Reportage "J'ai hésité avec le privé" : dans un collège-lycée de Seine-Saint-Denis, les craintes face aux absences non remplacées s'affichent dès la rentrée

A Montreuil, parents et enseignants de la cité scolaire Jean-Jaurès anticipent une nouvelle année compliquée, après l'échec d'une mobilisation intersyndicale pour réclamer plus de moyens pour l'école publique dans le département.
Article rédigé par Lucie Beaugé - Envoyée spéciale à Montreuil (Seine-Saint-Denis)
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
William et son fils patientent avant la rentrée des sixièmes devant le collège Jean-Jaurès à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 2 septembre 2024. (LUCIE BEAUGE / FRANCEINFO)

Devant les épaisses grilles noires du collège de la cité scolaire Jean-Jaurès, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une trentenaire tire frénétiquement sur sa cigarette. Cette secrétaire administrative s'apprête à faire sa rentrée, lundi 2 septembre, comme 12 millions d'élèves du primaire et du secondaire. "Je suis très stressée", assume-t-elle, avant de s'engouffrer dans la cour de l'établissement. Un peu plus loin, Martin*, dont le sac à dos bleu semble aussi lourd que lui, lance : "C'est là, l'entrée, papa !" William plisse les yeux devant l'affichette qui indique l'heure de rentrée pour les élèves de sixième : 9h30. Père et fils ont une heure d'avance.

"J'ai le sentiment qu'il est prêt, mais Martin a fait une petite insomnie hier soir", raconte William. Intimidé, le nouveau collégien regarde ses pieds, avant de confirmer de la tête. Dur de passer d'une école primaire familiale à un collège de plusieurs centaines d'élèves. Dans le second degré, le père appréhende surtout des grèves récurrentes : "C'est un collège assez militant."

En février, un large mouvement de contestation s'est constitué pour réclamer plus de moyens pour l'école publique en Seine-Saint-Denis. Les syndicats réclamaient le déblocage de 358 millions d'euros pour permettre, entre autres, la création de 5 000 postes d'enseignants. Jean-Jaurès était représenté dans les cortèges. En juin, douche froide. "On avait une audience prévue au ministère le 11. Deux jours avant, l'Assemblée nationale était dissoute", rappelle Claire Fortassin, co-secrétaire du syndicat Snes-FSU 93. De quoi faire craindre, selon elle, de nouveaux problèmes de remplacement des enseignants absents, d'autant que les concours nationaux de recrutement n'ont toujours pas fait le plein

Des heures à pourvoir en maths et en allemand dès la rentrée

Il est 9h20. Deux collégiennes s'enlacent devant l'établissement. "Ca fait bizarre, je me suis couchée à 2 heures du matin tout l'été", s'exclame la première. "Moi, je commençais à m'ennuyer", répond sa copine. A quelques mètres, Léa* angoisse. "J'ai peur de pas me repérer", glisse la future sixième. Sa mère, Mélanie, grandes créoles argentées aux oreilles, s'inquiète de voir sa fille passer trop d'heures en salle de permanence. "J'ai hésité avec le privé, mais j'ai choisi de la mettre dans le public, au moins le temps d'une année", raconte-t-elle. "On verra comment ça se passe."

Professeur de mathématiques et délégué syndical Snes-FSU à Jean-Jaurès, Benoît Mauro affirme qu'il manque déjà, pour le collège, un enseignant pour assurer "quatre heures" dans sa matière et un autre pour "neuf heures en allemand". Si la problématique des heures non remplacées touche toute la France, la Seine-Saint-Denis est particulièrement exposée. "Seul un enseignant sur deux serait remplacé dans le secondaire en Seine-Saint-Denis, contre 78% à l'échelle nationale", avait avancé le président du département, Stéphane Troussel, en mars, dans un communiqué relayé sur X.

Alors que l'intersyndicale du 93 s'est largement mobilisée contre la mise en place des groupes de niveau en français et en mathématiques, Jean-Jaurès n'appliquera pas cette réforme. Croisé au détour d'une rue qui sépare le collège du lycée, le chef d'établissement confirme que les nouveaux "groupes de besoin" n'y verront pas le jour, car "les élèves sont suffisamment bons". Une décision bénéfique aux apprentissages de tous, estime Benoît Mauro. "Ici, les élèves issus de familles très pauvres côtoient des élèves très favorisés sur le plan culturel. Ils se parlent tous dans la cour, c'est important de garder cette mixité en classe", défend l'enseignant.

Un parent d'élève devenu contractuel pour dépanner

Assises sur un banc en bois, quatre jeunes filles se partagent deux canettes de boisson énergisante. "On est devant le lycée", s'exclame l'une d'elles, téléphone au bord des lèvres, dans un message vocal destiné à "Marco". Ces futures secondes, qui attendent leur rentrée prévue à 10 heures, disent avoir connu des absences répétées d'enseignants dans les collèges Colonel-Fabien et Cesaria-Evora. Elles pourraient revivre cette situation au lycée Jean-Jaurès, où de nombreux postes n'ont toujours pas été pourvus, selon le Snes-FSU de l'académie de Créteil : entre 15 et 18 heures en français, 18 heures en espagnol, 12 heures en SVT...

Face au manque de moyens humains, "on bourre de plus en plus les classes", déplore la syndicaliste Claire Fortassin. En seconde, les élèves de Jean-Jaurès seront en moyenne 30 par classe, parfois 32. Des salles surchargées, dans un établissement vieillissant. "Nos enfants ne sont pas traumatisés par la vétusté des locaux. Ils s'adaptent, alors qu'ils pourraient travailler dans de meilleures conditions", déplore une mère de famille, Natacha Espinosa. Cette membre de la fédération de parents d'élèves FCPE cite notamment des bâtiments trop petits, des chaises manquantes, ainsi que des casiers et des sanitaires cassés.

Un autre parent d'élève la rejoint au café du coin. "Ca t'a pas manqué de faire la rentrée ?", lui lance Natacha Espinosa. L'an dernier, Sébastien Crème s'était porté volontaire pour assurer un poste de physique-chimie vacant au collège. "Trois semaines après la rentrée, les élèves n'avaient toujours pas de prof. Alors, j'ai fait une pause dans ma carrière pour devenir contractuel", s'amuse ce directeur technique en informatique. Il en retient des conditions de travail "très dures" et une rémunération affichant "deux tiers de moins" que son salaire habituel.

En dépit d'une école publique "qui se détériore", Natacha Espinosa n'envisage pas de se tourner vers le privé. Sébastien Crème non plus. "Pour l'avenir de mes enfants, je préfère qu'ils étudient en mixité, avec des profs passionnés."

(*) Les prénoms ont été modifiés. 

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