"Face à cette catastrophe, impossible de faire face" : dans le Doubs, la sécheresse met les communes en surchauffe
La sécheresse frappe particulièrement le quart nord-est de la France depuis juin. A Cour-Saint-Maurice, dans le Haut-Doubs, tout le monde est à pied d'œuvre pour faire face au manque d'eau, dû à l'assèchement de la rivière du Doubs.
C'est une scène insolite qui se déroule presque quotidiennement depuis le mois de juillet. Un camion-citerne de la fromagerie Les Fruitières du plateau de Belleherbe, rempli d'eau et non de lait, descend la petite colline en face de la mairie de Cour-Saint-Maurice, dans le Haut-Doubs, ce matin du jeudi 15 novembre. "La nuit, je ramasse le lait de 20 heures à 3 heures. Et la journée, je distribue l'eau", explique Claude Amann, employé de la fromagerie.
Dans le Doubs, il n'a quasiment pas plu depuis le mois de juin. "Un événement exceptionnel", selon Yannick Cadet, responsable du service eau, risques, nature et forêt à la Direction départementale des territoires du Doubs, qui regrette "n'avoir aucune visibilité sur cette catastrophe naturelle". Face à cette sécheresse, la préfecture a émis le 9 octobre un arrêté restreignant la consommation d'eau sur l'ensemble du territoire pendant deux mois.
Assoiffées, les villes de l'est du département gèrent avec leurs propres moyens l'approvisionnement de leurs habitants. Cour-Saint-Maurice fait partie des 35 communes encore affectées par le manque d'eau. Les camions des quatre fruitières de la région arpentent ainsi sans cesse les environs de Maîche. Ils pompent l'eau dans une des réserves alimentées par une source non-tarie et l'acheminent ensuite dans les citernes communales.
"Des affaissements sont apparus sur mon terrain"
Le clocher sonne 11 heures, quand Yves-Marie Parent, le maire de Cour-Saint-Maurice, vient saluer le conducteur du camion-citerne stationné en haut de la colline. Il faut une dizaine de minutes pour remplir les 100 m3 de la citerne. Le temps pour le maire de redescendre la côte et d'échanger avec une habitante qui l'accoste.
Nadège Massart vit dans cette commune de 185 habitants avec son mari et ses deux enfants. Comme elle, des administrés interpellent leur élu sur les mouvements des sols calcaires, qui se sont rétractés avec la sécheresse avant de se regonfler avec les dernières pluies. "Des affaissements sont apparus sur mon terrain. Heureusement que ma maison est sur une roche", s'exclame Nadège Massart, qui a bien remarqué que la source qui passe devant chez elle se tarit. Elle a d'ailleurs changé son mode de consommation d'eau depuis deux ans.
J'ai installé des toilettes sèches et des réducteurs de pression sur les robinets. On a même repensé notre façon de jardiner avec du paillage et de l'enracinement profond.
Nadège Massart, habitante de Cour-Saint-Mauriceà franceinfo
Si cette habitante a adopté un "comportement citoyen et responsable" devant le manque croissant d'eau, elle constate que "les gens sont angoissés" : "Le point de captage est en face de l'école. Tout le monde voit les camions aller et venir et commence à se questionner sur les réserves d'eau."
Les infrastructures mises à rude épreuve
"Face à cette situation exceptionnelle, une belle solidarité s'est mise en place", constate le maire, soulignant notamment la mobilisation des fromageries. "Mais les dégâts sont importants", lâche-t-il soucieux, avant de se rendre en fin de matinée sur la route D464, à l'endroit où s'est récemment produit un éboulement de roches. Cette départementale, qui relie Besançon à la Suisse, traverse la commune de Cour-Saint-Maurice. Sous l'effet de l'intense trafic routier et de la sécheresse qui fragilise le sol, les chaussées se sont affaissées.
Les canalisations enfermées sous l'asphalte sont mises à mal et les fuites sont de plus en plus nombreuses. Sur 200 m, j'ai eu trois fuites.
Yves-Marie Parent, maire de Cour-Saint-Mauriceà franceinfo
Depuis l'application ici de la loi NOTRe, portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, la commune est tenue responsable de son réseau d'eau, et le budget municipal ne suffit plus. "Face à une catastrophe comme celle-là, impossible de faire face", constate le maire, qui sera "sûrement obligé d'emprunter".
Une herbe trop sèche pour les vaches
Les fruitières sont nombreuses sur la D464. S'ils sont exempts de restriction sur l'usage de l'eau, les employés des fromageries n'ignorent pas la situation. "On a moins de lait, c'est sûr. Mais ce n'est pas nous les plus touchés. Ce sont les agriculteurs", soupire un des vendeurs. Au pays du comté, la région de Maîche compte environ 150 exploitations agricoles, soit plus de deux par commune.
Corinne Cunot élève environ 140 vaches sur son exploitation à Cour-Saint-Maurice. L'herbe, courte et sèche, ne suffit pas à ses bêtes pour obtenir l'apport quotidien en nourriture et en eau qu'elles demandent. "La source qui est sur mon exploitation est tarie. Je suis obligée de prendre de l'eau sur le réseau de la commune", explique l'agricultrice, qui doit faire face à cette dépense supplémentaire. Elle est aussi obligée d'entamer, avec deux mois d'avance, les réserves de foin provisionnées pour l'hiver. "On n'a pas pu faire le regain", l'herbe qui pousse après la première fauche.
En décembre je vais racheter un camion de fourrage. Ce qui n'était pas prévu. 27 tonnes à 200 euros ça me fait 5 400 euros à sortir en plus.
Corinne Cunot, agricultrice à Cour-Saint-Mauriceà franceinfo
Pour faire face à toutes ces dépenses imprévues, l'agricultrice doit vendre des veaux à perte. Elle estime ainsi à plus de 20% la baisse de son chiffre d'affaire pour cette année. "Une année on peut passer le cap. La trésorerie nous permet de tenir malgré les pertes. Mais on ne tiendra pas deux années, ça c'est sûr."
Des subventions qui peinent à venir
"Les conséquences financières se feront ressentir pendant plusieurs années et pour beaucoup de monde ici", affirme le maire, de retour à son bureau en milieu d'après-midi. L'élu en veut à l'Etat qui "n'a pas conscience de l'effort que font les communes". Il dit avoir "besoin de subventions tout de suite", car "c'est maintenant qu'il faut faire les travaux". Venu rendre visite au maire de Cour-Saint-Maurice, le directeur technique du service eau de la communauté de communes du pays maîchois, Julien Klinguer, est tout aussi inquiet.
C'est un casse-tête tous les jours. Il faut gérer les travaux, les transports d'eau. On n'aurait pas les camions des fromageries, on n'y arriverait pas.
Julien Klinguer, de la communauté de communes du pays maîchoisà franceinfo
Chaque jour, le technicien est confronté, avec ses équipes, à des problèmes majeurs. "Et il faut qu'on arrive à financer les travaux. Alors on puise dans nos autres budgets, mais pour combien de temps encore ?" Cela fait cinq mois maintenant qu'il surveille avec attention les 28 sources du territoire, qui s'assèchent irrémédiablement. "Si, d'ici la fin de l'année, avant les premières neiges, on a pas trois semaines de pluie, il n'y aura aucune recharge des points d'eau."
Le niveau de l'eau dans les rivières, lui aussi, continue de baisser. "Ici, se sont les poissons qui meurent", se désole Yves-Marie Parent, parti rejoindre le garde forestier de la commune, en lisière de la forêt, avant la tombée de la nuit. Ensemble, ils font un bref point sur l'état des bois environnants.
Les arbres ont subi un stress important avec la sécheresse et les bostryches (insectes coléoptères) en plus grand nombre attaquent les épicéas plus tôt et plus fort que d'habitude.
Garde forestier de Cour-Saint-Mauriceà franceinfo
Les pertes sont importantes mais l'employé de l'Office national des forêts ne se "presse pas pour la replante, car il peut y avoir un gros coup de froid". Le maire lève la tête et pointe du doigt la cime des arbres. "Regardez, il n'y a jamais eu autant de pives au sommet des arbres. Le manque d'eau les pousse à se défendre. Ils produisent toutes ces graines pour tenter de survivre."
Une situation amenée à se répéter
Le brouillard commence à tomber avec le soleil déclinant. Le maire rebrousse chemin vers le centre de la commune. "Nous sommes la région la plus humide de France, ironise-t-il. Mais ces périodes de sécheresse vont nous arriver de plus en plus souvent."
Même si le dernier épisode similaire remonte à 1906, "le Doubs s'assèche d'année en année", explique Pascal Reilé, un des hydrogéologues mandatés par l'Etat pour trouver des solutions à cet assèchement. En cause, la géologie de la région. "Le Jura, qui s'est formé sur une énorme faille, est constitué de roches calcaires qui par définition ne retiennent pas l'eau", rappelle le scientifique.
Selon la projection des climatologues, les saisons vont être de plus en plus contrastées, avec des pluies plus marquées et plus espacées. Ce changement climatique impacte plus fortement les zones karstiques, comme le Jura, qui ont peu d’eau stockée dans les réserves calcaires. C'est un phénomène naturel sur lequel nous avons peu de marge de manœuvre.
Pascal Reilé, hydrogéologueà franceinfo
L'hydrogéologue refuse pour autant de "céder au catastrophisme". Un travail est actuellement réalisé pour "identifier de nouvelles zones de grottes plus profondes et remplies d'eau", assure-t-il, afin de trouver de nouvelles sources d'approvisionnement pour les habitants de la région.
Tous espèrent que la pluie reviendra bientôt, "par petites gouttes et longtemps", précise le maire, afin que les réserves d'eau puissent se reformer. Car une pluie trop forte, type crue, n'est pas souhaitée par les habitants de Cour-Saint-Maurice. "Cela ravinerait les sols et sur les terrains secs où il y a eu des épandages de produits, ces derniers glisseraient vers les rivières et les pollueraient", explique Yves-Marie Parent. La pluie, bien sûr, serait salvatrice. Mais l'édile, le regard tourné vers le ciel, estime aussi que la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour la région "nous sauverait tous".
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