Voitures électriques : la "montée en gamme" des constructeurs est "problématique par rapport à l'objectif climatique", juge un spécialiste
Alors qu'Emmanuel Macron a annoncé plusieurs mesures pour favoriser la production et l'achat de véhicules électriques, le chercheur Bernard Jullien déplore que les "technologies" et "matières premières" soient "pour l'instant assez largement chinoises".
Les constructeurs automobiles s’engagent "sur une espèce de montée en gamme avec l’électrique qui est hautement problématique par rapport à l'objectif climatique", estime lundi 17 octobre sur franceinfo Bernard Jullien, maître de conférences à l'Université de Bordeaux et spécialiste de l'industrie automobile. Emmanuel Macron, a annoncé dimanche dans Les Échos plusieurs mesures pour inciter les Français à acheter des voitures électriques. Le président de la République vise un million de véhicules produits en France avant la fin du quinquennat.
franceinfo : 100% de voitures électriques vendues en France dans 10 ans, est-ce possible ?
Bernard Jullien : Il faut effectivement multiplier les capacités de production à la fois des véhicules, des batteries et des composants par dix ou quinze. Évidemment, ça veut dire que tout reste à faire et que, d'une certaine manière, le paysage qu'on nous décrit comme étant outrancièrement dominé aujourd'hui par l'industrie chinoise, il peut aussi s'inverser. Evidemment, ça réclame un volontarisme dont Emmanuel Macron semble avoir envie de faire preuve.
Une filière électrique 100% française cela vous semble réaliste ?
Il faut modérer. On voit bien que dans trois usines de batteries qui se dessinent en France, on en a une qui va être plutôt franco-allemande. On en a une autre qui va être plutôt franco-française. Et puis, on a une troisième qui est assez clairement chinoise. Donc, il y a effectivement urgence et donc nécessité de faire avec ce dont on dispose pour l'instant, étant donné l'avance prise par l'industrie chinoise. On est presque contraint, c’est le cas des Allemands et de la France aussi, de recourir aux technologies et aux matières premières qui sont pour l'instant assez largement chinoises. Mais ça peut changer.
Emmanuel Macron annonce une augmentation du bonus de 1 000 euros pour le porter à 7 000 euros. Est-ce que les constructeurs vont l’intégrer dans les prix de vente ?
On est à peu près certain qu'il va y avoir une intégration dans les prix de vente. Des constructeurs avaient dit que l'électrique allait être une catastrophe économique, que ça allait plomber leur profitabilité et qu'ils feraient tout pour ne pas en vendre plus que nécessaire. Et puis aujourd'hui, ils ont une appétence pour l'électrique, qui renvoie au fait que c'est très profitable. Et si c'est profitable, c'est en partie parce que l'État subventionne.
La voiture électrique la plus vendue en France aujourd'hui est la Peugeot 208 qui coûte deux fois plus cher à l'achat que sa version thermique. Quand les voitures électriques seront-elles moins chères ?
Il y a un vrai enjeu parce que ce qu'on veut, ce n'est pas arrêter de vendre des voitures thermiques en 2035. Ce qu'on veut, c'est être propre en 2050. Et pour cela, il faut certes immatriculer des véhicules électriques, mais il faut les immatriculer en nombre et pour les immatriculer en nombre, il faudra qu'elles soient moins chères. Pour l'instant, on s'engage sur une espèce de montée en gamme avec l’électrique qui est hautement problématique par rapport à l'objectif climatique et de surcroît, risque de favoriser l'industrie allemande plutôt que l'industrie française. La voie française, c’est ce que Montebourg appelait autrefois les "véhicules populaires propres". C'est la voie qu'il faut suivre. Il semble que Renault, avec la R5, est sans doute avec la 4L, ait envie d'aller dans ces travées-là.
Pourquoi il n’y a pas plus de bornes électriques en France ?
On a des opérateurs privés qui savent qu'ils vont perdre de l'argent s’ils vont sur ces travées-là. Aujourd'hui, évidemment, dès que les ménages achètent des véhicules électriques, ils rechargent soit au bureau, soit chez eux, parce que c’est moins cher, parce que c'est plus pratique, etc. Donc aujourd'hui, ce dont on a besoin, c'est d'un plan systématique de recharge au bureau, de recharge à l'usine, de recharge éventuellement sur les supermarchés, etc. La recharge sur la voie publique, ce sera toujours une impasse économique.
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