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Afrique : présidents à vie cherchent constitutions à réviser

Des présidentielles pointent leur nez en 2016 sur les deux rives du fleuve Congo (République démocratique du Congo et Congo) et au Bénin et, avec elles, le spectre d'une révision constitutionnelle. La tentation de modifier la loi fondamentale pour briguer un énième mandat se précise. Les jeunes, dirigés en moyenne par des hommes qui ont trois fois leur âge, sont les premiers à s'y opposer.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un fonctionnaire dans un bureau de vote à Lubumbashi, en République démocratique du Congo (RDC), le 29 novembre 2011. La présidentielle de cette année-là a été entachée d'irrégularités et marquée par des violences meurtrières. (AFP PHOTO / PHIL MOORE)

L’ancien président burkinabè Blaise Compaoré espérait modifier, encore une fois, la Constitution pour briguer un nouveau mandat présidentiel en 2015 après vingt-sept ans de règne. Il a été obligé de quitter le pouvoir le 31 octobre 2014. S’attaquer à la Constitution à la veille d’un scrutin présidentiel s’apparente à une figure imposée sur le continent. Plus de la moitié des pays d'Afrique subsaharienne où la limite des deux mandats présidentiels a été atteinte a respecté cette «tradition» entre 1990 et 2008, selon le rapport sur la gouvernance en Afrique, publié par la Commission des Nations unies pour l’Afrique en 2009.
 

Modifications constitutionnelles en Afrique entre 1990 et 2007 dans les pays où les mandats présidentiels sont limités à deux.  (Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (Rapport sur la gouvernance en Afrique II 2009))



Des «astuces démocratiques» pour contrer la démocratie
Au Bénin, au Congo ou en République démocratique du Congo (RDC), où un scrutin présidentiel est prévu est en 2016, l’opposition et la société civile craignent une révision constitutionnelle. Au Congo, par exemple, le Parti congolais du travail (PCT) du président Denis Sassou Nguesso a déjà annoncé la couleur.

Dans une intervention le 6 mars 2015, le secrétaire général Pierre Ngolo la justifiait en soulignant combien la Constitution du 20 janvier 2002 apparaissait comme «une dénégation» de la souveraineté populaire. En cause, l’article 185 qui stipule que le Président peut être à l’initiative d’une révision constitutionnelle. Sauf si elle concerne, entre autres, la limitation des mandats. Seul un référendum l’autorise à s’engager dans une telle démarche (cf. article 186).

Demander l’avis du peuple pour rester au pouvoir, une astuce éculée. Ces consultations par voie référendaire sont en «théorie» une technique de démocratie directe. Mais dans la pratique, elles deviennent «plébiscitaires» en Afrique, fait remarquer Alioune Badara Fall, directeur du Centre d'études et de recherches sur les droits africains et sur le développement institutionnel des pays en développement (CERDRADI). «Les présidents africains utilisent un processus démocratique pour contourner " légalement" une règle démocratique normalement contraignante. La limitation des mandats est conforme à l’esprit démocratique parce qu’il garantit ou favorise l’alternance dans un pays», explique-t-il à Géopolis. 

Quand l’alternance est «bouchée», elle génère l’utilisation de la force : coup d’Etats et soulèvement populaires. «Sur les 204 présidents qui ont gouverné entre 1960 (année des indépendances, Ndlr) et 2004, plus de la moitié ont été renversés et seulement 25 ont quitté volontairement le pouvoir», indique une enquête citée dans l’ouvrage Fostering Constitutionnalism in Africa (Favoriser le constitutionnalisme en Afrique, 2010). La menace ne décourage pas pour autant les responsables politiques africains. 

Nostalgiques du monopartisme
Pourquoi ? Alioune Badara Fall a une explication: «Certains chefs d'Etat africains n’ont pas encore quitté ni l’esprit, ni les méthodes du parti unique bien qu’ils aient migré vers le multipartisme». Beaucoup de régimes y ont été contraints par leurs partenaires occidentaux, leur famille politique ou leurs concitoyens bien que «les Africains (n’aient) jamais ignoré la démocratie et ses manifestations». «Ils l'ont connue dans certaines régions d’Afrique avant la période coloniale», ajoute Alioune Badara Fall qui s’insurge contre l’idée d’une «démocratie à l’africaine» qui serait «prétendument» plus adaptée aux réalités du continent. «La démocratie est un concept universel», insiste-t-il.  

En Afrique du Nord - Algérie, Tunisie et Egypte -, la mue démocratique commence dès le début des années 80. Cependant, la Constitution égyptienne de 1980 illustre bien l'ambigüité qui prévaut chez les responsables politiques africains. La loi fondamentale instaure à la fois le multipartisme et fait sauter le verrou de la limitation à deux mandats présidentiels contenue dans l'acte de 1971, constate Abderrachid Abdessemed dans une analyse de l'instrumentalisation des Constitutions dans la région.

Dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne, le sommet France-Afrique de La Baule signe la fin «officielle» du monopartisme en 1990. Le constitutionnaliste Stéphane Bolle rappelle néanmoins que «dès la fin 1989 s’enclenche au Bénin un processus exemplaire de transition à la démocratie». Il sera maintes fois copié mais jamais égalé. C’est seulement au Bénin qu’il initiera un processus démocratique durable. Avant les Béninois, les Sénégalais avaient déjà opté pour le multipartisme en 1974. Au sein du Commonwealth, qui réunit la Grande-Bretagne et ses anciennes colonies, la déclaration d’Harare, signée en 1991 au Zimbabwe, encouragera dans le même sens les pays africains, surtout à partir de 1994.


 


Les jeunes, antidotes des «présidents à vie»
Ces dix dernières années, la pression des sociétés civiles africaines s'est rajoutée à celle de la communauté internationale. En première ligne de ces mouvement contestataires, les jeunes. Ceux qui avaient porté l’opposant Abdoulaye Wade et son fameux Sopi («Changement» en wolof et qui fut le slogan de sa campagne en 2000) au pouvoir l’obligeront à le quitter en 2012, alors qu'il briguait un troisième mandat, notamment grâce au mouvement «Y’en a marre». C’est un élan similaire, incarné par le «Balai citoyen», qui aura raison du régime Compaoré. En 2011, ce sont encore les jeunes qui mettent un terme au règne dictatorial de Ben Ali. Ce type de mobilisation est aujourd’hui craint.

Le 15 mars 2015, des leaders du mouvement sénégalais «Y’en a marre» et leur homologue burkinabè «Balai citoyen» ont été arrêtés à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). «Ils étaient là-bas dans le cadre des actions de résistance organisées par les organisations de la société civile contre la possible candidature de (Joseph) Kabila», a confié un porte-parole du « Balai Citoyen » au site Burkina 24.

La contestation est portée par une jeunesse de plus en plus en déphasage avec ceux qui la gouvernent. En 2013, le milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim, qui milite pour la bonne gouvernance à travers sa fondation, affirmait dans une tribune que la moyenne d’âge des présidents africains est de 63 ans alors que celle de leurs compatriotes est de 19 ans.

Inciter au départ
La limitation des mandats apparaît comme la modalité privilégiée dans les «Constitutions modernes africaines» pour assurer l’alternance démocratique en Afrique. Mais ses opposants lui préfèrent «un mandat ouvert». Ces derniers font valoir, peut-on lire dans Fostering constitutionalism in Africa, que de telles dispositions n’existent pas dans les pays développés. Cependant dans ces Etats, «même dans le cas où les restrictions de mandat ne sont pas explicitement ou implicitement stipulées, il existe des processus profondément ancrés en pratique visant à la succession régulière et sans conflit».

Inculquer une culture de la démocratie prend donc du temps. «Les pays africains ne s’essaient à la démocratie, dans la majorité des cas, que depuis 1990», fait remarquer Alioune Fall. «Tout processus exige une certaine expérimentation même si cela ne peut constituer une excuse». Pour lui, l’éducation et le développement économique sont quelques-unes des conditions pour parvenir à faire émerger des sociétés africaines démocratiques.

Pour les auteurs de Fostering constitutionalism in Africa, il faudrait également «créer des privilèges ou des indemnités et garantir l’immunité contre des poursuites judiciaires purement politiques» afin d’encourager les présidents africains à renoncer de leur propre chef à la magistrature suprême. Autrement, dixit l'ancien puschiste béninois Mathieu Kérékou reconverti à la démocratie, «si vous ne quittez pas le pouvoir, (il) vous quittera». 


 

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