Pourquoi l'accord sur les taxations des multinationales, signé par 136 pays, essuie-t-il déjà des critiques ?
Les multinationales comme Google, Amazon et Facebook seront bien soumises à un impôt mondial d’au moins 15% sur leurs profits. Mais selon l'ONG Oxfam, cela reste insuffisant.
Une avancée majeure ou un texte trop timoré ? L'accord sur la taxation des multinationales signé par 136 pays, vendredi 8 octobre, permet la mise en place d'un impôt de 15% sur les profits de ces sociétés. Un aboutissement après près de "quatre années de négociations intenses", a insisté Bruno Le Maire. Parmi les signataires figurent les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et les Etats de l'Union européenne.
Mais cet accord historique est déjà l'objet de plusieurs critiques. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce que c'est "un accord au rabais", selon Oxfam
L'une des critiques portées par les ONG, dont Oxfam, à l'égard de cette taxe est que son taux est bien en deçà de celui recommandé par le Groupe de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité financières internationales (FACTI Panel). Cette assemblée d'experts, composée d’anciens chefs d’Etat et de gouvernement, de gouverneurs de Banques centrales, de chefs d’entreprises, de figures de la société civile et de chercheurs, appelait à un taux compris "entre 20 et 30%", comme le rapporte l'ONG Oxfam dans un communiqué. De la même façon, la Commission d’experts de l’ICRICT, qui vise à lutter contre les inégalités sociales, composée notamment du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et de Thomas Piketty, préconisait un taux de 25%.
Finalement, l'accord présenté samedi 8 octobre a tranché pour un taux de "15%" au lieu d'un taux "d’au moins 15%". "Sous la pression des paradis fiscaux comme l’Irlande, l’OCDE accouche d’un accord au rabais pour les pays comme la France", estime Quentin Parrinello, porte-parole d'Oxfam France, contacté par franceinfo. Une concession clé dont le ministre des Finances irlandais, Paschal Donohoe, s'est vanté dans un communiqué (en anglais), en soulignant que cette nuance permet à Dublin de se protéger de la menace d'augmentations futures de ce seuil minimum.
L'Irlande offrait jusqu'ici aux entreprises présentes sur son territoire, parmi lesquelles se trouvent de nombreuses multinationales dont Google ou Apple, un taux de taxation de 12,5%, soit l'un des plus faibles de l'Union européenne.
Pour Quentin Parrinello, le taux d'imposition de l'Irlande, qui passera donc de 12,5 à 15%, se fait "en échange de fortes contreparties et de beaucoup d'exonérations, notamment au cours des dix prochaines années. C'est ce qui permettra aux multinationales de baisser leur taux d'imposition en deçà de 15%, explique-t-il. Nous avons absolument voulu avoir l'Irlande [dans cet accord], mais nous avons fait baisser le niveau général."
Parce que les pays en développement sont lésés
Selon les estimations de l'OCDE, les 136 pays signataires de l'accord, qui représentent 90% du PIB mondial, vont pouvoir dégager environ 150 milliards d'euros de recettes supplémentaires grâce à cet impôt minimum. Un montant colossal. Mais les pays en développement ne vont pas beaucoup en profiter, assure Oxfam.
En effet, d'après l'accord, une entreprise doit réaliser au moins un million d'euros de chiffre d'affaires dans un Etat pour que ce dernier puisse bénéficier de la mesure, ou 250 000 euros si le PIB de l'Etat est inférieur à 40 milliards d'euros. Or la majorité des recettes des multinationales sont enregistrées dans les pays du Nord.
"Les Etats-Unis et l'Europe vont essentiellement en bénéficier", affirme à l'AFP Daniel Bunn, responsable des projets internationaux à la Tax Foundation, à Washington (Etats-Unis). Car les multinationales "y abritent leurs sièges sociaux et la plupart de leurs clients". D'après Oxfam, les pays les plus pauvres récupéreront moins de 3% des recettes fiscales supplémentaires. L'ONG a dénoncé "un simulacre" et une "capitulation" vis-à-vis des pays aux taux d'imposition les plus faibles.
Oxfam assure que "les pays en développement sont plus dépendants des recettes fiscales issues des multinationales". En 2018, 19% des recettes fiscales des pays africains étaient issues de la taxation des entreprises, contre seulement 10% pour les pays de l’OCDE.
Parce que cette réforme doit encore être approuvée par l'administration américaine
Bien que les multinationales concernées aient approuvé l'annonce de cet accord, celui-ci doit encore être validé par l'administration américaine. Une étape importante dans le processus, car à la fin juin, les Etats-Unis ont demandé à plusieurs pays européens de retarder le projet de taxe sur les géants du numérique dans le cadre d’une démarche diplomatique discrète. "Il n’y a rien de dirigé contre les Américains et je souhaite que nous puissions lever les inquiétudes américaines là-dessus", avait assuré Bruno Le Maire en juin.
La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a déclaré que le plancher fixé par l'impôt minimum mondial était une victoire pour les États-Unis et pour la capacité du pays à lever des fonds auprès des entreprises. "Les Américains trouveront dans l'économie mondiale un endroit beaucoup plus facile pour trouver un emploi, gagner leur vie ou faire évoluer une entreprise", s'est félicitée Janet Yellen.
Today’s agreement represents a once-in-a-generation accomplishment for economic diplomacy. We’ve turned tireless negotiations into decades of increased prosperity – for both America and the world.
— Secretary Janet Yellen (@SecYellen) October 8, 2021
My statement on the OECD Inclusive Framework Announcement: pic.twitter.com/nRUbRP4BrD
Elle a exhorté le Congrès à adopter rapidement les propositions fiscales internationales. Comme le rapporte le Wall Street Journal (article en anglais), de nombreux analystes assurent que cela nécessiterait un traité, qui devra obtenir le vote favorable de deux tiers des élus au Sénat, ce qui nécessiterait au gouvernement Biden d'obtenir le soutien d'une partie des élus républicains. Ce qui pourrait prendre du temps.
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