déséquilibre résultant des enjeux de pouvoirs. Il veut redonner la voix aux personnes négligées par les autorités. Il développe ainsi un outil politique demandant réparation et cicatrisation. (Jean Euloge Samba)
Ce photographe et poète est mort d’une malaria cérébrale, à Kinshasa, au milieu de l’été 2015 à l’âge de 36 ans. Mondialement reconnu, il faisait partie de la génération montante des photographes africains. Vivant à Kinshasa, qu’il n’aurait quitté pour rien au monde, il aimait photographier le bouillonnement, l’énergie incroyable de cette ville aux 9 millions d’habitants. Ses clichés pris au travers d’une flaque d’eau lui permettait d’ajouter un étrange coté onirique à des scènes banales du quotidien. Il expliquait dans le journal Le Monde: «Si l’on prend l’image dans le sens normal, c’est le chaos. Dès qu’on la retourne, tout devient plus positif, plus beau.» (Kiripi Katembo )
Déjà présent en 2009 aux 8e Rencontres africaines de la photographie de Bamako avec sa série sur les albinos africains, le photographe malien veut informer sur les troubles politiques de son pays. Etudiant le prestigieux passé de Tombouctou et ses contributions à la culture mondiale, il s’est logiquement intéressé à la collection de manuscrits de la ville, qui datent du 12e siècle et racontent l’histoire islamique et africaine. En 2013, cette «mémoire écrite de l'Afrique» échappe de justesse en très grande partie à la fureur des djihadistes qui ont envahi Tombouctou. Avec ce projet, Camara enquête sur la production des manuscrits, sur la culture de leur diffusion, et sur les exigences de leur conservation et de leur stockage. Voir plus de photos… (Seydou Camara)
Seul Aboubacar Traoré, photographe malien et musulman, confronte son travail à la montée de l’intégrisme religieux, avec ses personnages dont les têtes ont été remplacées par des boules noires, métaphore de l’obscurantisme. Si cette photo a été sélectionnée au départ pour le visuel de l’affiche, elle n’a pas été au final retenue par mesure de précaution. «Je ne souhaitais pas que la question religieuse soit au centre de la Biennale ni que les musulmans perçoivent cette série comme une critique», explique Samuel Sidibé, délégué général des Rencontres. «Il y a trois ans, on était paniqué, on ne savait pas où aller, tous les jours on pensait que quelque chose allait survenir. Je me disais comment les gens se cachent derrière la religion pour servir leurs propres intérêts… Beaucoup de jeunes, à cause de la pauvreté, sont attirés par le radicalisme. Ils n’ont rien à manger, ils sont influençables. Quand quelqu’un vient et s’occupe d’eux, ils succombent à l’appel», explique-t-il au journal Le Monde. (Aboubacar Traoré)
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