Le chef de l'Etat a publié, dans "Le Monde" daté du 9 décembre, une tribune sur "l'identité nationale"
Il a défendu sa conception de l'identité nationale comme "antidote au communautarisme" et a mis en garde contre toute "provocation" dans les pratiques religieuses.
Il est sorti de son silence avant un débat sans vote à l'Assemblée qui s'est déroulé devant une cinquantaine de députés.
Le locataire de l'Elysée avait laissé vendredi son premier ministre, François Fillon, s'exprimer à sa place sur le sujet.
Très attendu sur la question qui a enflammé le débat en France, Nicolas Sarkozy se refuse, dans sa tribune du Monde, à critiquer le vote des Suisses contre les minarets. A ses yeux, le vote suisse du 29 novembre contre la construction de nouveaux minarets reflète des "préoccupations" largement partagées.
"Au lieu de condamner sans appel le peuple suisse, essayons aussi de comprendre ce qu'il a voulu exprimer et ce que ressentent tant de peuples en Europe, y compris le peuple français. Rien ne serait pire que le déni", écrit-il.
"Comprenons bien d'abord que ce qui s'est passé n'a rien à voir avec la liberté de culte ou la liberté de conscience. Nul, pas plus en Suisse qu'ailleurs, ne songe à remettre en cause ces libertés fondamentales.
Les peuples d'Europe sont accueillants, sont tolérants, c'est dans leur nature et dans leur culture. Mais ils ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés. Et le sentiment de perdre son identité peut être une cause de profonde souffrance. La mondialisation contribue à aviver ce sentiment.
La mondialisation rend l'identité problématique parce que tout en elle concourt à l'ébranler, et elle en renforce en même temps le besoin parce que plus le monde est ouvert, plus la circulation et le brassage des idées, des hommes, des capitaux, des marchandises sont intenses, et plus on a besoin d'ancrage et de repères, plus on a besoin de sentir que l'on n'est pas seul au monde. Ce besoin d'appartenance, on peut y répondre par la tribu ou par la nation, par le communautarisme ou par la République.
L'identité nationale c'est l'antidote au tribalisme et au communautarisme. C'est pour cela que j'ai souhaité un grand débat sur l'identité nationale. Cette sourde menace que tant de gens dans nos vieilles nations européennes sentent, à tort ou à raison, peser sur leur identité, nous devons en parler tous ensemble de peur qu'à force d'être refoulé ce sentiment ne finisse par nourrir une terrible rancœur".
Pratiquer son culte avec "une humble discrétion"
"L"ouverture aux autres est un enrichissement", écrit encore le président de la République, opposant "le métissage", qui "est la volonté de vivre ensemble", au "communautarisme", qui "est le choix de vivre séparément". Le président de la République insiste sur la nécessité de "respecter ceux qui arrivent" et de "respecter ceux qui accueillent".
"Chrétien, juif ou musulman, homme de foi, quelle que soit sa foi, croyant, quelle que soit sa croyance, chacun doit savoir se garder de toute ostentation et de toute provocation et, conscient de la chance qu'il a de vivre sur une terre de liberté, doit pratiquer son culte avec l'humble discrétion qui témoigne non de la tiédeur de ses convictions mais du respect fraternel qu'il éprouve vis-à-vis de celui qui ne pense pas comme lui, avec lequel il veut vivre."
La gauche critique, Besson esseulé à l'Assemblée
Alors que Nicolas Sarkozy publiait sa tribune dans "Le Monde", un débat sur l'identité nationale était organisé mardi à l'Assemblée nationale, à la demande de l'UMP. L'opposition de gauche a accusé le gouvernement français d'instrumentaliser le débat organisé sur l'identité nationale.
Le débat dans l'Hémicycle, animé par le ministre de l'Immigration Eric Besson, a pris un tour convenu devant une petite cinquantaine de députés UMP. "L'identité nationale ne se décrète pas. Raison de plus pour associer à la réflexion sur ses valeurs toutes les forces vives, tous nos concitoyens", a plaidé Eric Besson, alors que, dans les couloirs de l'Assemblée, des voix critiques dans les rangs de la majorité se sont fait entendre.
Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, a "reproché" au président de la République "non d'avoir ouvert ce débat" car, a-t-il dit, "la France doute d'elle-même et de sa cohésion", mais de faire du débat sur l'identité nationale "un instrument de division nationale". Différents orateurs ont pris la parole à mesure que les bancs se vidaient. En fin d'après-midi, Jean-Marc Ayrault a d'ailleurs dénoncé le départ de la plupart des élus UMP, estimant "que ce débat s'est retourné contre ses auteurs".
Jean-Pierre Grand (UMP, villepiniste) a estimé que ce débat constituait "un merveilleux appel d'air pour le Front national. Je le regrette profondément. L'identité nationale est un débat dangereux, inutile, qui ne fait pas honneur à la classe politique". En revanche, Jean-François Copé, pour l'UMP, a salué "un rendez-vous de réflexion humaniste".
"Le Monde" publie en ligne la tribune complète du chef de l'Etat :
Sarkozy : respecter ceux qui arrivent, respecter ceux qui accueillent
Les réactions de la presse
Les éditorialistes de la presse quotidienne revenaient largement mercredi sur la tribune de Nicolas Sarkozy dans Le Monde sur l'identité nationale.
"Le mérite du débat sur l'identité nationale, c'est de prendre acte d'une réalité que chacun constate: La France a changé", écrit Paul-Henri du Limbert dans Le Figaro. "Les Français l'avaient bien compris, mais on ne leur disait pas clairement", ajoute-t-il.
Pour Hubert Coudurier (Le Télégramme), "Nicolas Sarkozy estime que c'est précisément l'identité nationale qui éloigne la tentation communautariste du repli sur soi".
"Au lieu d'ouvrir une vaste consultation populaire visant au renforcement de nos valeurs républicaines, le chef de l'État a ouvert une boîte de Pandore", estime pour sa part Jacques Camus dans La République du Centre. Pour l'éditorialiste, "c'est plutôt un débat de division nationale qu'a ouvert Nicolas Sarkozy."
Dans La Montagne, Daniel Ruiz reconnaît que "le chef de l'État, pour sortir du piège dans lequel il s'est enfermé, réinvente la différence entre les religions". Dans Libération, Laurent Joffrin rappelle que "les musulmans font partie de la société française depuis très longtemps". "Si les musulmans 'arrivent', c'est surtout dans la conscience d'une partie de l'opinion, qui ne voulait pas les voir", précise-t-il. "Il n'y aura pas de minaret sur l'Élysée... La liberté de culte, oui. L'ostentation, non", résume ainsi Jean-Pierre Bel dans La Nouvelle République du Centre-Ouest.
Plus prosaïquement, Didier Pobel (Le Dauphiné Libéré) constate que "nous ne sommes pas menacés par un choc de civilisations (...)". "Nous sommes juste à trois mois des élections régionales. Faut pas confondre la burqa et le rideau de l'isoloir", estime-t-il.
Pour Hervé Chabaud (L'Union/L'Ardennais), "c'est aussi en facilitant le partage des valeurs qui tapissent le creuset républicain qu'on écarte la tentation communautariste".
Plus sévère, Jean-Emmanuel Ducoin dans L'Humanité souligne que "Nicolas Sarkozy porte une responsabilité dont il n'est pas près de s'affranchir". "C'est lui et personne d'autre qui a déchiré l'une des plus belles pages de notre pacte républicain. On ne réveille pas la bête immonde sans vouloir en être le maître !", accuse l'éditorialiste du quotidien communiste.
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