Les syndicats estiment que le nombre de manifestants a approché la barre du million en France jeudi
Selon la CGT, la manifestation parisienne sur l'emploi et les retraites organisée dans le cadre de la journée nationale d'action à l'appel de six syndicats a rassemblé jeudi après-midi 90.000 manifestants, selon la police, 22.000.
Le PS a soutenu cette manifestation. A Lille, Martine Aubry a défilé et dénoncé la montée des inégalités.
Les organisateurs (CGT, CFDT, CFTC, FSU, Unsa et Solidaires) ont atteint l'objectif de "faire mieux" que lors de la dernière mobilisation du 23 mars (800.000 manifestants selon la CGT, 395.000 selon le ministère de l'Intérieur). Mais ils n'ont pas franchi de palier, et on reste loin des cortèges imposants de l'hiver 2009 (2,5 à 3 millions de manifestants selon la CGT).
Le porte-parole du gouvernement Luc Chatel a estimé jeudi que la "faible mobilisation" enregistrée venait "valider la méthode du gouvernement" sur ce dernier dossier, dans une déclaration à l'AFP.
La FSU a estimé que "le gouvernement devait renoncer à s'obstiner, sur la réforme, faisant valoir que les salariés du public et du privé avaient participé "massivement" à la journée d'action.
Rendez-vous en septembre ?
Les dirigeants syndicaux savent qu'il faudra un mouvement beaucoup plus fort pour espérer voir le gouvernement faire des concessions. "Il y aura certainement une autre étape. On décidera avec l'intersyndicale si elle doit avoir lieu fin juin ou début septembre ou les deux", a déclaré François Chérèque (CFDT), tout en saluant une "journée réussie". Selon Alain Olive (Unsa), "c'est un parcours de longue haleine, et pas une course de vitesse comme le veut la stratégie gouvernementale. Tout ça va monter par paliers".
Le véritable rendez-vous aura lieu en septembre, lorsque la réforme des retraites viendra devant le Parlement, une fois les vacances passées, après la présentation de son contenu autour du 20 juin suivie du passage au Conseil des ministres le 13 juillet.
Présent dans le carré de tête de la manifestation parisienne, Bernard Thibault (CGT) s'est dit satisfait que "sur la moitié des manifestations recensées, on est déjà à +20% par rapport aux manifestations du 23 mars". "Je crois que le chef de l'Etat lui-même va être contraint de réfléchir", a-t-il affirmé.
De fait, les cortèges ont été bien plus garnis qu'au 1er mai (350.000 manifestants selon la CGT). Mais les salariés du privé n'ont pas été légion, pas plus que les cheminots, dont le régime spécial de retraite est pour l'instant préservé. Selon les journalistes de l'AFP sur place, les fonctionnaires formaient le gros des troupes.
Aubry : "M.Woerth devrait sortir du 7e arrondissement pour voir comment vivent les ouvriers qui ont travaillé avant 19 ans"
A Lille, la première secrétaire du PS, Martine Aubry, qui a défilé avec les manifestants (7.200 manifestants, selon la police, 12.000 selon les syndicats), a déclaré: "Ce n'est plus possible autant d'inégalités, autant de difficultés", a-t-elle dit. "On peut sauver les retraites. On peut le faire de manière juste, et pas évidemment en supprimant la possibilité de partir à 60 ans, qui existe notamment pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt et qui sont au chômage malheureusement pour beaucoup depuis (l'âge de) 50 ou 55 ans", a-t-elle assuré.
"M. Woerth devrait sortir du 7ème arrondissement de Paris pour voir comment vivent ici les ouvriers et les ouvrières qui ont travaillé avant 19 ans", a-t-elle lancé.
Mme Aubry a également détaillé les propositions du PS, notamment "faire contribuer les bonus, les stocks options (...) la participation et l'intéressement", prélever "un pourcentage de la valeur ajoutée" des grandes entreprises, mettre en place "une augmentation de 15% de l'impôt sur les sociétés des banques, celles qui nous ont mené à la crise, qui refont aujourd'hui des bénéfices alors que les Français leur ont par leurs impôts prêté 20 milliards d'euros".
"La retraite avant Alzheimer" !
Organisateurs et police ont aussi fourni des estimations diamétralement divergentes à Marseille (80.000 et 12.000 manifestants respectivement) et à Bordeaux (40.000, 6.500) où l'humour était décliné sous toutes ses formes sur les pancartes : "travailler jusqu'à 67 ans, d'accord mais je commence quand?", "La retraite avant Alzheimer".
Les cortèges ont été bien fournis à Lyon (de 8.000 à 15.000), Nantes (de 9.000 à 25.000), Rouen (entre 12.000 et 23.000), Grenoble (de 6 à 25.000), ainsi que dans de nombreuses villes secondaires, comme Foix (Arège, 3 à 4.000), Perpignan (4 à 8.000), Pau (7 à 8.000).
Dans d'autres villes, la mobilisation a été en net retrait par rapport au 23 mars, comme à Rennes (de 2 à 4.000).
La défense des retraites semblait le premier motif d'inquiétude. "Ni un, ni deux, ni trois ans de plus ! Retraite à 60 ans !", scandaient les manifestants havrais, dont beaucoup de dockers et des salariés de Renault ou Total. Pour cette journée d'action, les syndicats avaient appelé à des arrêts de travail à déterminer localement, qui n'ont pas eu d'impact significatif.
Peu de répercussions dans les transports
En tout cas, l'appel intersyndical a eu peu de répercussions dans les transports. Des perturbations ont eu lieu dans les transports de quelques villes, comme Nice, Clermont-Ferrand, Reims, ainsi qu'à l'aéroport d'Orly. A la SNCF ont été affectés principalement les TER et Transiliens (75% et 80% respectivement du trafic normal).
Dans l'Education nationale, les grévistes étaient 15,99% dans les écoles et 12,27% dans les collèges et lycées (chiffre officiel), 30% dans les collèges et lycées (chiffre syndical).
CGT, CFDT, CFTC, FSU, Unsa et Solidaires entendent peser sur la réforme du gouvernement, qui a annoncé officiellement mardi qu'il entendait reporter l'âge légal de départ à la retraite au-delà de 60 ans.
FO ne s'est pas jointe à l'appel, la centrale de Jean-Claude Mailly restant sur sa propre journée d'action le 15 juin, une date jugée trop tardive par les autres syndicats.
Le calendrier du projet de loi
Le projet de loi sur les retraites sera présenté en Conseil des ministres au mois de juillet et débattu au Parlement en septembre, a dit jeudi le ministre du Budget, François Baroin. Le ministre confirme ainsi le calendrier évoqué par plusieurs médias mais ne dit pas si la procédure accélérée sera réclamée par le Premier ministre François Fillon. Le projet de loi du gouvernement devrait donc être dévoilé à la mi-juin.
La presse nationale et régionale parle généralement vendredi d'une mobilisation "en demi-teinte" pour la journée d'action interprofessionnelle de jeudi, plusieurs éditorialistes estimant que "le choc frontal reste à venir".
Dans Libération, Laurent Joffrin juge que "le test social" des syndicats "n'est certainement pas un échec". Mais le gouvernement ayant convaincu "l'opinion qu'on ne pouvait laisser les choses en l'état", "prêcher le refus" est vain et seul "un projet alternatif précis" peut mobiliser plus, souligne-t-il.
Pour Paul-Henri du Limbert (Le Figaro), "la journée d'hier est un revers pour les syndicats". Quant à la fin de la retraite à 60 ans, qui "à une époque pas si lointaine" aurait "fait trembler les pavés de la capitale", "les Français ont compris qu'on avait changé d'époque" et leur "changement de mentalité" est "acquis", se réjouit-il. De l'autre côté de la sphère politique, L'Humanité assure au contraire que "l'opinion soutient massivement l'action syndicale" et attaque la méthode gouvernementale: "il faut être bien convaincu que son projet nie l'intérêt général pour fuir à ce point le débat citoyen", martèle Patrick Apel-Muller.
Plus léger, Francis Brochet, dans le Progrès de Lyon, croit savoir que "notre président" cale son agenda de la réforme des retraites "sur le grand événement de l'été, le seul et l'unique: la Coupe du Monde de football". Et conclut: "le paradoxe serait qu'au final, la réforme passe grâce aux exploits d'une bande de jeunes gens qui partiront, dès la trentaine, pour une retraite plus que dorée".
"Choc frontal à venir" ?
"Cette réforme des retraites n'est pas mûre et qu'il y ait eu plus ou moins de manifestants n'y aurait rien changé", analyse Daniel Ruiz (La Montagne), pour qui "le choc frontal reste à venir". Patrick Fluckiger (L'Alsace) est du même avis: "croire que les syndicats vont s'épuiser après une journée en demi-teinte (...) relève soit de la naïveté, soit de l'autosuggestion". Et de s'en prendre à la "fanfaronnade" gouvernementale sur le sujet, qui pourrait remotiver les salariés.
"En vérité, personne n'a perdu et personne n'a véritablement gagné non plus", résume Pierre Fréhel dans Le Républicain Lorrain, qui parle de la "contradiction" des Français: "majoritairement prêts à se mobiliser", mais "résignés, dans une proportion supérieure, au devoir d'économies".
"Demi-échec", assure Jacques Camus dans La République du Centre, à la fois pour les syndicats "qui n'ont pas réussi à rameuter les manifestants en un moment décisif", et pour le gouvernement, "qui a beaucoup louvoyé et rusé". "Bilan satisfaisant pour les deux camps", rétorque Bruno Bécard dans La Nouvelle République du Centre-Ouest, qui voit "les deux parties renvoyées dos à dos".
En tout cas, "le gouvernement marche sur des oeufs" et Nicolas Sarkozy "va revêtir le costume qu'il chérit tant, celui de funambule", écrit François Martin dans Midi Libre.
Jacques Béal, du Courrier Picard, tente d'élargir le débat: "L'âge de départ [à la retraite, ndlr] n'est qu'un des paramètres d'une réforme complexe à conduire. Le but est de dégager des recettes. Il faudrait que le gouvernement prenne des initiatives plus probantes comme celle de tout faire pour relancer l'emploi".
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