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Infographies Canicule : comment l'îlot de chaleur urbain transforme nos métropoles en fournaises

A l'aide des données inédites fournies par des chercheurs du CNRS et de Météo France, franceinfo passe au crible les degrés d'exposition à l'îlot de chaleur urbain de 42 zones urbaines françaises.

Article rédigé par Mathieu Lehot-Couette, Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
L'îlot de chaleur urbain est un phénomène qui désigne la différence de température entre une ville, plus chaude, et la campagne qui l'entoure, plus fraîche. (ELLEN LOZON/FRANCEINFO)

C'est le nouveau tube de l'été, composé avec un peu plus d'intensité chaque année par le réchauffement climatique. En France, rares sont désormais les saisons estivales sans épisode caniculaire marqué. Après un épisode précoce mi-juin dans le Rhône, notre pays est à nouveau frappé, dimanche 15 août, par de fortes chaleurs, avec cinq départements en vigilance orange canicule. "D'ici la fin du siècle, les vagues de chaleur seront plus fréquentes, plus intenses, et étalées sur une période allant de mai à octobre", avertit le Haut Conseil pour le climat dans son dernier rapport. Un problème qui concerne d'abord les villes, où l'îlot de chaleur urbain (ICU) fait grimper le thermomètre de quelques degrés supplémentaires.

Ce phénomène désigne la différence de température entre une ville, plus chaude, et la campagne qui l'entoure, plus fraîche. C'est donc une mesure relative, exposée en degrés : on parle par exemple d'un îlot de chaleur de +3 °C. Il est provoqué par un ensemble de perturbations liées à l'urbanisme et à notre mode de vie : les immeubles qui bloquent la circulation de l'air, les matériaux de construction qui emmagasinent la chaleur, le manque d'eau et d'espaces verts, la climatisation qui rejette la chaleur dans la rue, la circulation automobile, l'industrie, etc. Il est plus important la nuit, lorsque la campagne se rafraîchit et que les immeubles ou les routes rejettent la chaleur stockée pendant la journée. C'est également la nuit qu'il pose le plus gros problème de santé publique, en empêchant l'organisme de récupérer après la fournaise de la journée.

>> Cinq questions pour comprendre l'îlot de chaleur urbain et les moyens d'y faire face

A l'aide des données du projet MApUCE, une simulation climatique très détaillée  mise au point par des chercheurs du CNRS et de Météo France, franceinfo passe au crible les degrés d'exposition à l'ICU de 42 zones urbaines (certaines, comme Marseille, n'ont pas été étudiées). Ces données sont plus précises et plus complètes que la thermographie généralement utilisée pour parler du sujet. "La thermographie ne donne que la température de surface, pas la température de l'air. Or il peut y avoir 20 degrés d'écart, cela ne donne pas du tout la même information", explique Valéry Masson, climatologue urbain à Météo France. C'est la première fois que ces données sont présentées au grand public.

Un problème qui frappe d'abord les villes les plus peuplées

Les zones urbaines modélisées pour le projet MApUCE forment un panel représentatif, avec des villes plus ou moins grandes et des situations géographiques différentes (côtière, fluviale, continentale). Avant de consulter ces résultats, un petit rappel : l'ICU n'est pas le seul déterminant de la température d'une ville, qui dépend d'abord de la température ambiante de la région. Un îlot de chaleur de +2 °C à Lille ou à Montpellier ne se traduit pas par la même température finale s'il fait 15 °C dans le Nord et 21 °C dans l'Hérault.

L'intensité de l'îlot de chaleur urbain est classée en quatre catégories : négligeable (moins de 2 °C), non négligeable (entre 2 et 3 °C), forte (de 3 à 6 °C) et très forte (plus de 6 °C). Pour les scientifiques, il faut agir dès la barre des 2 °C dépassée. "Nous appelons la classe de 2 à 3 °C 'zone de basculement'. Cela signifie que si l'on n'y prête pas attention dans les années à venir en termes d'aménagement, elles risquent de devenir des zones à îlot de chaleur intense", met en garde Julia Hidalgo Rodriguez, chercheuse en climatologie urbaine à l'université de Toulouse.

Comment lire ce graphique : chaque point représente une ville. La taille du point dépend de la taille de la ville et sa couleur signale la catégorie de son ICU maximum. La valeur de ce dernier s'affiche en cliquant sur le point.

Comme le montre ce graphique ci-dessous, pour lequel nous avons retenu la ville principale de chaque agglomération et la valeur maximale de l'ICU, plus la commune est peuplée, plus l'îlot de chaleur est fort. C'est particulièrement flagrant dans le cas de Paris. "Il y a un continuum urbain bien plus grand que pour les autres villes et également une rugosité urbaine [la hauteur des bâtiments] très importante" qui perturbe l'écoulement de l'air, analyse Erwan Cordeau, chargé d'études sur le climat, l'air et l'énergie à l'Institut Paris Région. Montpellier est la seule agglomération de plus de 400 000 habitants à présenter un îlot de chaleur négligeable, grâce à sa proximité avec la mer.

Comment lire ce graphique : chaque ville est placée en fonction de sa population sur l'axe des ordonnées (vertical) et en fonction de son ICU maximum sur l'axe des abscisses (horizontal). Ces points forment une droite qui montre que plus la ville est peuplée, plus l'ICU est fort. Quelques villes, comme Belfort (avec un ICU particulièrement fort pour une population plutôt faible) ou Montpellier (avec un ICU particulièrement faible pour une population importante) échappent à cette logique.

L'ICU ne se limite pas aux grandes villes. "Le phénomène existe aussi pour les villes de taille moyenne et petite, ce dont les acteurs de l'urbanisme et la population n'ont pas toujours conscience, constate Julia Hidalgo Rodriguez. Dans la métropole toulousaine, dans les communes périphériques, certains nous disent qu'ils ne sont pas concernés, que ce n'est pas un problème. Il faut déconstruire cela." Des villes plus petites, comme Belfort (46 000 habitants, +4,31 °C) ou Beauvais (56 000 habitants, +3,75 °C) sont également concernées. 

>> CARTES. Visualisez l'îlot de chaleur dans votre zone urbaine

Des villes principales surchauffées

En se concentrant toujours sur les villes principales de chaque agglomération, on constate qu'une majorité de la population de dix d'entre elles est exposée à un îlot de chaleur fort ou très fort. Là encore, Paris se distingue avec 100% de sa population concernée. Lille (88%) et Lyon (83%) affichent également des proportions impressionnantes.

Comment lire ce graphique : à Paris, 10% de la population est exposée à un ICU très fort et 90% à un ICU fort. A Lille, 88% de la population est exposée à un ICU fort et 12% à un ICU faible.

Les personnes âgées et les catégories sociales supérieures en première ligne

La canicule de 2003, avec ses 15 000 morts, en a fait la démonstration : les personnes âgées sont les plus vulnérables à la chaleur. Dans certaines villes principales de notre panel, elles sont pourtant très nombreuses à vivre dans une zone à fort ICU. C'est particulièrement flagrant dans la métropole parisienne – sur les 170 330 personnes âgées de 75 ans et plus, seules 196, riveraines des bois de Boulogne et Vincennes, ne vivent pas dans une zone où l'intensité de l'îlot de chaleur est forte ou très forte – mais également à Lille (91%), Grenoble (82%), Lyon (79%) ou Reims (75%).

Comment lire ce graphique : à Paris, 8% des personnes âgées de 75 ans et plus sont exposées à un ICU très fort et 92% à un ICU fort. A Lille, 91% de cette population est exposée à un ICU fort et 9% à un ICU non négligeable.

Nous nous sommes également intéressés aux caractéristiques sociales des personnes vivant dans l'îlot de chaleur de ces zones urbaines, en nous concentrant sur la ville principale et ses communes limitrophes, là où l'ICU est le plus fort. Nos données montrent que les cadres et professions intellectuelles supérieures sont plus exposés que les employés et les ouvriers, une situation qui s'explique par le fait que l'ICU est plus intense en centre-ville, où le logement est plus cher, qu'en banlieue.

Il ne faut cependant pas en déduire que les premiers souffrent plus de la chaleur que les seconds : leurs ressources financières leur permettent de faire face plus facilement (rénovation du logement, climatiseur, vacances en dehors de l'agglomération, etc). "Qui peut se déplacer au mois d'août et quitter la zone chaude ? Qui reste chez lui à Paris ou en Seine-Saint-Denis ? Il y a cette question d'être captif d'un territoire", observe Erwan Cordeau, de l'Institut Paris Région. Ce spécialiste de l'îlot de chaleur souligne également que les personnes à faibles revenus vivent souvent dans de vieux logements mal isolés, qu'elles n'ont pas les moyens de rénover, et suroccupés.

Comment lire ce graphique : sur le panel considéré (villes principales + communes limitrophes), 40% des employés et des ouvriers sont exposés à un ICU fort et 1% à un ICU très fort, contre respectivement 66% et 4% pour les cadres et professions intellectuelles supérieures.

Note méthodologique : le projet MApUCE est le fruit d'une collaboration entre sept laboratoires, le Centre national de recherches météorologiques, le Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires de Toulouse et le Laboratoire de recherche en architecture de Toulouse, le Laboratoire interdisciplinaire d'études urbaines d'Aix-en-Provence, le Laboratoire des sciences et techniques de l'information, de la communication et de la connaissance de Vannes, le Laboratoire techniques, territoires et sociétés de Marne-la-Vallée et le Laboratoire littoral, environnement et sociétés de La Rochelle. La Fédération nationale des agences d'urbanisme, composée de 52 agences, faisait également partie de ce partenariat de recherche interdisciplinaire.

Les données sont le résultat d'une simulation, réalisée avec un modèle atmosphérique, à l'échelle de carrés de 250 m sur 250 m, par Robert Schoetter, chercheur à Météo France. Les caractéristiques des villes sont modélisées à l'aide de 64 indicateurs, parmi lesquels la hauteur des bâtiments, le nombre d'habitants ou l'occupation du sol. Vous trouverez le détail de cette démarche dans ces deux articles scientifiques (ici et ).

Pour les compléter avec des informations socio-économiques et démographiques, nous avons utilisé les données de l'Insee, à l'échelle de l'Iris. Cette unité, qui regroupe 2 000 habitants, est la plus fine dont dispose l'Insee. Franceinfo remercie Erwan Bocher, Julia Hidalgo Rodriguez, Valéry Masson et Najla Touati pour leur aide précieuse dans la réalisation de ces infographies. 

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