: Récit "J'ai fait un trou dans le plafond et je suis monté dans les combles" : des habitants de l'Aude racontent la nuit où une "vague" a submergé leurs villages
Dans ce département, plusieurs communes ont été submergées, dans la nuit de dimanche à lundi, par les pluies torrentielles et le débordement de cours d'eau.
Il a plu tout l'après-midi, dimanche. Mais tout a dégénéré, dans l'Aude, dans la nuit du 14 au 15 octobre. L'équivalent de trois ou quatre mois de précipitation s'est abattu en quelques heures sur le département, où les habitants de plusieurs communes ont été piégés par la montée des eaux. Selon un bilan de lundi soir à 19h30, ces inondations ont fait au moins 11 morts, des personnes âgées surtout, qui n'ont pas pu échapper à la "vague" qui a submergé plusieurs communes. Des habitants de Villegailhenc et Trèbes, à quelques kilomètres de Carcassonne, racontent comment leurs communes ont été ravagées.
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"Cette nuit, le bruit de la pluie sur le toit était insoutenable", décrit Inès, lycéenne de 17 ans, à franceinfo. La jeune fille habite dans le haut de Villegailhenc, qui n'a pas été inondé, mais où la nuit a tout de même été agitée. "Les volets claquaient. Il y avait des coupures de courant toutes les deux minutes", se souvient-elle. "Vers minuit, ça pleuvait fort, fort", appuie aussi Philippe Coste, interrogé par Midi Libre. Mais au fil de la nuit, la situation empire. Cet artisan installé à Villegailhenc est réveillé par "quelque chose qui a tapé contre la façade" de sa maison. "J'avais un mètre d'eau à l'intérieur. (...) Les chiens, dans leur panier, flottaient", raconte-t-il. Saisi de peur, il bricole de quoi se réfugier dans le grenier de sa maison. "J'ai mis deux tables l'une sur l'autre, j'ai fait un trou dans le plafond et je suis monté dans les combles avec mes deux chiens", décrit l'artisan.
"On a passé la nuit dans les combles"
Estelle, mère de famille, voit aussi sa maison prendre l'eau, y compris par le toit. Son conjoint constate que la pluie "commence à sortir par les spots électriques", raconte-t-elle à franceinfo. "On s'est réfugiés à l'étage (...) on a essayé de sauver ce qu'on pouvait. Des habits, l'électroménager, un peu de nourriture pour les petits", poursuit Estelle.
Gérard habite au bord d'un des ruisseaux qui serpentent dans la commune. Il a à peine le temps de monter à l'étage de sa maison, où stagne déjà "un mètre d'eau". "Heureusement qu'on avait des combles, là-haut. On s'y est réfugiés avec le chat et le chien. On a passé la nuit là", raconte-t-il à franceinfo. Gérard se souvient surtout de "la violence" des eaux. "On voyait passer des bagnoles partout dans les flots. C'est inimaginable. Je ne pensais pas que cela puisse exister, un truc pareil, aussi rapide surtout."
J'avais surtout peur qu'on parte avec la maison.
Gérard, habitant de Villegailhencà franceinfo
Vers 2 heures du matin, le pont principal de la commune est emporté par le courant. La ville devient alors une "quasi-île", selon la gendarmerie. Mais Nicolas Masson ne s'est "rendu compte de rien", jusqu'à ce que son chien aboie, vers 3 heures du matin. "Quand j'ai regardé par la fenêtre, il n'y avait plus rien, notre voiture avait disparu", raconte-t-il à Midi Libre. Il aperçoit alors un couple, dans une voiture, "en perdition". "On a décidé d'aller les chercher. (...) Il y avait au moins 80 cm d'eau et les gens ont eu du mal à s'extirper de leur voiture, c'était très violent", se rappelle-t-il. Il décrit encore "une vague qui a déferlé sur le village". Selon lui, Villegailhenc ressemble désormais à "un lac".
Julien, étudiant, était à Carcassonne quand sa mère lui a téléphoné, au milieu de la nuit. "Il y avait des infiltrations de boue dans la maison et ça avait disjoncté", rapporte-t-il à franceinfo. Quand elle le rappelle vers 6 heures, elle lui décrit le paysage dévasté qui s'étend sous ses yeux : "Sa voiture était submergée. Le terrain de la maison était saccagé : le portail, arraché, le cabanon sur la dalle de béton s'était déplacé." "Elle me dit qu'on ne reconnaît plus le village", témoigne Julien, qui ne peut pas rejoindre sa mère, les axes routiers étant coupés.
Dans la panique, certains habitants sont sortis de chez eux, au péril de leur vie. "Nous avons aussi été alertés par le fils d'une personne qui avait quitté sa maison, effrayée par la montée des eaux", raconte Luciano Stella. "Nous sommes allés la chercher dans la forêt et nous l'avons retrouvée sur un chemin, elle était en hypothermie", poursuit l'élu. Agée d'une cinquantaine d'années, cette habitante avait passé "quatre heures dans les bois" en pleine nuit, "pieds nus", ajoute Roselyne Navarro, membre du comité d'action sociale de la ville.
"La journée va être difficile"
La nuit touche à sa fin. A Trèbes, Claude Doumenc, le boulanger, est déjà dans son fournil. Mais ce lundi matin ne ressemble à aucun autre. "Il continue de pleuvoir de plus belle. Ça ne s'arrête pas. Toute la nuit il a plu", constate-t-il, joint par France 2. Dans la boulangerie, impossible de travailler. "On n'a pas d'électricité. On est dans le noir. On s'éclaire avec nos téléphones portables. La journée va être difficile, et même les jours à venir."
Au petit matin, les habitants découvrent l'ampleur des dégâts autour d'eux. "On a de l'eau dans la maison, de l'eau partout. Tout est inondé, partout dans le village. Un pont s'est écroulé. Il y a des pompiers partout, on ne sait plus où donner de la tête", témoigne par téléphone une habitante de Villegailhenc, Hélène Ségura, jointe par l'AFP. "Par la fenêtre, je vois de l'eau et de la boue partout."
"Tout le monde est sous le choc parce que ça été très violent", raconte à l'AFP le maire de Villegailhenc, Michel Proust. Des "maisons ont 1,20 mètre d'eau et les bâtiments communaux, idem. Et puis il y a beaucoup de casse, il y a beaucoup de destruction." "La solidarité va jouer entre la famille, les voisins, espère l'élu local. On n'a pas d'eau, pas d'électricité donc il va falloir distribuer de l'eau, maintenant."
C'est difficile et puis ce sont des affaires de famille qui partent, ce sont des souvenirs et ça, ça ne peut pas se remplacer. Donc les gens sont un petit peu abasourdis.
Michel Proust, maire de Villegailhencà l'AFP
Dans la région de Carcassonne, les cours d'eau se sont mués en torrents déchaînés de boue. Des champs sont inondés, des arbres déracinés et plusieurs routes impraticables, voire détruites. Des voitures ont été emportées par les flots. Un automobiliste a eu beaucoup de chance. "Ça a soulevé la voiture. Les voitures qui étaient sur le côté sont venues s'encastrer dans la mienne. Les pompiers sont venus nous chercher. Même le pompier a failli être emporté", témoigne-t-il sur France 2.
Au monastère du Buisson Ardent de Villardonnel, une religieuse de 88 ans, sœur Elisabeth, a été retrouvée morte "sous les cyprès" à proximité du couvent. "Le courant a ouvert la porte du bâtiment, puis celle de sa cellule – qui est le point le plus bas du cloître. Il a emporté ses meubles, qui ont fracassé la véranda", raconte sœur Irène, responsable de ce monastère orthodoxe, à l'AFP. Une autre religieuse de cette communauté a été sauvée "in extremis", précise Luciano Stella, maire de Villardonnel.
"Vous restez bien en hauteur !"
A Trèbes, vers 7h30, l'Aude atteint 7,68 mètres, selon Vigicrues. Le fleuve est tout près de son record de 7,95 mètres, mesuré en 1891. La crue "a inondé tout le cœur de ville", "il y a de l'eau jusqu'à la mairie", témoigne la sénatrice de l'Aude, Gisèle Jourda, sur Public Sénat.
Le service des pompiers a pu commencer à agir quand le jour s'est levé. Actuellement, on procède au sauvetage de personnes qui se sont trouvées isolées chez elles ou sur les toits.
Gisèle Jourda, sénatrice de l'Audeà Public Sénat
Les rues de Trèbes envahies par les eaux sont quasi désertes. Les secouristes en tenues de plongée y circulent en barques. Redoutant de découvrir des victimes, ils inspectent chaque maison, quitte à en escalader les grilles, afin de s'assurer que les habitants sont en sécurité. "Vous restez bien en hauteur ! Vous n'essayez pas de descendre", lancent-ils aux habitants, calfeutrés à l'étage dans leur maison.
A Carcassonne, le maire, Gérard Larrat, a les yeux rivés sur le cours de l'Aude qui traverse la ville. "Ce qui me préoccupe actuellement, c'est la montée du fleuve", confie-t-il à franceinfo en début de matinée. "A 4 heures du matin, la hauteur était de 2 mètres et maintenant [un peu avant 10 heures] on atteint 5 mètres et ça continue à monter", s'inquiète-t-il. En l'espace de cinq heures, entre 150 et 300 mm d'eau sont tombés sur l'agglomération, selon Météo France. Mais pour l'heure, "la ville est calme". "Les gens ont suivi les consignes : personne ne sort, les écoles sont fermées, il n'y a pas de circulation de bus." Et l'eau s'est déja infiltrée dans les sous-sols de l'hôpital. Les patients, dans les étages, sont à l'abri, mais les ascenseurs sont en panne et les pompiers ont été appelés pour pomper l'eau.
A Pezens, les 1 800 habitants ont été évacués par précaution, dans la matinée. Un barrage risque de déborder et d'inonder la commune. "Il ne reste que la cellule de crise", explique le maire, Philippe Fau, en début d'après-midi sur franceinfo. Une grande partie des habitants ont trouvé refuge "dans des locaux municipaux sur Alzonne et sur la commune de Bram". Beaucoup d'autres sont hébergés chez "des amis ou de la famille sur Carcassonne". Le Fresquel, la rivière qui traverse Pezens, est monté à toute vitesse et il "est en lien direct avec les zones où se situent des retenues d'eau, des barrages", relate l'élu. "Hier il y avait 20 cm d'eau hier, aujourd'hui il y a 4,20 mètres. C'est monté de quatre mètres en une heure. On n'a jamais connu ça. C'est une crue centennale, avec toute la dangerosité liée à de tels phénomènes."
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