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Le casque de réalité virtuelle est-il vraiment le prochain joujou de monsieur et madame Tout-le-monde ?

Longtemps présentée comme une technologie futuriste, la réalité virtuelle est en passe de vulgarisation. C'est en tout cas ce qu'espèrent les professionnels de la téléphonie, qui misent gros sur cette nouvelle révolution. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des participants à la conférence Mobile World Congress (MWC), à Barcelone, mardi 22 février 2016.  (LLUIS GENE / AFP)

Tout attentifs qu'ils sont, ils ne voient ni n'entendent Mark Zuckerberg trottiner jusqu'à la scène. Dimanche 21 février, 2 000 journalistes, casques de réalité virtuelle vissés sur la tête, assistent  à une conférence de presse du géant coréen Samsung, en préambule du Mobile World Congress de Barcelone (MWC), le plus grand salon de l'industrie de la téléphonie. Le patron de Facebook, invité surprise, donne le ton.

Il y a eu le PC, puis le web, puis le téléphone. La réalité virtuelle est la prochaine plateforme. Là, les gens pourront créer et vivre tout ce dont ils ont envie.

Mark Zuckerberg, PDG de Facebook

à Barcelone le 21 février

Face à lui, l'assistance tripote son Gear VR, le casque de réalité virtuelle de Samsung. Malins, le réseau social et le constructeur se sont alliés pour s'imposer dans ce secteur parmi les plus prometteurs depuis l'avènement du smartphone.


Alors si nous possédons tous, ou presque, un smartphone, allons-nous désormais adopter ces casques censés nous plonger dans un monde imaginaire (réalité virtuelle), nous bombarder d'informations et d'hologrammes (réalité augmentée), voire les deux ?

Réalité virtuelle, utilité réelle ? Bien sûr ! 

Quel est le point commun entre un festival de cinéma indépendant, un astronaute, et un journaliste du New York Times ? Réponse : tous ont misé sur la réalité virtuelle (RV) et la réalité augmentée (RA).

Si les amateurs de jeux vidéo ont, sans surprise, été les premiers à s'emparer de cette technologie, les usages qui permettent de tantôt s'immerger dans un monde virtuel, tantôt d'enrichir le monde réel, ne manquent pas. Formation professionnelle, maintenance, tourisme, cinéma, commerce... Avec les casques de RV, des amis distants de milliers de kilomètres peuvent visiter ensemble les pyramides d'Egypte ou le musée du Louvre, un internaute peut visiter Damas grâce au reportage à 360 degrés d'un journaliste d'ABC, un consommateur peut faire ses emplettes dans un centre commercial sans quitter son lit, tandis qu'un patient peut apprendre à maîtriser ses angoisses – s'approcher du bord d'une falaise, prendre l'avion – depuis le canapé de son psy.

La réalité virtuelle n'a pas attendu les start-ups de la Silicon Valley pour voir le jour. "Les pionniers, ce sont les industriels, ainsi que le monde de la recherche qui, notamment en France, utilisent des casques – mais pas uniquement des casques – depuis une trentaine d'années", explique Matthieu Lépine, président de l'Association française de réalité virtuelle, augmentée, mixte et d'interaction 3D (AFRV). Avec un usage limité aux ingénieurs, ces bécanes d'élite pouvaient coûter jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'euros. Mais depuis quelques mois, avec la commercialisation de casques "grand public" très attendus, la "RV" s'émancipe de la sphère professionnelle.

Une technologie (presque) abordable ? Check !

En 2016, on trouve deux types de casques sur le marché, disponibles pour moins de 1 000 dollars (900 euros). Les premiers, équipés de leur propre écran et de leur technologie embarquée, fonctionnent comme un périphérique informatique. Concrètement, on enfile un casque qui, couplé à un ordinateur ou à une console de jeu, nous transporte dans un monde virtuel. C'est le cas de l'Oculus Rift, un appareil développé par la firme du même nom, acquise par Facebook en 2014 pour la bagatelle de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d'euros). Mais ces appareils restent chers : autour de 700 euros pour l'Oculus Rift ou le Vive de la marque HTC. "On est loin de l'appareil grand public. Même les joueurs de jeux vidéo les plus acharnés ne sont pas prêts à débourser de telles sommes", relève Matthieu Lépine. 

"La popularisation de l'expérience virtuelle passe par des casques qui sont en vérité des porte-téléphones", résume Bernard Fontaine, directeur des innovations technologiques de France Télévisions éditions numériques. C'est la seconde catégorie de casques, dont celui de Google : pour quelques euros seulement, vous disposez d'un casque en carton à monter vous-même, dans lequel vous pouvez glisser votre smartphone et vivre à moindre coût le grand frisson de la RV grâce à de simples applications pour mobiles. Dans ce secteur balbutiant, les deux types d'appareils se développent en parallèle, non sans interaction. "Avec une technologie développée par Oculus Rift, le constructeur Samsung a pu produire des casques de ce type qui s'achètent pour moins de 100 euros", poursuit Bernard Fontaine, qui cite le Gear VR, celui que vous avez vu plus haut sur le nez des journalistes hypnotisés lors de la conférence barcelonaise.

Une révolution qui concerne aussi les smartphones  

Cet engouement pour les casques de réalité virtuelle surgit à une époque où le smartphone est arrivé à maturité, explique encore Bernard Fontaine. Fini l'effet "wahou" des premiers iPhones. 

L'innovation se trouve dans les périphériques, les appareils qui gravitent autour des smartphones; comme les caméra à 360°, et maintenant les casques.

Bernard Fontaine, directeur des innovations technologiques de France Télévisions éditions numériques

Ainsi, même quand les constructeurs améliorent leurs smartphones, ils pensent réalité virtuelle : "Quand Sony sort un écran 4K ultra HD, on peut penser que c'est inutile compte tenu de l'usage que l'on fait d'un téléphone portable. Or c'est tout le contraire : une fois que le téléphone est inséré dans un casque, à 3-4 centimètres des yeux, l'excellente résolution de l'écran devient primordiale."

Miniaturisation de l'électronique, solide expérience de la réalité virtuelle appliquée à l'industrie, et développement de la vidéo à 360° sur des smartphones de plus en plus puissants... Tout cela a permis en quelques années au casque RV de nos fantasmes de devenir réalité tout court, abonde Matthieu Lépine. 

Une vraie demande ? On s'en occupe...

Reste à faire connaître cette technologie, pour l'instant prisée des seuls gamers et des amoureux de la high-tech. Dans ce but, les constructeurs rivalisent d'audace. Quand, en juin 2014, Google présente son casque Google Cardboard (sobrement "Google carton"), les observateurs du secteur croient à une blague de la marque, se souvient Time. Il n'empêche : 18 mois plus tard, en janvier 2016, la firme indique en avoir expédié 5 millions à travers le monde. Preuve que les utilisateurs en ont fait bon usage, ils ont téléchargé au total 25 millions d'applications pour mobiles (dont le carton – ah ah ! – Chair in a room, une expérience d'immersion digne d'un film d'épouvante).

Les estimations quant à l'existence d'un marché grand public de la RV divergent d'un institut à l'autre. Mais tous quantifient en milliards de dollars les retombées économiques du secteur d'ici à 2020. En 2025, le marché de la réalité virtuelle devrait même dépasser celui de la télévision, selon une étude de la banque d’investissement Goldman Sachs. 

Alors pour convertir les néophytes, le constructeur Alcatel a annoncé un autre coup de génie marketing, lundi 22 février : commercialiser son nouveau téléphone haut de gamme dans une boîte en plastique qui n'est autre que le casque lui-même ! "Avec une volonté affichée d'en écouler un million au départ, cela fait un million de personnes équipées d'un casque RV, alors qu'elles ne savaient pas de quoi il s'agissait en entrant dans la boutique", observe Bernard Fontaine. Carton, plastique... Le faible coût de fabrication de ces casques rudimentaires, sans technologie embarquée, séduit au-delà des constructeurs.

Enfin, si les internautes s'équipent de caméras à 360°, rien ne les empêchera de partager "des scènes" de leur vie quotidienne avec leurs amis, via les réseaux sociaux. "Le grand public est capable de fabriquer du contenu, de le partager avec des amis, de se l'échanger, etc. Après le texte et l'image, nous pouvons, avec la réalité virtuelle, communiquer par le partage de l'expérience, explique Bernard Fontaine. L'aspect social va potentiellement décupler l'intérêt pour la réalité virtuelle, d'où celui de Mark Zuckerberg pour ce secteur."

Les conséquences physiologiques encore incertaines

Il reste toutefois une inconnue. "Si l'appétance est au rendez-vous, ce qu'on ne sait pas encore mesurer, c'est la durée de cette appétance", continue Bernard Fontaine. "Combien de temps sommes-nous prêts à passer avec un casque sur le visage ? 5 minutes ? 15 minutes ?" Matthieu Lépine, lui, relève encore qu'un avatar rencontré dans une réalité virtuelle ne peut se substituer à une véritable interaction.

Comment savoir ce que le port d'un casque de réalité augmentée peut produire sur un enfant qui passe potentiellement déjà beaucoup de temps devant des écrans ? A-t-on pris les mesure des éventuels risques, des possibles soucis d'accommodation oculaire, de troubles sur le système neuronal ?

Matthieu Lépine, spécialiste de la réalité virtuelle et augmentée

à francetv info

"Si l'on veut s'adresser au grand public, il va falloir se poser ces questions. Il faudra produire des normes et fournir si besoin les avertissements nécessaires", insiste Matthieu Lépine.

A moins que le casque de réalité virtuelle ne fasse un bide, comme avant lui la télé 3D. Et l'appareil de rejoindre alors la liste des fausses bonnes idées technologiques, tout juste capables de faire sourire les générations futures. Comme cet extrait malaise de sexe du futur en réalité virtuelle imaginé à Hollywood en 1993. Non merci !

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