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Algérie: la Kabylie, un éden gangrené par le terrorisme

L’exécution du Français Hervé Gourdel, le 24 septembre 2014 dans le massif du Djurdjura, à 110 km de la capitale Alger, braque les projecteurs sur une région chère aux randonneurs. Une zone devenue, depuis les années 1990, le repaire de groupes armés islamistes dans un contexte de lutte historique des Berbères contre le pouvoir central.
Article rédigé par Véronique le Jeune
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La chaîne montagneuse en Kabylie, bordée de plages sur la Méditerranée, où il peut être aussi dangereux de s'aventurer. En août 2008, huit touristes y ont été tués. (ZOHRA BENSEMRA / REUTERS)

«La Petite Suisse». C’est ainsi que l’on surnommait jadis la Kabylie, cette région qui s’étend sur 35.000 km² à l’est d’Alger, où a été enlevé et décapité Hervé Gourdel. Certes, le climat n’y est pas tout à fait le même que sur les rives du Léman – il fait 45 degrés à l’ombre en été ! – et elle est bordée par les eaux turquoise de la mer Méditerranée. Mais avec ses vastes forêts de résineux, ses stations de ski très prisées (le massif du Djurdjura culmine à 2.308 mètres) et ses parcs nationaux peuplés de mangoustes et de sangliers, elle rappelle un peu le pays du gruyère.
 
La comparaison s’arrête là. Sous ses dehors enchanteurs, la Kabylie est en réalité l’une des régions les plus torturées et les plus instables du Maghreb. D’abord parce que, depuis des décennies, ses habitants, en majorité des Berbères, sont en lutte contre le pouvoir d’Alger dont ils ne supportent pas «l’hégémonie».

Des montagnes infestées de bandits 
Implantés dans la région bien avant les Arabes, les Berbères doivent se battre pour conserver leur propre culture, leur propre langue (le tamazight) et leur propre alphabet. A plusieurs reprises, ils se sont révoltés pour tenter d’obtenir l’indépendance de leur territoire, ou à défaut un statut d’autonomie garantissant leurs droits et leurs libertés fondamentales. Mais à chaque fois, leur soulèvement a été réprimé dans le sang. En 2001, par exemple, les émeutes déclenchées à la suite de l’assassinat du chanteur Lounès Matoub ont fait 123 morts et des milliers de blessés.
 
Est-ce parce que le gouvernement ne fait rien pour lutter contre ce fléau, comme l’assurent les Kabyles ? En tout cas – c’est la deuxième plaie de la région –, leurs montagnes sont infestées de bandits. Intimidations, attaques d’automobilistes, rapts... ces  malfaiteurs ne reculent devant rien pour se remplir les poches. Selon les chiffres officiels, près 80 personnes ont été enlevées dans la région depuis 2005 pour des raisons crapuleuses et le plus souvent libérées contre rançon.

Le massif du Djurdjura en Kabylie, à l'est d'Alger, est la plus grande chaîne montagneuse du pays culminant à 2.300 m d'altitude. Un rêve pour les alpinistes, un repaire idéal pour bandits et terroristes. (FAROUK BATICHE / AFP)

L’atmosphère est si délétère que des villages entiers se mobilisent pour exiger l’intervention des forces de l’ordre. «Les délinquants ont pris possession de ma rue sans être aucunement gênés, témoigne un habitant de Bechloul, cité par La Dépêche de Kabylie. Il n’est plus possible de sortir ni tôt le matin ni même à la tombée de la nuit». Il y a quelques mois, l’Observatoire des droits de l’Homme (ODH), une ONG basée à Tizi Ouzou, la capitale régionale, a exigé que les autorités «assument leurs responsabilités (…) et mettent un terme aux enlèvements et à l’insécurité»
  
Des centaines de terroristes
Mais la Kabylie, toute la France vient de s’en rendre compte avec l’assassinat d’Hervé Gourdel, héberge des hôtes bien plus inquiétants encore : depuis la fin de la guerre civile, qui avait opposé dans les années 1990 l’armée aux islamistes du GIA (Groupe islamique armé), elle est devenue la principale base arrière du terrorisme en Algérie. Avec ses vallées profondes et ses grottes inaccessibles, elle offre un refuge parfait aux djihadistes. Et un terrain idéal pour mener des embuscades meurtrières contre l’armée algérienne, qui tente en vain de les déloger. Le 19 avril 2014, onze militaires ont été tués dans l’attaque d’un convoi près de Tizi Ouzou.
 
Combien de terroristes se cachent dans ces montagnes ? Impossible de le savoir avec précision. En mars 2003, les services de sécurité algériens estimaient leurs effectifs à environ 400 combattants. Mais depuis, leur nombre a probablement beaucoup augmenté. Et leur détermination aussi, puisque certains d’entre eux ont laissé tomber les disciples de Ben Laden – Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique), est soupçonné de se cacher en Kabylie – pour rallier la cause de Daech, plus radical encore. Baptisé «Jund-al-Khilafah» (les soldats du califat), leur nouveau groupe va sans aucun doute se livrer à une surenchère avec Aqmi, jugée «déviante».
 
En choisissant cette destination, Hervé Gourdel a couru sans le savoir au-devant du danger.

Toute l'Algérie est actuellement présentée comme une zone à risques sur le site du Quai d'Orsay. La Kabylie est en orange à l'est d'Alger. (Ministère des Affaires étrangères)


 Pour en savoir plus : le site du Quai d'Orsay.

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