L'Afghanistan, après les raids des talibans au coeur de Kaboul
Pendant dix-sept heures, les insurgés afghans ont mené six attaques suicide coordonnées dans le cadre de ce qu'ils appellent leur «offensive de printemps». Ces opérations ont notamment visé, dans la capitale, le Parlement, la Force internationale de l’Otan (Isaf) et des ambassades occidentales. Selon un bilan officiel, elles ont fait 51 morts, dont 36 assaillants, après l’intervention des forces de sécurité afghanes, soutenues par les Américains.
Démonstration de force
«Je suis immensément fier de la rapidité de la riposte des forces afghanes», a commenté le patron de l’Isaf, le général américain John Allen. Une déclaration qui vise à souligner la valeur des 352.000 militaires et policiers qui doivent progressivement prendre la relève des 130.000 militaires étrangers. Mais pour nombre d’experts et de diplomates, elle relève plutôt de la méthode Coué…
Car chassés du pouvoir en 2001, les talibans ont progressivement étendu leurs opérations de guérilla à la quasi-totalité du pays. Et par leurs actions des 15 et 16 avril, ils ont montré qu’ils étaient capables de viser des cibles majeures au cœur de lieux ultra-sécurisés. «Nous pouvons frapper n’importe où, quand nous le voulons», a déclaré fièrement leur porte-parole, Zabiullah Mujahid. «Ces attaques ont été choquantes par leur échelle et leur remarquable coordination dans différentes villes simultanément», commente pour sa part Abdul Waheed Wafa, analyste à l’université de Kaboul.
Des discussions au Qatar ?
Cette démonstration de force est en même temps très politique. Pour les talibans, il s’agit d’abord de frapper les esprits, de faire la une des médias internationaux et d’instiller le doute au sein de la population afghane (1). «Cela a ébranlé un peu plus la confiance des Afghans dans leurs forces de sécurité, en particulier parce que le gouvernement et les forces internationales leur répétaient ces deux derniers mois qu'ils avaient brisé l'élan des talibans», lâche l’universitaire cité plus haut. Certains observateurs vont jusqu’à faire un parallèle avec l’offensive du Têt au Vietnam en 1968….
Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si les attaques surviennent un mois avant le sommet de l’OTAN à Chicago. Sommet au cours duquel les gouvernements occidentaux doivent déterminer quel soutien ils apporteront à Kaboul après le retrait de leurs troupes.
Les insurgés entendent peut-être aussi faire monter la pression alors que des discussions auraient été engagées avec les Etats-Unis au Qatar. «Ils font monter les enchères pour être en position de force face aux Américains. Manière de leur dire : ‘Vous voyez, vous n’allez pas négocier avec des tocards’», estime un diplomate.
Et après le départ des Occidentaux ?
Pour autant, ces discussions seraient au point mort. Notamment en raison des divergences au sein du camp taliban. L’une des tendances de l’insurrection, celle dirigée par Djalâlouddine Haqqani, un ancien de la guerre contre l’URSS, serait plutôt hostile aux pourparlers et voudrait continuer la lutte jusqu’au bout. Or, selon le Pentagone, les attaques ont été perpétrées par des militants du réseau Haqqani. Implanté dans l'est de l'Afghanistan, ce réseau, qui serait soutenu en sous-main par le Pakistan, est l'une des composantes les plus actives de l'insurrection afghane. Il s’agirait donc pour lui d’établir un rapport de force favorable face à ses rivaux…
Quoiqu’il en soit, cette «démonstration de force», assure un diplomate occidental, «augure bien mal de l’avenir». Elle montre à la fois la faiblesse du pouvoir à Kaboul et la puissance des talibans, en position de reprendre le pouvoir après le départ des Occidentaux.
Et si ceux-ci l’emportaient, que se passerait-il ? Déjà pointe «le risque d’un nouveau conflit, civil et ethnique» dans un pays qui est une véritable mosaïque. Le Sud de l’Afghanistan, pachtoun est plutôt bienveillant à l’égard des insurgés. Alors que dans le Nord (tadjik, ouzbek, hazara…), les talibans «sont perçus comme le véhicule de l’hégémonisme pachtoun». Aujourd’hui, il flotte sur l’Afghanistan «comme un air de ‘sauve-qui-peut‘ porteur de tous les périls»…
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