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Bruxelles, Ouaga, Paris, Ankara, Bamako «Aller vers un Nuremberg de l’islamisme»

Le parti algérien Mouvement démocratique et social (MDS, gauche laïque) lance l’initiative d’un tribunal international du terrorisme islamiste, un «Nuremberg de l’islamisme». Comme ce fut le cas pour les nazis, cette institution jugerait les djihadistes. Pour le responsable du parti, Yacine Teguia, les attentats de Bruxelles illustrent une nouvelle fois le caractère transfrontalier du terrorisme.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Réunis à Bruxelles, le 22 mars 2016, des gens tiennent un bannière sur laquelle on peut lire en flamand et en français «Je suis Bruxelles», après les attentats qui ont frappé la capitale belge dans la matinée.

 (REUTERS/Charles Platiau)
-Vous appelez à un «Nuremberg de l’islamisme». Qu’en est-il exactement ?
Les attentats de Bruxelles suivent de quelques jours ceux de Grand- Bassam en Côte d’ivoire et d’Ankara en Turquie, il s’agit donc de bien prendre la mesure du caractère international du terrorisme islamiste sans sombrer dans le fatalisme ou pire dans la banalisation de ses crimes horribles. L’Etat Islamique que prétend incarner l’organisation Daesh est à cheval sur plusieurs Etats et nie les différents intérêts nationaux. La riposte qui est opposée à cette menace demeure cependant enfermée dans des logiques nationales. Elle porte par ailleurs et pour l’essentiel sur les volets sécuritaire et militaire. En Algérie, nous éprouvons très fortement les limites de ces démarches. Ce n’est ni faute d’avoir mis en garde l’opinion mondiale sur le risque de l’idéologie islamiste, sur sa nature fasciste et transnationale, en particulier depuis le printemps arabe, ni à cause d’une baisse de vigilance des services de sécurité et de l’armée algérienne face aux réseaux et aux groupes qui tentent en permanence de se réorganiser.

Yacine Teguia, Secrétaire générale de MDS (DR)

L’émergence de Daesh à la suite d’Al Qaïda est l’expression de ce mouvement de recomposition permanent de la mouvance. Dans notre pays nous avons vu le GIA se transformer en GSPC qui donnera naissance ensuite à Aqmi. La logique de la réconciliation nationale et de l’amnistie perpétuelle appliquée depuis 1999, en Algérie, montre donc ses limites. Mais la remarque est valable pour toutes les stratégies mises en œuvre par les Etats qui se sont uniquement attachés à défaire militairement les groupes islamistes. Le terrorisme ne représente plus une menace existentielle pour l’Etat algérien mais des citoyennes et des citoyens, de jeunes appelés du contingent en sont encore victimes. En vérité, l’islamisme terroriste ne renoncera pas tant qu’il n’aura pas subi une défaite stratégique à l’échelle internationale et que son projet de califat planétaire moyenâgeux n’aura pas été définitivement disqualifié. C’est pour répondre à ce défi que nous appelons à la tenue d’un Nuremberg de l’islamisme terroriste.
 
-Comment voyez-vous ce tribunal, une forme de TPI ? Etes-vous en contact avec des organismes et/ou des partenaires pour porter votre initiative ?
L’ONU est à même d’offrir le cadre pour un tel procès. Nous souhaitons que tous les Etats membres soutiennent une telle initiative et donc il ne faudrait pas que la forme retenue pose problème. Tous les Etats ne sont pas membres de la CPI par exemple. Il faudra très certainement envisager un tribunal ad hoc, mais dans tous les cas, il sera nécessaire de trouver le cadre qui obtient le plus large consensus. Il faudra bien sûr régler un certain nombre de problèmes liés à la définition du terrorisme (à ne pas confondre avec la lutte légitime des peuples qui cherchent à se libérer), à la possibilité de poursuivre des entités non-étatiques pour des crimes internationaux.

Tous ces écueils peuvent être dépassés si la volonté politique existe. Et nous croyons, dans le sillage du processus politique qui vient d’être entamé en Syrie, de l’accord qui a été trouvé au Mali et des efforts qui se poursuivent en Libye, qu’une volonté mondiale d’isoler le terrorisme islamiste commence à cristalliser. C’est pourquoi nous avons entamé une démarche en direction de très nombreux mouvements politiques dans le monde arabe, mais en France aussi où nous avons eu des premiers échanges avec nos partenaires traditionnels que sont le PCF et le Parti de Gauche. Nous avons aussi saisi des organisations des droits de l’homme à travers le monde et un certain nombre d’ambassades et de représentations internationales à Alger. Nous espérons convaincre et sommes disposés à faire part de notre expérience, puisque notre mouvement s’est inscrit, depuis sa fondation, dans la rupture avec l’islamisme. Il s’agit d’un capital de plus de 25 années d’affrontement avec le parti des assassins.
 
-Au-delà de la lutte anti-terroriste, comment lutter contre l’idéologie dont se nourrissent les jihadistes ?
D’abord en l’identifiant en tant que telle, en déconstruisant autant l’amalgame que les islamistes font entre leur idéologie et l’islam et l’islamophobie, en rappelant que les premières victimes du terrorisme islamiste sont des musulmans. En Algérie des centaines d’imams ont été victimes du terrorisme islamiste, des bombes ont explosé dans des mosquées, l’islam traditionnel a été une des premières cibles des groupes qui allaient plonger dans le terrorisme. Ensuite il faut travailler à la séparation du politique et du religieux dans le monde arabo-musulman, séculariser les Etats et les sociétés. Pour réussir dans ces tâches, les pays musulmans ont besoin de l’aide du restant du monde. Un procès de l’idéologie islamiste, sur le modèle de Nuremberg qui a condamné le nazisme, les aidera à se purger de cette idéologie mortifère. La législation internationale pourra évoluer à cette occasion et de nouveaux instruments seront mis en place pour lutter contre cette idéologie.

La lutte idéologique ne suffira pas. Le procès de Nuremberg a été accompagné du plan Marshall. Il faudra envisager un effort de reconstruction considérable. Des pays ont été ravagés par le terrorisme et les guerres, des Etats se sont effondrés. La Libye, la Somalie, le Yémen, la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan  pour ne citer que les plus touchés ne doivent plus être fragilisés au point où le projet islamiste apparaisse comme une perspective. Enfin, il faut en finir aussi avec le deux poids deux mesures dans les relations internationales, en particulier il faut régler définitivement la question du droit du peuple palestinien à un Etat. L’instrumentalisation de cette cause à trop souvent servi d’alibi aux crimes de l’islamisme terroriste.
 
-Vous dites que la menace terroriste «demeure persistante mais incapable de faire effondrer l’Etat ». Où en est, selon vous, la situation sécuritaire en Algérie, avec la déstabilisation de la Libye et la Tunisie ? 
Il existe une menace persistante. C’est le produit à la fois de la déstabilisation de pays frontaliers comme la Libye, la Tunisie ou le Mali, mais aussi d’une politique de réconciliation nationale qui a justifié le compromis avec l’islamisme et l’a blanchi de ses crimes barbares. On a voulu démobiliser la société qui s’était dressée aux côtés de l’Armée nationale populaire pour affronter le terrorisme islamiste au lieu de s’appuyer sur cette formidable expérience et aller vers la disqualification totale du projet d’Etat théocratique. On a même culpabilisé la résistance en évoquant deux extrémismes, en renvoyant dos-à-dos la société qui défendaient la République et les partisans d’un califat obscurantiste. La dernière révision constitutionnelle au lieu de reconnaître le rôle des patriotes en armes et des groupes de légitime défense a introduit la réconciliation nationale et la notion de fitna (discorde religieuse) comme si les Algériens avaient une responsabilité dans l’agression dont ils ont été victimes.

Est-ce qu’un tel contexte laisse espérer aux groupes terroristes qu’ils pourraient réussir à retourner cette société contre l’Etat algérien ? Rien n’est moins sûr. Le printemps arabe n’a pas eu de suite en Algérie, les Algériens dans les rangs de l’organisation de l’Etat islamique représentent le plus petit contingent, inférieur à celui des Français ! Mais justement parce que l’Algérie représente un îlot de «stabilité» dans la région ces groupes voudraient peut-être la frapper symboliquement. L’Armée vient d’intercepter des terroristes qui disposaient de missiles Stinger. C’est la première fois que l’on évoque la présence de ces armes en dehors du théâtre afghan. On voit bien que tant que les groupes islamistes peuvent trouver un abri à partir duquel ils pourraient frapper notre pays, ils le feront. C’est dans les pays ébranlés par les  guerres et les crises qu’ils trouvent refuge et les armes avec lesquelles ils espèrent édifier leur Califat. La stabilisation et la reconstruction des institutions de ces pays est donc un enjeu qui nous concerne tous et en premier lieu les populations des pays concernés.

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