A Soulac, "on ne pouvait pas savoir que la mer allait monter aussi vite"
Un peu plus d’un an après l’évacuation du Signal, un bâtiment résidentiel menacé par l'avancée de l'océan, devenu le symbole de l'érosion de la côte aquitaine, francetv info a rencontré ses anciens habitants.
"Faites gaffe où vous marchez, quand même", conseille Jean-José Guichet en approchant du Signal. Les éclats de verre s'éparpillent autour de l'imposant immeuble beige de quatre étages, en passe d'être démoli. Trente-cinq plaintes pour vandalisme ont été déposées par certains des 78 copropriétaires de cette résidence de Soulac-sur-Mer (Gironde), évacuée il y a un an. "Tout était neuf. Maintenant, tout est arraché, cassé. Et ça continue...", soupire le président du conseil syndical en constatant les marques laissées par un pied de biche sur les chambranles.
Au premier étage, le vieil homme à la gapette et aux yeux bleus ouvre la porte en bois de son appartement. "A priori, c'est l'un des seuls qui n'a pas été vandalisé." A l'intérieur, les souvenirs se sont envolés avec les meubles, donnés à des associations. Le 29 janvier 2014, Jean-José Guichet a dû quitter définitivement le Signal, sur décision du préfet, en raison de l'érosion inexorable de la dune supportant l'immeuble construit dans les années 1960. Il était l'un des premiers à s'être offert une vue sur l'océan, en 1978.
Une bataille judiciaire pour les anciens résidents
Comme les 77 autres copropriétaires, il se bat maintenant pour obtenir réparation. Un parcours semé d'embûches. En décembre, le tribunal administratif a rejeté leur requête, estimant que ce problème d'érosion était de leur responsabilité. Une loi de 1807 stipule, en effet, que la protection de l'habitation face à l'érosion de la côte relève du propriétaire. Quant au fonds Barnier, dispositif permettant d'être indemnisé en cas d'expulsion pour "risque grave et imminent", il ne s'applique pas dans le cas du Signal.
Les anciens propriétaires ont refusé le dédommagement proposé par l'Etat : l'enveloppe s'élevait à 1,5 million d'euros pour un immeuble estimé à environ 9 millions. Une honte pour Danielle et Vincent Duprat. "Certains ne percevraient que 20 000 euros pour des appartements qui en valent 150 000 !", s'insurgent-ils autour de la table de leur maison bordelaise.
Il y a des gens pour qui c'était le seul bien ! Certains se sont privés toute leur vie. Maintenant, ils n'ont plus de toit, et des crédits à payer pendant quinze ans.
Le couple jouissait d'un quatre pièces au 4e étage, acheté en 1998. Tous les week-ends, ils faisaient la route entre Bordeaux et Soulac pour voir l'océan. Depuis la retraite de Vincent, ils y passaient six mois par an. Comme les autres, les Duprat se sentent trahis par la municipalité. "Le sénateur-maire Xavier Pintat ne nous a jamais dit qu'il y avait la loi de 1807 et que c'était à nous de nous protéger !", s'exclame Danielle avec son accent chantant.
Le couple s'étonne surtout de "l'inégalité de traitement" en comparaison avec la zone de l'Amélie, quartier voisin de Soulac. La digue y a été rallongée de 150 m après les tempêtes de 2014. Facture des travaux : 2,5 millions d'euros, "pour protéger pas grand-chose", selon les Duprat. Ils se demandent pourquoi on n'a pas fait la même chose devant chez eux. "Comment les gens peuvent comprendre que c'est possible à l'Amélie, mais pas au Signal ?", s'étrangle Danielle.
Les copropriétaires du Signal soupçonnent le sénateur-maire de Soulac d'avoir favorisé la zone de l'Amélie, où l'élu et sa famille possèderaient des intérêts. Mais en décembre, le tribunal leur a donné tort. Dans son jugement, il estime que "le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi", rappelle Sud-Ouest. Il souligne, par ailleurs, que cette zone, où sont notamment installés un camping et deux villas, "présente un intérêt économique significatif" pour la ville. Les copropriétaires du Signal ont fait appel. Cinq d'entre eux ont entrepris une grève de la faim, rapporte France 3.
"C'était toutes mes économies, vous comprenez"
Dans le bâtiment saccagé, Jean-José Guichet concède son amertume. "Il n'y a plus rien d'humain là-dedans. Revenir ici me rend mauvais", confie cet ancien pétrolier, qui a acheté à Soulac pour sa femme, liée à la ville, et ses filles. Face à l'océan, les souvenirs déferlent. "Voilà la vue qu'on avait le matin, avec le phare de Cordouan. Au large, on voyait les bateaux stationner pour le changement de pilote qui se fait par hélicoptère. Pour mon petit-fils, l'hélicoptère, c'était le moment de la journée", raconte le presque octogénaire.
Le souvenir de l'évacuation reste à vif, notamment chez Jacqueline Gandoin, "la doyenne du Signal" comme elle se surnomme. Elle était l'une des quatre résidents à l'année de l'immeuble et a mal vécu ce moment.
On nous a évacués comme des malpropres. On n'a bénéficié d'aucun moyen pour nous aider et on nous a coupés l'eau, le gaz et l'électricité. Ça, je ne l'ai pas digéré. J'ai tout juste réussi à avoir un groupe électrogène pour descendre mes volets électriques afin d'éviter le vandalisme.
La dame de 83 ans, propriétaire d'un 70 m2 au rez-de-chaussée, reçoit désormais dans son petit 29 m2 du Soleil d'or, une résidence pour personnes âgées située à la sortie de Soulac. Contrairement à son chat, elle vit mal cette exiguïté forcée. "J'avais quatre pièces là-bas. Quand on a un certain âge et qu'on a connu autre chose, c'est un peu décevant de se retrouver dans un appartement qui pourrait être celui d'un étudiant", souligne-t-elle, en balayant du regard son salon ensoleillé. Et puis, "c'était toutes mes économies". Désormais, Jacqueline débourse 500 euros de loyer par mois, auxquels s'ajoutent les charges du Signal, ainsi que les frais de copropriété et d'avocat. Avec une retraite de 1 600 euros par mois, elle se "modère totalement".
Une érosion bien trop rapide
En marchant sur la plage ensoleillée de ce début mars, on comprend ce qui a séduit les habitants du Signal. Mais ne se sont-ils jamais méfiés du recul prévisible de la dune ? "Il y avait une érosion sourde qui pouvait laisser entrevoir que ça allait empirer, confirme Jacqueline Gandoin. Alors, au moment d'acheter, en 2005, je suis allée à la mairie. On m'a rassurée. On m'a dit qu'on ne laisserait jamais tomber le Signal. Moi, je n'y connais rien, je leur ai fait confiance."
Habitants comme autorités semblent s'être fait surprendre par la rapidité du phénomène. Le passage de la tempête Xynthia, en 2010, a été redoutable. En une nuit, la dune qui passait devant la cuisine de Jacqueline Gandoin s'est envolée. "Le réveil a été très violent", sourit-elle sur sa chaise.
Le matin, quand j'ai vu la mer, j'ai cru que j'avais fait un AVC pendant la nuit. J'ai pris un journal et j'ai essayé de lire à voix haute. Je lisais très bien. Puis j'ai parlé au chat. Tout allait bien. Non, c'était la mer ! Je voyais la mer et le phare de Cordouan, dans toute leur plénitude. Tout le sable était parti.
Après ça, le sable n'a plus résisté aux gros coups de vent. "On ne pouvait pas savoir que ça allait monter aussi vite", admet Jean-José Guichet en montrant l'endroit où cassent les vagues. "Quand j'ai acheté, mes filles étaient très jeunes et on voyait à peine la mer. Elle était à 200-250 m." Trente-cinq ans plus tard, seule une dizaine de mètres séparent la crête de dune du Signal. Jacqueline Gandoin regrette : "J'ai fait une erreur en achetant là-bas. Moi non plus, je n'ai pas anticipé la gravité de la situation."
Philosophe, la grand-mère au regard doux sait qu'elle finira ses jours au Soleil d'or. L'indemnisation, elle espère surtout l'obtenir pour ses petits-enfants. Pour elle, "c'est fini". Le Signal, elle n'y retourne que "pour constater les dégâts", "l'estomac noué". Mais la vue lui manque. Alors, bientôt, un poster accueillera les visiteurs dans son nouveau chez elle. Il montrera l'immeuble et le phare, au large.
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