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Reportage "L'été, ici, c'est de pire en pire" : dans une cité HLM de Bordeaux, les habitants accablés par des températures invivables

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Construite à la fin des années 1970, la cité du Port de la Lune souffre d'une mauvaise isolation thermique, selon de nombreux habitants. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Dans le quartier de Bacalan, les résidents de la cité du Port de la Lune ont vécu de plein fouet les vagues de chaleur de l'été 2022. La conception des bâtiments et le manque d'espaces verts sont pointés du doigt par les habitants.

"Pour trouver un peu de fraîcheur, pas de secret : il faut se lever tôt." Voilà la devise de Samir, habitant de la cité du Port de la Lune, dans le nord de Bordeaux. Assis dans sa voiture, portes grandes ouvertes, il profite d'un filet de vent avant d'aller au travail. A 7 heures du matin, son tableau de bord affiche déjà 23°C à l'ombre. En ce mercredi 10 août, le mercure doit grimper jusqu'à 40°C. "Insupportable", réagit Samir, qui avoue "fuir la cité" lorsqu'il fait trop chaud. "Chez moi, l'air ne circule pas, c'est comme un four, une rôtisserie même !" souffle le technicien automobile, avec un sourire qui tire vers la grimace. 

Un parking de la cité du Port de la Lune dans le quartier de Bacalan, à Bordeaux (Gironde). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Pas moins de sept barres d'immeubles composent cette résidence construite en 1977 dans le quartier de Bacalan, bordé à l'est par la Garonne et ses flots couleur caramel. En arrière-plan, la rocade et le gigantesque pont d'Aquitaine donnent des airs new-yorkais à cet ensemble modeste, dont les bâtiments comptent entre sept et neuf étages. Et du premier au dernier, la chaleur squatte toutes les conversations.

"La température ne baisse que vers 3 heures du matin"

Cloîtrée dans sa pièce de vie, Christine, la soixantaine, angoisse à l'idée d'affronter une nouvelle canicule. Depuis plus d'un mois, la retraitée passe ses journées dans l'obscurité, persiennes tirées. L'appartement reste "un nid de chaleur" déplore-t-elle, malgré l'achat de quatre ventilateurs. "L'air chaud rentre et ne veut plus quitter l'appartement", résume-t-elle. Un climatiseur mobile, que des amis lui ont récemment prêté, lui apporte un peu de répit. "Il est ancien mais il travaille bien", sourit-elle. L'imposante machine dispose d'un conduit qui traverse la pièce et déborde sur le balcon. Il est 10 heures du matin et il fait 28°C dans l'appartement. "Qu'est-ce que ça serait sans ?" lance Christine, songeuse. 

Christine, résidente de la cité du Port de la Lune, compte sur son climatiseur pour rafraîchir le logement social où elle habite. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Dans le salon, le climatiseur cohabite avec un chauffage d'appoint, qui "prendra le relais cet hiver" explique la sexagénaire. Pour elle, l'isolation thermique de ces logements HLM est loin d'être suffisante. "On suffoque en été, on se gèle en hiver, et pour corriger tout ça, c'est de notre poche", pointe celle qui dépense plus du tiers de sa petite retraite dans son loyer. Frappé par des vagues de chaleur persistantes, le Sud-Ouest a vécu un mois de juillet caniculaire, avec de nombreux records battus dans la région, à plus de 40°C. "L'été ici, c'est de pire en pire, maugrée Christine. Avant, on arrivait à s'en sortir, mais désormais c'est de la chaleur presque en continu (...) et les bâtiments ne sont plus du tout adaptés."

"Ça m'arrive de prendre le tram jusqu'au terminus ou de traîner au magasin Lidl juste pour être au frais."

Christine, résidente du Port de la Lune

à franceinfo

Un constat partagé par de nombreux voisins, comme Mehdi, 39 ans, qui habite plus à l'est. Dans son trois-pièces décoré avec soin, il allume la lumière en plein après-midi ; les fenêtres sont calfeutrées. Un ventilateur tourne à côté du linge qui sort tout juste de la machine à laver. "C'est ma femme qui a trouvé cette technique, sourit-il, ça évite d'avoir de l'air trop sec." Pour ce conseiller-vendeur en téléphonie, la chaleur ne fait qu'accentuer les défauts de son immeuble.

"On habite dans une boîte de béton, s'insurge-t-il, ils ne refont qu'en surface, et les problèmes restent." Le père de famille a observé une recrudescence des moisissures et des nuisibles depuis le début de l'été, sans parler des conséquences de la chaleur sur le sommeil. "La température ne baisse que vers 3 heures du matin, et à 6 heures, ça repart déjà", explique-t-il. Alors pour se rafraîchir, lui, sa femme et son fils, "c'est trois petites douches par jour et la piscine municipale, quand on peut y aller".

Un été "plus difficile que les autres"

Six étages plus haut, en plein après-midi, l'appartement de Karine est une étuve. "Je n'ai pas de thermomètre, je ne préfère pas savoir. Mais on dépasse facilement 30°C", assure cette assistante en ressources humaines, qui vit seule avec sa fille adolescente. Pour discuter, Karine préfère s'installer au rez-de-chaussée, dans le hall d'entrée. "Il fait déjà plus frais, c'est beaucoup mieux", se justifie-t-elle. Locataire de la cité depuis treize ans, elle trouve cet été "bien plus difficile que les autres"

"Depuis juillet, on vit dans le noir et toujours en sous-vêtements. L'après-midi, on rattrape le sommeil que l'on n'a pas eu la nuit."

Karine, 46 ans, résidente du Port de la Lune

à franceinfo

Face aux températures élevées, cette quadragénaire énergique a tenté de prendre les choses en main. "Je bois trois litres d'eau par jour, j'ai déplacé ma douche du matin à l'après-midi, mais ça ne suffit pas", regrette-t-elle. Des ventilateurs, elle en a installé, mais les courants d'air la font tomber malade. Alors elle se réfugie sous les quelques arbres qui bordent la cité. "Il pourrait y avoir plus de végétation, ça apporte de la fraîcheur, suggère-t-elle. Et aussi des bancs mieux placés, c'est-à-dire pas au soleil les trois quarts de la journée..." 

Karine, résidente de la cité du Port de la Lune à Bordeaux (Gironde), profite de l'ombre à l'entrée de son immeuble. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Pour les espaces verts, cela relève de la municipalité. Mais pour le reste, c'est au bailleur social que Karine voudrait s'adresser. "Des travaux d'isolation ont été réalisés il y a quelques années, mais c'est surtout pour nous protéger du froid, explique-t-elle. Peut-on faire quelque chose pour l'été ?" Contacté par franceinfo, Mésolia, le bailleur en charge de la cité du Port de la Lune, répond que "des réflexions sont en cours" sur la réhabilitation des immeubles, même si "aucun aménagement n'est prévu pour cette cité""Dans les logements qui ne sont pas traversants, c'est très difficile d'améliorer les choses, souligne l'organisme. Les immeubles sont blancs, c'est déjà ça (...), mais on étudie la création d'îlots de fraîcheur, la pose de volets ou de rideaux.

"Cet été fait bouger les lignes. On va être obligés de penser différemment."

Mésolia, bailleur social dans le Sud-Ouest

à franceinfo

En l'absence d'amélioration, Karine se pose la question du départ. "Ce n'est pas seulement à cause de la chaleur, même si ça joue, tempère-t-elle. On voudrait bouger, mais pour aller où ? Dans les logements sociaux, c'est souvent la même chose, et ça pourrait même être pire !" Pour adapter ces logements aux nouvelles conditions climatiques, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) compte débourser près de 10 milliards d'euros dans le cadre d'un vaste plan national. Mais de l'aveu même de l'agence, la destruction d'un immeuble des années 1960 pour faire place à un nouvel édifice apporte plus de gains énergétiques que sa réhabilitation – un constat qui en dit long sur les performances de nombreux HLM en France.

Vagues de chaleur et de solidarité

Pour les résidents du Port de la Lune, la hausse du mercure est en tout cas synonyme de vigilance et d'entraide. Après avoir étouffé sous la fournaise de juillet, à cause de l'air trop sec notamment, Christine s'est vu prêter un climatiseur. Mehdi garde, lui, un œil sur la porte d'en face, où une voisine âgée vit seule et alitée. Karine met un point d'honneur à appeler tous les jours ses parents de 73 et 78 ans, qui vivent aussi dans la cité, et leur rend souvent visite. "Je vérifie qu'il y a toujours de l'eau au frais, qu'ils ne sont pas trop assommés par la chaleur", détaille-t-elle.

A l'aide de son triporteur, Sara, 27 ans, livre les courses aux habitants les plus fragiles de la cité du Port de la Lune, à Bordeaux (Gironde). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Les plus fragiles peuvent aussi compter sur Sara, boule d'énergie de 27 ans, qui s'occupe des "courses solidaires" au sein de la régie de quartier. Sur son vélo triporteur, la jeune femme livre toute la semaine des produits de première nécessité, qu'elle monte jusque dans la cuisine des bénéficiaires. "Depuis juin, j'ai vu une explosion du nombre de packs d'eau !" sourit la Bordelaise, dont le téléphone sonne en continu.

Elle le répète, sa mission consiste aussi à casser l'isolement, qui est plus marqué pendant les périodes de grande chaleur. "Pour certains bénéficiaires, je suis la seule personne qu'ils verront de toute la journée, car ils ne sortent plus, explique-t-elle. Beaucoup se plaignent de maux de tête, ils sont somnolents, plus irritables aussi." Face à la demande, Sara s'est interdit de prendre des congés. "L'été, ça devient de plus en plus compliqué dans la cité, et ce n'est pas parti pour s'arranger", soupire celle qui espère trouver un peu de fraîcheur loin de Bordeaux "fin septembre, peut-être".

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