Reportage Pas-de-Calais : à la faveur d'une lente décrue, les bénévoles de la Protection civile commencent le pompage des caves pour "sortir les gens de la galère"

Article rédigé par Fabien Magnenou - Envoyé spécial à Wizernes et Berck (Pas-de-Calais)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des bénévoles de la Protection civile pompent l'eau dans une cave inondée, le 4 janvier 2024 à Wizernes (Pas-de-Calais). (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)
Les volontaires de l'association multiplient les interventions pour venir en aide aux habitants des villes touchées par les crues. Une de leurs missions : pomper l'eau des sous-sols inondés.

"T'en as eu dans la maison, toi ?" "Oui, et toi ?" S'il faut parler un peu fort, jeudi 4 janvier à Wizernes (Pas-de-Calais), c'est que le bruit des pompes bourdonne dans toute la petite ville. Pendant la matinée, le niveau de l'eau atteignait encore 2,90 mètres sous le pont menant à la papeterie. Le département est toujours placé en vigilance rouge mais la lente décrue de l'Aa, malgré tout, est amorcée. C'est l'heure de constater les dégâts et de vider les sous-sols submergés. Un fourgon, justement, vient de se garer dans la rue du Foyer. Alors que les plaies sont encore vives, les bénévoles de la Protection civile jouent un rôle précieux auprès de la population.

Cette fois-ci, ils ont répondu à l'appel de Francine Heduy, 87 ans. L'ancienne coiffeuse s'efforce de sourire, mais elle est encore abasourdie par la perte de sa nouvelle chaudière, noyée dans la cave. Sevan Rigaux, lui, est agenouillé dans la rue, appliqué à faire fonctionner une pompe. "Il y a une crépine au bout du tuyau pour ne pas aspirer toutes les saloperies, et on a tiré un tuyau qui va se vider dans la bouche d'égout, là-bas. Bien sûr, on l'a contrôlée avant, pour ne pas inonder d'autres parties de la rue." Le bénévole de 17 ans récite sa partition et débute une longue journée d'interventions.

Des sous-sols de nouveau submergés 

Quand la pompe commence à ronronner, il vient l'amorcer en vidant une bouteille d'eau. Un peu plus tard, la cave retrouve son apparence d'antan, et le congélateur qui était installé là a cessé de flotter. Il faudra une petite heure encore pour vider la pièce. Mais en sous-sol, l'eau arrive de tous les côtés. "J'ai deux mauvaises nouvelles, annonce finalement à l'octogénaire Maxime Cailliet, lui aussi bénévole. Je ne peux plus fermer la fenêtre et il y a encore des infiltrations." En entendant ces derniers mots, Francine Heduy se met à vaciller, avant de s'écrouler dans son fauteuil. "Ma chaudière, ma chaudière", répète-t-elle encore. La vieille dame voulait tant rester chez elle, après avoir été hébergée cinq semaines chez sa fille, lors de la dernière crue en novembre. 

Une cave inondée dans une habitation de Wizernes (Pas-de-Calais), le 4 janvier 2024. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

La scène touche forcément Sevan Rigaux, qui a lui-même été contraint de quitter la maison familiale de Frencq en novembre, car elle était inhabitable. Et si les assurances prendront en charge les travaux d'électricité dans sa maison, évalués autour de 7 500 euros, elles ne remplaceront pas sa chaudière, qui avait plus de 10 ans. Après avoir bénéficié lui-même de l'aide de la Protection civile, le lycéen a choisi de devenir bénévole pour "sortir les gens de la galère".

Ce jeudi, cela fait déjà 72 heures qu'il est de garde. En début de semaine, il s'est même retrouvé à installer des barrières de protection dans son propre quartier, chez ses voisins. Cela n'a pas suffi à éviter une nouvelle crue.

"Il faut une jeunesse qui ait envie d'aider. C'est aussi un plaisir de le faire."

Sevan Rigaux, 17 ans, bénévole à la Protection civile

à franceinfo

Un peu plus loin dans la rue, il n'est pas rare de voir des petits tuyaux jaunes ou bleus sortir des maisons. Après la précédente crue, de nombreux habitants ont choisi d'acquérir leur propre matériel de pompage. Cet investissement est désormais nécessaire, estime Thierry Demol, qui gère l'auto-école. "On va encore en avoir, des inondations, les sols sont gorgés d'eau." Mais encore faut-il avoir les moyens de faire un tel achat. Cet habitant a déboursé 720 euros pour investir dans un groupe électrogène et un surpresseur – un type de pompe à eau. A midi, il avait déjà vidé sa cave et s'attaquait désormais au jardin, qui communique avec deux autres terrains. 

Thierry Demol, un habitant de Wizernes (Pas-de-Calais), a acquis son propre matériel de pompage, afin d'anticiper de prochaines inondations. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Les habitants qui n'ont pas de solution, eux, peuvent contacter directement la Protection civile. Leurs appels ont tous été pris en charge au centre de coordination de Berck, à 90 kilomètres de là. Dans le Pas-de-Calais, trois équipages sont spécialement dédiés aux inondations. Le dispositif sera renforcé les prochains jours. Car le travail ne manque pas. Aurélien Grare, le directeur de la Protection civile, a les yeux rivés sur le site Vigicrues, sur son logiciel Argos et sur la carte du département. "Le but est que les sinistrés nous appellent directement, explique-t-il. Cela désengorge les lignes de la mairie, qui peut utiliser ce temps pour faire autre chose." 

"On reçoit davantage de candidatures depuis les inondations, et d'appels pour donner des coups de main."

Aurélien Grare, responsable de la plateforme de la Protection civile du Pas-de-Calais

à franceinfo

Elise Defrance, une bénévole en service civique, décroche le téléphone. A l'autre bout du fil, une femme explique que sa cave est inondée par 1,20m d'eau. La volontaire lui demande une description du sinistre, évalue la possible présence d'hydrocarbures. Elle cherche aussi à savoir si la rue est toujours inondée, auquel cas il serait trop tôt pour pomper. Jeudi, il était encore trop tôt dans toutes les communes situées plus en aval de l'Aa. 

Une équipe de la Protection civile à la plateforme de coordination départementale de Berck (Pas-de-Calais), le 4 janvier 2024. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

A Wizernes, un autre sinistré, Hervé Cristo, appelle à son tour et répond aux mêmes questions. Cet homme originaire de la Nièvre est venu passer des vacances chez son fils. La veille, l'eau s'est arrêtée quelques millimètres avant d'entrer dans la maison. Une petite pompe acquise récemment a tourné toute la nuit dans la cave inondée, sauvant peut-être l'habitation.

"A la Protec', on ne compte pas ses heures"

Mais avec 1,50 m d'eau à pomper, l'appareil de fortune ne fait pas le poids. "Les bouteilles de vin, après la première crue, avaient été montées à l'étage", raconte Hervé Cristo, alors que l'une des machines capables de pomper 30 m3 par heure, mise en place par les bénévoles, commence à tourner.

Une équipe de la Protection civile du Pas-de-Calais vide une cave inondée sur la commune de Wizernes (Pas-de-Calais), le 4 janvier 2024. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO)

Les capacités de la Protection civile, toutefois, restent bien plus modestes que celles des militaires de la Sécurité civile. Au niveau départemental, des moyens de pompage intensifs ont commencé à être déployés jeudi, avec l'installation de quatre pompes dans le secteur de Mardyck (Nord), avec une capacité totale de 20 000 mètres cubes par heure. Huit autres pompes sont en cours d'installation, grâce au mécanisme de protection civile de l'Union européenne.

Mais puisqu'il faudra pomper encore longtemps, et un peu partout, les trois bénévoles repartent déjà pour une nouvelle évacuation, alors que la nuit ne va pas tarder à tomber. "A la Protec', on compte pas ses heures."

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