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Fatigués de l'avion, inquiets pour la planète… Des voyageurs racontent pourquoi le train les séduit pour parcourir l'Europe

Pour ceux qui osent prendre le train pour se rendre aux confins de l'Europe, le temps et la facilité perdues par rapport à l'avion sont compensés par un meilleur bilan carbone, mais aussi un autre rapport au voyage, propice à la découverte.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Un voyageur observe un paysage écossais depuis la fenêtre d'un train entre Glasgow et Mallaig, le 5 avril 2019. (LAURENT COUSIN / HAYTHAM PICTURES-REA)

"Quand je leur dis que je vais à Prague en train, mes amis me disent que je suis fou !" En préférant le rail pour une destination que les Français rallient plutôt en avion, Denis fait figure d'original. Pour combien de temps ? Depuis plusieurs années déjà, des voyageurs éprouvent de la "honte" face au bilan carbone de leurs escapades en avion. En France, certains vols intérieurs pourraient disparaître, et, dans son interview du 14-Juillet, Emmanuel Macron a fait miroiter une relance du train de nuit.

Certains touristes ont poussé la réflexion plus loin. Alors que la dernière décennie a vu se multiplier les vols abordables entre grandes villes européennes, est-il nécessaire de prendre l'avion entre Paris et Berlin, Lille et Copenhague, ou Montpellier et Madrid ? Des voyageurs expliquent à franceinfo pourquoi ils préfèrent le rail.

"Nous avons mesuré notre empreinte carbone"

"On a essayé une fois, il y a 5 ans, et ça nous a tellement plu qu'on s'est dit qu'on le ferait tous les ans", raconte Guillaume, qui se rend chaque année au Royaume-Uni en train avec son mari. L'an dernier, ils ont pris le train entre Niort et Edimbourg, soit une journée entière sur les rails. "L'arrivée en Ecosse est superbe." Avec l'expérience, le couple étend son ambition.

L'an dernier, on est allés au Danemark en avion, mais on se rend compte qu'on peut le faire en train, avec une nuit en Allemagne, et même poursuivre vers la Suède.

Guillaume

à franceinfo.fr

Ils sont encore loin des aventures de Mats et sa famille, dont le parcours en vacances se lit comme un dépliant d'agence de voyages. L'été dernier, ce Suédois, son épouse française et leurs deux "jeunes ados" ont rejoint Stockholm en passant par Munich, Prague, Berlin et Gdansk. Si le Covid-19 n'avait pas contrarié leurs plans, ils auraient tenté une boucle encore plus longue cet été : Paris-Vienne-Budapest-Bucarest-Istanbul-Odessa-Kiev-Moscou-St Pétersbourg-Stockholm. "Ce n'est que partie remise !" promet Mats.

"Je suis dans un métier où la notion de bilan carbone est omniprésente", explique le père de famille, qui travaille dans la finance verte. Voyager en train, "c'est appliquer ce dont je parle tous les jours au bureau". Comme lui, Sarah confie que sa conscience écologique a pesé dans son choix de transport pour se rendre en Italie depuis Londres, malgré la journée et demi de trajet. "En début d'année, avec mon compagnon, nous avons mesuré notre empreinte carbone", sur un calculateur en ligne (en anglais) de l'ONG WWF, et "c'est surtout l'avion qui expliquait notre mauvais chiffre".

"Les vacances commencent tout de suite"

Pour certains, l'avion n'est pas synonyme de facilité, mais de stress. Ainsi, Guillaume place en tête des avantages du train "l'absence d'attente et le peu de contrôles par rapport à un aéroport. On se pose dans le train et les vacances commencent tout de suite". C'est encore plus vrai pour ceux qui, comme lui qui réside dans les Deux-Sèvres, n'habitent pas une agglomération dotée d'un aéroport : "On n'a plus à se lever tôt, prévoir d'arriver avec deux heures d'avance, faire deux heures de route pour aller à l'aéroport de Nantes ou de Bordeaux…"

"Prendre le train n'est pas forcément une attitude écolo", acquiesce auprès de franceinfo Philippe Gloaguen, cofondateur des guides du Routard. Il se targue d'avoir "senti cette tendance depuis 5 ans", via le riche courrier des lecteurs. "Il y a une population qui ne voyage qu'en train, pour qui ce que vous pouvez faire d'un coup d'avion en une heure devient banal."

"J'ai toujours trouvé bizarre l'impression de sauter dans l'avion pour débarquer quelques heures plus tard à l'autre bout du monde", acquiesce Aurore, une autre voyageuse ayant répondu à franceinfo. Pour renouer avec l'impression d'une "progression" dans le voyage, elle a préféré une alternance de trains et de stop pour relier Paris à Istanbul. Pour Denis aussi, l'avion n'a pas la même saveur que le rail.

L'approche d'un pays, c'est aussi observer le changement de paysage, dans la façon dont les gens vivent, les habitudes sociales.

Denis

à franceinfo.fr

"Dans le train se créent souvent des échanges, avec des gens du coin ou d'autres voyageurs", remarque Juliette Labaronne, autrice du guide Slow Train. "Je ne sais pas pourquoi, mais l'état d'esprit y est plus ouvert que dans l'avion."

"Ma compagne est un peu plus réticente"

Si son guide recommande des trajets en train en France, Juliette Labaronne estime que cette philosophie du voyage peut aussi s'appliquer à l'étranger. "Le train peut vous donner des idées : vous aller passer au milieu d'une région que vous n'aviez pas repérée et que vous trouverez très belle", et décider d'y faire une halte. Composer un itinéraire à travers l'Europe oblige d'ailleurs à des haltes dans des villes méconnues, qui peuvent se révéler de belles surprises. Denis garde un bon souvenir de quelques heures dans la ville "très sympa" de Stuttgart (Allemagne), et Mats de son escale de deux jours dans la "pittoresque" Gdansk (Pologne).

Les voyageurs interrogés par franceinfo en sont conscients : la lenteur dont ils font l'éloge ne convient pas à tout le monde. Patrick, par exemple, a beaucoup apprécié son trajet de cinq heures entre Aix-en-Provence et Barcelone, et se verrait bien tenter l'expérience vers Madrid ou Prague. Il veut toutefois ménager "l'harmonie du couple""Ma compagne est un peu plus réticente. Passer pratiquement la journée dans un train, ça la dissuade", explique-t-il.

Denis, dont le voyage de Vitré (Ille-et-Vilaine) à Prague pour un concert de Céline Dion est prévu l'an prochain, n'a pas convaincu les amis qui l'accompagnent. Eux iront à Paris pour prendre l'avion, pour un gain de temps limité : "Ils arriveront à 17 heures et moi à 20 heures". Certains des voyageurs interrogés doutaient aussi de la faisabilité d'un tel voyage avec des enfants. Pour être sûr que ses deux "jeunes ados" supportent cette option, Mats explique les avoir "testés" avec un Paris-Rome un peu moins ambitieux.

Le temps passé en train n'est pas forcément du temps perdu : ces voyageurs observent le paysage, lisent, regardent des films, préparent les étapes suivantes du voyage, comme ils le feraient dans un vol long courrier. "Dans le train de certains pays de l'Est, on peut encore bien manger dans de vraies voitures-restaurants, à l'ancienne", conseille aussi Mats. Le train de nuit, qui se fait rare en France, mais résiste mieux dans des pays comme l'Autriche, permet aussi d'avaler des kilomètres sans s'en rendre compte.

"Partir avec pas grand-chose"

D'autres point sont plus épineux. Les longs trajets en train empiètent sur le temps passé à destination ou allongent d'autant la durée des vacances, qui n'est pas sans limite. "Pour rentrer d'Istanbul, on a dû prendre l'avion", regrette par exemple Aurore. "C'était faisable en train, mais c'était compliqué vis-à-vis de mon travail, après déjà plus de trois semaines d'absence." "Pour les voyages d'une semaine, ça reste difficile de ne pas prendre l'avion", reconnaît Alban, lui aussi adepte des longs trajets en train en Europe. Mats et sa famille ont fait le choix de prendre des congés moins réguliers, mais plus longs.

Voyager par le rail "apprend à partir avec pas grand-chose", ajoute Denis, qui conseille de s'en tenir à un sac à dos ou une petite valise pour faciliter les correspondances. Dans le train, cependant, aucune limitation sur les bagages, ce qui a ses avantages. "Quand on va dans un pays avec une gastronomie si exceptionnelle, on en profite" pour rapporter de bons produits, se réjouit Sarah avant son périple en Italie.

Si vous comptez partir en train dans de lointaines contrées, préparez-vous aussi à jongler entre les sites des différentes compagnies nationales, souvent en anglais, dans le meilleur des cas. Alban se souvient de la préparation compliquée d'un trajet vers Istanbul.

Quand je suis allé voir la SNCF pour réserver un train entre Belgrade et Sofia, on m'a regardé avec des yeux ronds. On m'a expliqué que ce n'était pas possible.

Alban

à franceinfo.fr

Le site de la Deutsche Bahn, la compagnie allemande, est plus fourni si vous visez l'Europe de l'Est, explique Mats. Comme Alban, il loue l'aide de The Man in Seat 61 (en anglais), étonnant site où un passionné britannique détaille les options pour relier un nombre impressionnant de villes européennes. Si l'on veut éviter les galères, mieux vaut préparer son trajet. "J'exagère peut-être un peu, mais je fais un tableau Excel" de l'itinéraire, explique Alban.

"On se demande si l'avion ne va pas redevenir un luxe"

La question du prix est également très discutée. On le sait, les vols en avion, même peu chers, sont globalement l'apanage des foyers les plus aisés. Les tarifs du train sont rarement compétitifs avec ceux des compagnies aériennes low cost. Pourtant, certains voyageurs assurent faire des économies. Entre Londres et Venise, Sarah aurait payé le double de son voyage en train (134 euros) si elle avait pris l'avion. Surtout qu'il lui aurait fallu ajouter le coût des liaisons entre centre-ville et aéroport.

Nombre d'adeptes des itinéraires à rallonge utilisent le service InterRail, qui propose des passes à tarif fixe permettant de voyager librement en Europe sur une période donnée. L'option décrite comme la "plus populaire" offre sept jours de trajet au choix sur un mois. "J'ai découvert que ce n'était pas réservé aux jeunes", se réjouit Denis, la cinquantaine, qui donne un astuce : le passe peut même être avantageux pour une seule destination. "Pour un Rennes-Prague, il me revient moins cher qu'un simple aller-retour."

La question est cruciale. "Tant qu'il y a une différence de prix nette, le train restera marginal", estime Juliette Labaronne. Un événement vient cependant rebattre les cartes : la pandémie de Covid-19, qui a durement touché le secteur aérien. "Cette histoire à vraiment remis les pendules à l'heure pour beaucoup de gens", estime la journaliste. Sarah ou encore Guillaume expliquent se sentir peu rassurés par l'avion sur le plan sanitaire, mais aussi économique. "Quand on voit ce qui se passe chez Air France ou Airbus, on se demande si l'avion ne va pas redevenir le produit de luxe qu'il était il y a 30 ou 40 ans", témoigne Guillaume.

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