Les flèches entre Sarkozy et Hollande passées au crible
Depuis que Nicolas Sarkozy a officialisé sa candidature, il y a dix jours, les attaques fusent entre le président sortant et son adversaire socialiste. Souvent avec une bonne dose de mauvaise foi.
La campagne s'emballe. Depuis que Nicolas Sarkozy a officialisé sa candidature, il y a dix jours, les flèches fusent entre le président sortant et son adversaire socialiste. Confortés par des sondages qui relèguent leurs adversaires loin derrière eux, les deux principaux prétendants à l'Elysée font main basse sur la campagne. Pour occuper l'espace et marquer les esprits, rien de tel que les bonnes vieilles attaques frontales, au risque parfois de dénaturer la réalité.
• Quand Sarkozy attaque Hollande
Le double-discours "Quand on aime la France, on ne ment pas tous les jours aux uns pour faire plaisir aux autres. On tient le même discours à tout le monde."
Marseille, 19 février.
Nicolas Sarkozy veut appuyer là où ça fait mal en surfant sur les positions parfois fluctuantes de François Hollande. Notamment après l'épisode de son interview au journal britannique The Guardian, dans lequel le socialiste déclare, le 13 février : "La gauche a gouverné pendant quinze ans pendant lesquels elle a libéralisé l'économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n'y a pas de crainte à avoir." Seulement trois semaines après son meeting au Bourget, où il avait désigné le monde de la finance comme son "seul adversaire".
Et ce n'est pas la première fois que le candidat PS est pris en flagrant délit de rétropédalage ou de flou sur ses propositions : retraite à 60 ans, réforme fiscale, heures supplémentaires... Plusieurs semaines après avoir publié ses 60 propositions pour la France, le socialiste a corrigé en catimini celles concernant la politique pénal et Hadopi, comme le rapporte Le Parisien.
Nicolas Sarkozy veut insister pour sa part sur la continuité de son discours depuis 2007. Une attitude à double-tranchant qui le pousse à utiliser les mêmes thèmes (par exemple la valeur travail) comme si rien ne s'était passé depuis son arrivée au pouvoir, ou à formuler des propositions (comme l'interdiction des parachutes dorés) répétées depuis cinq ans mais jamais mises en œuvre.
La régularisation des sans-papiers "Régulariser massivement, ouvrir les vannes, ce n'est ni plus ni moins qu'une faute morale."
Marseille, 19 février.
En accusant François Hollande, sans le nommer, de vouloir "refuser tout contrôle, récuser l’immigration choisie, laissant ainsi la porte ouverte à l’immigration subie", Nicolas Sarkozy prête à son adversaire une volonté imaginaire. Certes, son concept d'"immigration intelligente" reste flou, mais le candidat socialiste a toujours refusé les régularisations massives d'immigrés. Dans son programme, il affirme que les régularisations "seront opérées au cas par cas sur la base de critères objectifs".
La négation de la crise "Occulter la crise, ce n’est pas seulement malhonnête, c’est dangereux."
Marseille, 19 février.
Face aux critiques, le président sortant a une excuse toute trouvée : la crise économique, "la plus grave que le monde ait connu depuis les années 30". Il apprécierait sans doute que ses opposants le reconnaissent de manière un peu plus fair-play au moment de juger son bilan.
Mais Nicolas Sarkozy pousse le raisonnement beaucoup plus loin : "Dire aux Français : 'dormez tranquilles, il n’y a pas de crise, il n’y a pas de risque', c’est jouer avec l'avenir des Français, c'est les laisser sans défense quand la crise et les risques les auront rattrapés. C'est irresponsable et c'est moralement inacceptable", a-t-il dit à Marseille. Cette attaque, qui vise encore une fois implicitement les socialistes, paraît largement excessive : à chaque discours ou presque, François Hollande évoque "la gravité de la crise".
L'augmentation des impôts "Aimer la France, c'est refuser d'augmenter les dépenses et d'augmenter les impôts en pleine crise mondiale de la dette"
Marseille, 19 février.
Il faut bien sûr comprendre, en creux, que François Hollande, accusé de vouloir taxer les classes moyennes et laisser filer les dépenses, n'aime pas la France. Sauf que la démonstration a du plomb dans l'aile. Au petit jeu de savoir lequel des deux propose la perspective budgétaire la plus saine, le vainqueur est loin d'être évident.
Dans son programme, François Hollande prévoit de "maîtriser" la dépense publique. C'est-à-dire d'en augmenter le volume de 1% chaque année. En face, le programme de Nicolas Sarkozy sur ce sujet n'est pas encore connu. Mais tout porte à croire qu'il fera siennes les prévisions du gouvernement Fillon, soit une hausse de 0,8% en 2012 et de 0,4% entre 2013 et 2016.
Quant aux recettes, le gouvernement prévoit de faire passer le taux de prélèvements obligatoires de 43,7% du PIB fin 2011 à 46% en 2016, soit une augmentation de 46 milliards d'euros, a calculé Le Monde. Une somme à mettre en face du "choc fiscal" de 30 milliards d'euros proposé par François Hollande. Bref, côté budget, les deux démarches sont proches.
• Quand Hollande attaque Sarkozy
La dignité de la campagne "Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui veut vous chercher dans la cour de récréation que vous êtes obligé de le suivre dans ce pugilat. Je m'y refuse."
BFMTV, 19 février.
Ainsi donc y aurait-il le candidat des coups bas (Nicolas Sarkozy) et celui de la dignité, qui élève le débat (François Hollande). Evidemment, tout n'est pas aussi simple. Le président sortant a, il est vrai, égratigné sans ménagement le candidat socialiste depuis son entrée tonitruante en campagne, l'accusant de "mentir matin et soir".
Mais à trop jouer les offusqués, François Hollande oublie un peu vite que lui non plus n'est pas tendre avec son adversaire. En déclarant vouloir être un "président normal", il veut rompre avec Nicolas Sarkozy "qui, lui, n'est pas normal", estimait-il en octobre, rapporte Le Point. Jeudi 23 février, à Lille, le président sortant l'a lui-même relevé : "Quand il dit que je suis anormal, c'est une délicatesse ?" Quant aux dernières déclarations de la porte-parole du candidat socialiste Najat Vallaud-Belkacem qui a qualifié le modèle de Nicolas Sarkozy de "mélange de Silvio Berlusconi et de Vladimir Poutine, avec le vide idéologique de l’un, et la brutalité des méthodes de l’autre", elles ne viennent pas vraiment apaiser le débat.
La réforme de la prime pour l'emploi "J’ai fait les comptes entre la suppression de la prime pour l’emploi et la baisse promise des cotisations aux salariés : 3 euros pour les smicards par mois ! Et il voudrait laisser croire à ses promesses ?"
Le Mans, 23 février.
C'est la première grande proposition du président-candidat : supprimer la prime pour l'emploi et la remplacer par une baisse des charges salariales sur les petits salaires, qui pourraient ainsi se voir augmenter d'"un peu moins de 1000 euros" par an. Faux, répond François Hollande, car l'un dans l'autre, le gain ne serait que de 3 euros mensuels. "On prend d’une main et l’on reprend de l’autre. Voilà la logique : on donne et on retire !"
Sur le fond, le raisonnement de François Hollande est juste. En présentant sa mesure, Nicolas Sarkozy a chiffré uniquement le gain induit par la baisse des charges, oubliant sciemment de calculer la perte engendrée par la suppression de la prime pour l'emploi. Mais François Hollande aurait gagné à passer un peu plus de temps sur sa calculette. Car on a beau retourner les chiffres dans tous les sens, impossible de retrouver ses "3 euros par mois pour les smicards". La réalité serait plutôt de 15 euros par mois, ou alors de 4 euros pour un couple de smicards avec deux enfants, selon l'entourage de François Hollande cité par Le Monde.fr.
Les 75 milliards de cadeaux fiscaux "Le paquet fiscal et les largesses qui ont suivi ont fait perdre à l’Etat 75 milliards d’euros par an."
Dans son livre Changer de destin.
Première erreur : François Hollande a commis un lapsus en rédigeant ce passage. Il voulait dire : "75 milliards d'euros à la fin du quinquennat." C'est le journaliste de France Inter Philippe Cohen qui a soulevé le lièvre jeudi matin. La maison d'édition, Robert Laffont, a donc décidé de corriger la faute dans la nouvelle édition de l'ouvrage.
Seconde erreur : ce chiffre de 75 milliards d'euros de cadeaux fiscaux pour les plus fortunés est répété à l'envi par les socialistes depuis plusieurs mois. Mais ce chiffrage ne correspond pas à grand-chose, comme le rappellent régulièrement les journalistes de la rubrique "Désintox" de Libération. "En cumulant tout le paquet fiscal (environ 40 milliards), la suppression de la TVA dans la restauration et celle de la taxe professionnelle, on arrive à un ordre de grandeur proche des 75 milliards", écrivent-ils. Mais ces mesures ne concernent pas uniquement les plus riches ! De l'aveu même des soutiens de François Hollande, les "cadeaux" aux plus fortunés se chiffreraient en fait à 50 milliards d'euros... depuis dix ans que la droite gouverne.
L'augmentation des violences "La violence progresse. Depuis dix ans, les violences aux personnes ont augmenté de 20%. Les agressions les plus violentes se sont multipliées."
Rouen, 15 février.
Voilà un chiffre bien utile à François Hollande à la fois pour attaquer le bilan sécuritaire de Nicolas Sarkozy et pour légitimer la fermeté de son discours. Entre 2002 et 2011, le nombre d'atteintes volontaires à l'intégrité physique enregistrées est passé de 381 053 à 468 012, soit une augmentation de 22,8% (voir page 17 du fichier PDF de l'Observatoire de la délinquance et des réponses pénales, l'ONDRP). Au passage, ce même indicateur avait bondi de 55% au cours des cinq années du gouvernement Jospin.
Mais François Hollande fait mine d'oublier que cette statistique ne reflète pas forcément la réalité du terrain, car tous les faits commis ne font pas l’objet d’un signalement à la police ou à la gendarmerie. "On ne peut pas dire, à la lecture [de ces] statistiques, que les vols ont baissé ou que les violences ont augmenté, mais uniquement que les faits constatés correspondant à ces deux phénomènes ont connu une variation", souligne l'ONDRP. L'augmentation du nombre de plaintes concernant les violences peut avoir un grand nombre d'explications. Certaines infractions considérées en 2002 comme des contraventions (donc non comptabilisées dans ces chiffres) sont depuis devenues des délits. La hausse des plaintes peut aussi s'expliquer par une évolution des mentalités, notamment en ce qui concerne les violences conjugales ou intra-familiales.
Pour mieux appréhender la réalité du terrain, l'ONDRP mène avec l'Insee depuis 2007 des enquêtes de victimation qui portent sur les atteintes dont les personnes interrogées ont pu avoir été victimes au cours du passé récent. La dernière en date, qui porte sur l'année 2010, estime que le nombre de victimes de violences physiques hors ménage a fortement baissé par rapport à 2008 et 2009. Une statistique dont François Hollande ne fait évidemment pas état.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.