Ecole, sécu, Pôle emploi... Comment ils vivent sans accès à internet
L'avant-projet de loi "pour une république numérique" prévoit le maintien à la connexion internet pour les populations les plus défavorisées.
Internet est-il un droit ? Non, alors que la dématérialisation administrative s'accélère pourtant. Un article de l'avant-projet de loi "pour une République numérique", mis en ligne samedi 26 septembre, prévoit toutefois que soit enfin établi "un droit à la connexion, afin que les foyers en difficulté financière puissent toujours bénéficier d’un accès à internet". Comment les plus démunis vivent-ils l'absence de réseau à domicile ? Avec quelles conséquences ? Francetv info a recueilli des témoignages.
CAF, sécu : "Sans internet, ça ralentit tout"
Pour lutter contre la fracture numérique, l'association humanitaire Emmaüs a mis en place "Emmaüs Connect", des centres de formation à internet, qui vendent également des web trotters (sorte de box de poche qui permet de se connecter à domicile). Dans le centre du 19e arrondissement parisien, lundi 28 septembre, nous rencontrons Nabil, la quarantaine. S'il n'achète pas le web trotter, qu'il juge trop cher (15 euros, plus une recharge mensuelle de 5 euros), ce n'est pas faute d'avoir besoin d'une connexion.
Grand sourire triste et chaleureux, qui révèle des dents manquantes ou cariées, il déroule sa vie : en France depuis quinze ans, avec sa femme, il est logé par le Samu social à Dammartin, près de Roissy, avec leurs deux enfants âgés de 2 et 3 ans. En attendant ses papiers de régularisation, qui tardent à arriver, il prépare son dossier pour obtenir l'aide médicale d'Etat. "Avant, explique-t-il, on allait à la CPAM (caisse primaire d'assurance-maladie) ou à la CAF (Caisse d'allocations familiales). Maintenant, de plus en plus, ça se fait en ligne. Sans internet, ça ralentit tout." Le web lui permet aussi, via l'application Viber, de joindre gratuitement sa famille en Algérie, pour avoir des nouvelles. Lui qui n'a rien avoue enfin qu'internet, auquel il a parfois accès via le wifi dans l'hôtel où ils sont logés, permet de montrer à son fils de trois ans "des dessins animés sur YouTube".
A l'école, "c'est une honte de dire qu'on n'a pas internet"
Les enfants, c'est aussi ce qui a amené Mohamed, de Saint-Denis, à solliciter une connexion internet à tarif solidaire. Ce demandeur d'emploi, ancien jardinier, ignorait tout de cet univers. Ne comprenait pas quand on lui demandait son adresse e-mail, confesse-t-il aujourd'hui : "On me répétait 'émél, émél', je ne comprenais pas." Il y est venu d'abord pour aider ses trois enfants, une fille de 17 ans en terminale S, une autre de 13 ans, en 4e, et un troisième de 11 ans, en 6e, à qui l'on demandait parfois de faire des devoirs via le web. "La seule solution, dit-il, c'était de les amener à la médiathèque. Mais il fallait que soit ma femme, soit moi, on les accompagne."
Il n'a jamais voulu parler aux enseignants de cette absence de connexion : "C'est vraiment une honte, à l'école, de dire qu'on n'a pas internet à la maison. Alors on le cache." Son accès au net et sa formation aux nouvelles technologies lui ont changé la vie : "J'ai trouvé sur Facebook de nouvelles connaissances." Et quand son fils lui demande de l'aider dans sa scolarité, il lui répond : "Tu poses tes questions sur internet. Et tu trouves."
A la fac, des études plus difficiles
Pas facile non plus de suivre des études sans être connectée. Brune, vive et menue, Khadija, étudiante en anglais et en arabe à la fac de Vincennes, explique "avoir besoin de faire des recherches" pour ses études. Elle vit à Paris de baby-sitting, mais sans compte courant – juste le livret A. "Or, sans compte courant, on n'a pas le RIB nécessaire à un abonnement internet", explique-t-elle.
Pour y remédier, elle a donc acheté chez Emmaüs Connect un web trotter et sa précieuse recharge, qui lui donnent un accès wifi. Elle s'en sert avec parcimonie. Pas question pour elle de regarder des vidéos, qui dilapideraient en dix heures son crédit, quand elle peut naviguer cinquante heures sur des sites directement utiles à ses recherches. Elle se sert donc de cette ressource dans un but exclusivement universitaire pour finir des études qui, espère-t-elle, la mèneront à l'enseignement.
Apprendre à envoyer une pièce jointe à Pôle emploi
Au manque de connexion internet – premier obstacle dans l'accès aux droits – s'ajoute parfois – deuxième obstacle – la complexité des tâches à accomplir en ligne. René Locqueneux, militant d'ATD-Quart Monde qui tient un blog dans l'Avesnois (Nord), insiste sur la nécessité d'actions pour "accompagner les gens". Car une opération "de pointage à Pôle emploi" peut poser des problèmes pas toujours anticipés, comme il l'avait constaté lors d'une formation. "Il faut parfois, expose-t-il, apprendre aux demandeurs d'emploi comment mettre l'ordinateur en route, comment envoyer un mail."
Il s'agit aussi de donner confiance, car la Toile suscite bien des craintes : "La peur de se faire pirater par exemple." D'où la nécessité d'un apprentissage adapté. Et souple : "On va expliquer sur Facebook comment maîtriser l'envoi d'une pièce jointe parce que les jeunes préfèrent aller sur Facebook plutôt que regarder un blog." Des jeunes qui peuvent très vite franchir la fracture numérique, pour peu qu'on leur en donne les moyens.
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