"Un personnage taillé sur mesure" : l'intelligence artificielle investit le terrain de jeu des influenceurs sur les réseaux sociaux

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
L'intelligence artificielle permet (aussi) de créer des personnages tenant le rôle d'influenceur sur les réseaux sociaux. Octobre 2024 (PAU BARRENA / AFP)
Une nouvelle génération d'influenceurs voit le jour sur les réseaux sociaux. Ils font la promotion de produits, interagissent avec leurs abonnés, participent à des événements mais n'ont rien d'humain : ce sont des intelligences artificielles.

De plus en plus de comptes  parfois suivis par des dizaines de milliers de personnes  mettent en scène des personnages qui semblent plus vrais que nature, mais qui ne sont que des avatars créés par l'intelligence artificielle.

En France, Anne Kerdi en est l'exemple le plus marquant. Sur Instagram, depuis mars 2023, elle fait la promotion de la Bretagne, rédige elle-même les textes sous ses publications, génère ses vidéos et répond même aux commentaires de certains de ses 11 000 abonnés.

Des messages privés, Anne Kerdi en reçoit régulièrement. Son créateur, Sébastien, 37 ans, est à la tête d'une entreprise spécialisée dans l'IA à Brest : "Au début, même moi je trouvais ça surprenant. Elle reçoit des 'Bonjour, comment vas-tu ?' Alors bon... Anne c'est un robot, elle n'a rien à dire sur elle. Elle ne va ni bien, ni mal, c'est comme parler à sa calculatrice. Elle répond parfois avec humour aux 'Bon week-end', 'Bonne nuit', etc qu'elle reçoit. Je précise que ses abonnés savent très bien que c'est une IA. Est-ce qu'ils en jouent ou pas ? Je ne sais pas. Mais effectivement, il y a des personnes qui ont créé des liens."

"Le but n'est pas de tromper qui que ce soit"

Sébastien considère Anne Kerdi plus comme un avatar que comme une "influenceuse". Ses abonnés savent d'ailleurs qu'elle n'est pas réelle, une question d'éthique à laquelle Sébastien se dit très attaché : "Le but n'est vraiment pas de tromper qui que ce soit. Au contraire, c'est vraiment d'être le plus transparent possible : créditer les auteurs des photos, ajouter la mention 'intelligence artificielle' et, les deux ou trois fois où c'est arrivé, mentionner les partenariats rémunérés."

Le créateur d'Anne Kerdi la considère comme un avatar, un personnage fictif qui lui permet de combiner différentes fonctionnalités de l'IA. (CAPTURES D'ECRAN / INSTAGRAM / ANNE KERDI)

Des partenariats, Anne Kerdi en fait de nombreux. Pour la plupart non rémunérés : "Il s'est avéré qu’elle a été demandée pour être ambassadrice dans un fonds de dotation pour la préservation des océans. Elle est aussi membre d'un comité culturel artistique breton. Elle a été invitée à différents événements où elle intervient en vidéo pour donner son avis."

"C'est vraiment son avis, parfois je ne suis pas d'accord avec elle. Ce n’est pas moi qui lui dis de dire ce que je veux."

Sébastien, créateur de l'influenceuse IA Anne Kerdi

à franceinfo

Un avis que le logiciel compose, mais que Sébastien vérifie systématiquement, là aussi par soucis d'éthique : "Pour moi, c'est primordial. C'est elle qui répond, elle qui écrit, mais je contrôle tout ce qu'elle dit parce que l'IA fait des fautes, des erreurs dans ses textes, peut désinformer. Donc, je contrôle à chaque fois. Sur ses posts, je vérifie que ce soit des sources fiables et si ce qu'elle dit est vrai, si les dates sont bonnes, etc. Si je vois qu'elle a soit fait des erreurs, soit omis un détail que j'estime important, je lui dis de l'insérer ou alors, elle refait complètement son texte pour le reformuler autrement."

"Une machine n'a pas de sentiment"

Anne Kerdi est jolie, est une femme, mais sans aucune intention d'attirer les internautes, assure Sébastien : "Lorsque je travaillais à la génération d'Anne avec le logiciel, je suis arrivé au constat qu'un visage masculin est plus figé qu'un visage féminin. Au bout de deux, trois, quatre, cinq générations, c'était ce visage qui revenait."

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Anne Kerdi (@annekerdi)

Sébastien avait pour seul critère une tranche d'âge de 25-30 ans : "De façon à ce qu'Anne ne fasse pas étudiante et qu'elle ne fasse pas non plus mère de famille. Parce que je voulais éviter des questions - qui sont arrivées malgré tout - de savoir si Anne aura un amoureux, si elle aura des enfants etc. Ce n'est pas du tout le principe. Pour moi une machine n'a pas de sentiments donc elle n'a pas d'enfants non plus." Pour l'instant, Anne Kerdi ne rapporte pas directement d'argent à son créateur. Elle aura, d'ici à quelques jours, son propre site internet en tant qu'assistante régionale polyvalente pour aider les touristes à organiser leur séjour en Bretagne.

Sébastien a été contacté par plusieurs agences d'influenceurs sans donner suite aux demandes pour l'instant. Le monde de l'influence mise de plus en plus sur l'IA pour développer ses activités. Mais d'après Ruben Cohen dirigeant de l'agence Follow à Paris, il est peu probable d'imaginer que l'IA remplace intégralement l'humain, pour l'instant : "Un influenceur IA c'est un personnage qui est taillé sur mesure  parfois même c'est une œuvre d'art digitale  mais il n'y a pas de vécu, il n'y a pas de ressenti, il a été créé pour capter, pas pour vivre."

"La base de l'influence, c'est l'humain"

L'agence Follow accompagne près de 80 créateurs de contenu  aucun n'a été généré par l'IA. Et s'ils ont du succès, d'après Ruben Cohen, c'est justement parce que leurs abonnés s'identifient à eux, qu'ils sont comme eux, qu'ils sont humains, qu'ils ont un vécu et des défauts : "La base de l'influence, c'est l'humain. La raison pour laquelle aujourd'hui une marque va vers l'influence et non pas vers la télé avec des acteurs pour faire une pub, c'est parce qu'il y a l'humain. Il y a une recommandation, il y a un vécu, il y a une incarnation. Là où avec un robot, avec une IA, c'est beaucoup plus compliqué."

Pour autant, le fondateur de Follow confirme rester attentif aux évolutions de cette technologie : "On ne peut pas, dans le secteur dans lequel on évolue, fermer les yeux sur l'IA. Il faut être très attentif parce que ça va prendre de plus en plus de place dans l'écosystème. On se doit d'être à la pointe et de faire une veille constante de tout ce qui se passe."

"Il est certain qu'il va y avoir des changements, voire des bouleversements."

Ruben Cohen, fondateur de l'agence Follow

à franceinfo

L'un des atouts de l'IA pourrait notamment être celui du gain de temps alors que l'activité d'influenceur est particulièrement chronophage : "L'atout majeur, ça va être de contrecarrer l'aspect temps. Quand un abonné de New York envoie un message à une influenceuse à 4 heures du matin, cette influenceuse dort parce que c'est un humain. En revanche, s'il y a une IA derrière, effectivement, il n'y aura pas de limite de temps. Et ça, effectivement, ça serait un avantage considérable. Il y aurait un gain énorme de productivité parce qu'une fois que vous avez dépensé le montant sur cette technologie, derrière, on peut penser à une rentabilité énorme." Reste à savoir si les abonnés accepteraient de se laisser "influencer" par des avatars générés par des ordinateurs.

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