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Algérie : Bouteflika mate ses services secrets et… se retrouve seul

La mise à la retraite du patron des services de renseignements algériens, le général Mediene, dit Toufik, tourne une page en Algérie. Le faiseur de présidents est limogé, après un long bras de fer avec le clan présidentiel. C’est surtout la fin des «Janviéristes», ces «décideurs» qui ont combattu l’islamisme armé dans les années 90.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le président algérien Abdelaziz Bouteflika en 2014. (CITIZENSIDE/FAYCAL NECHOUD / AFP)

Ses photos ont fait brusquement irruption sur les réseaux sociaux dimanche 13 septembre 2015. Les Algériens ne connaissaient de lui qu’une seule photo floue en civil. Le tout-puissant général Toufik (76 ans), qui a dirigé pendant 25 ans les redoutables services de renseignements de l'armée algérienne, a été limogé par le président Abdelaziz Bouteflika. Et les langues ont commencé à se délier. Abdelaziz Bouteflika continue sa purge, il a écarté tous ceux qui l’ont fait président.
 
«Le président Bouteflika n’est pas Néron, il n’est pas un opposant pour casser l’appareil de sécurité nationale», affirmait le 12 septembre, la veille du limogeage, Ahmed Ouyahia, chef de cabinet de la présidence et ancien Premier ministre.
 

La fin des «Janviéristes» ?
Les Algériens assistent médusés à un vaste chamboulement dans les services de renseignements. Ainsi, le général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Aït-Ouarabi, a été arrêté le 27 août à son domicile sur les hauteurs d'Alger, et placé en détention  provisoire à la prison militaire de Blida (50 km au sud d'Alger). Il a incarné pendant près de 20 ans la lutte implacable de l'armée algérienne contre les groupes islamistes armés. Les deux hommes (Toufik et Hassan) avaient en commun la volonté d’affaiblir, sinon d’anéantir, les islamistes armés. Ils faisaient partie des généraux, appelés par la presse «les Janviéristes», qui avaient décidé d’interrompre les élections du 16 janvier 1992 face au raz-de-marée de l’ex-parti islamiste, le Front islamique du Salut (FIS). Plus aucun d’entre eux n’est aux manettes, emportés par la mort ou évincés.
 
«Rab dzyar», «le Dieu de l’Algérie»
Jusqu'il y a peu, les Algériens osaient à peine chuchoter son prénom. «Pour parler de lui sans évoquer son nom, des responsables font le geste du fumeur en raison d'une prétendue affection pour le cigare», raconte le correspondant de l’AFP à Alger, Amer Ouali.

Depuis deux ans, le secrétaire général du parti majoritaire (FLN), Amar Sadani, a fait exploser tous les tabous en demandant la mise à l’écart du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) de la politique. «Le pouvoir en place s'est évertué, depuis deux années, à mettre l'opinion publique en condition psychologique d'attendre une seule nouvelle: le départ du patron du DRS, le général Toufik», analyse El Watan.


«Ils» ou «Eux»
«J’ai assisté à une réunion, cela se passait au début de l’année 99. L’Armée paniquait à l’idée de trouver un successeur au président Liamine Zeroual et s’est résolue à faire appel à Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier a exigé d’avoir un score plus élevé que son prédécesseur (61,34%). Une demande aussitôt acceptée. C’est aussi ça l’Algérie, "Ils" décident du résultat avant la tenue des élections. Il a été élu avec 73,8% des suffrages», se moque un opposant, passé par les rouages de l’Etat. «Ils» ou «Eux», un pronom personnel qui renvoie à un pouvoir fantasmé ou réel (formé d’une dizaine de généraux) qui gouverneraient le pays dans l’ombre, derrière la façade officielle.
 
Une page est tournée, et alors ?
La presse algérienne, qui a consacré une large place à ce limogeage, s’étonne presque de l’absence de conséquences. «Le mythe s'écroule. Sans grand bruit ni fracas, à première vue», constate Liberté.

Parallèle Bourguiba-Bouteflika. Le journaliste Ihsane El Kadi évoque la paranoïa et le syndrome de l’ancien président tunisien. «Habib Bourguiba n'a jamais pensé, durant cette longue agonie politique, organiser sa succession à son avantage. Abdelaziz Bouteflika est sur le même sentier. Pis, ou mieux encore, c'est selon le point de vue d'où l'on se place, le président algérien ne veut pas laisser derrière lui une capacité homogène de décision politique à la tête de l'armée.»

 
Les journaux sont unanimes : Abdelaziz Bouteflika dispose maintenant de tous les pouvoirs entre ses mains. Sa succession, non préparée, se posera tôt ou tard. A 78 ans, malade, il semble peu propable qu'il se représente pour un cinquième mandat. 
 
Toufik est devenu le prénom le plus commenté en Algérie. «Que reste-t-il de secret dans les services secrets algériens ?», ironise un site satirique. «Les dieux ne meurent jamais, ils ressuscitent souvent, et parfois sous d’autres formes», met en garde un éditorialiste.

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