Sols saturés, infrastructures dépassées, manque de relief... On vous explique pourquoi les décrues sont si lentes dans le Pas-de-Calais

La décrue de l'Aa, fleuve côtier du département toujours classé rouge jeudi, a débuté. Mais, comme en novembre, de nombreuses localités ont encore les pieds dans l'eau.
Article rédigé par Camille Adaoust, franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La ville de Saint-Martin-d'Hardinghem (Pas-de-Calais) est inondée, le 3 janvier 2024. (SDIS DU PAS-DE-CALAIS / ANADOLU / AFP)

L'impression de "revivre la crue" de novembre "en accéléré". De nombreux habitants du Pas-de-Calais sont encore confrontés à d'importantes inondations, jeudi 4 janvier. Le fleuve côtier Aa est classé en rouge par Vigicrues depuis mardi après-midi. "Ce sont des inondations exceptionnelles, rarement vues, pour ne pas dire jamais", relève auprès de franceinfo Matthieu Sorel, climatologue à Météo-France.

Selon le préfet du Pas-de-Calais, Jacques Billant, il devrait tomber "près de 100 mm de pluie" cumulés en six jours entre samedi et jeudi. "En prenant du recul, depuis le 15 octobre, les précipitations tombées sont 2,5 fois supérieures à la normale. C'est colossal. Dès qu'il repleut, les rivières se remettent à déborder de façon majeure", précise Matthieu Sorel. Jeudi, des débordements sont encore attendus, en particulier "à l'aval du tronçon" de l'Aa, alerte Vigicrues. De nouvelles pluies pourraient encore "retarder la décrue en cours". La baisse des cours d'eau se fait donc toujours attendre dans le département, et ce pour plusieurs raisons. 

Parce que les sols sont saturés d'eau

Les épisodes pluvieux se succédant depuis le mois de novembre, les sols du Pas-de-Calais sont détrempés. Dans les souterrains, les nappes phréatiques sont pleines : "Les niveaux piézométriques mesurés se situent globalement au-dessus des normales d'un mois de novembre", selon les dernières données (en PDF) du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). En surface, les sols sont "très saturés en eau", décrit à franceinfo Jean-Marie Coulomb, responsable de Vigicrues. "C'est surtout l'humidité de surface qui fait la différence. Les sols sont proches des 100% d'humidité, ils n'absorbent plus et la pluie s'écoule directement vers les cours d'eau." D'autant plus que les sols de cette zone sont argileux. Par conséquent, ils absorbent l'eau lentement et la retiennent longtemps.

Parce que le territoire est plat

Une fois les niveaux d'eau élevés, le manque de relief du département ne facilite pas une décrue rapide. "C'est un territoire assez plat. L'eau s'écoule moins vite qu'en zone de montagne par exemple", décrit Jean-Marie Coulomb. Le point culminant du département est en effet situé à 211 mètres seulement, à Alquines, comme le note cette petite commune sur son site.

"Le cours d'eau de l'Aa dans l'Audomarois (nord-est du département) est même dix mètres en dessous du niveau de la mer, ce qui entrave l'évacuation des eaux, qui s'écoulent peu vers la mer du Nord", résume Le Figaro. "En parallèle, les marées à fort coefficient peuvent pousser les eaux des rivières dans le sens opposé à leur descente : l'eau rentre dans les terres, au lieu de se jeter dans la mer", explique également le quotidien. Jean-Marie Coulomb conclut donc : "Une fois qu'on est en situation de crise, ça dure."

Parce que le département peine à s'adapter

Les précipitations sont amenées à s'intensifier, sous l'impact du réchauffement climatique. "A l'échelle de la France, les précipitations annuelles (...) sont caractérisées par une nette disparité avec une augmentation sur une grande moitié nord (surtout le quart nord-est) et une baisse au sud", explique Météo-France. Une augmentation qui se fait déjà ressentir : le service de météorologie précise à France Télévisions que selon "les cumuls annuels à l'échelle du département, il s'agit de la deuxième année la plus pluvieuse (archive débutant en 1959), avec 1 126 mm, pratiquement ex æquo avec les 1 127 mm de l'année 2000. Cela représente un excédent de 25% par rapport aux moyennes 1991-2020."

"On connait des crues de plus en plus importantes, qui battent des records de hauteur et dépassent à chaque fois les données connues. On a de plus en plus d'interventions, avec de plus en plus de dégâts", explique à franceinfo Adam Beernaert, directeur général de la protection civile du Pas-de-Calais. Pour y faire face, certaines voix déplorent le caractère inadapté du territoire. Il est doté d'un "réseau de canaux et d'écluses, appelé wateringues", rappelle TF1 Info, à savoir "1 500 km de fossés et de canaux, qui [permettent] en théorie de garder au sec les terres".

Mais ce réseau se dégrade, selon Allan Turpin, maire d'Andres et président de l'association Stop inondations Pas-de-Calais. "Certaines stations ont une quarantaine d'années. Des sections ont été déclassées et ne sont plus entretenues, sans concertation avec la commune. Nous sommes livrés à nous-mêmes", dénonce-t-il auprès de franceinfo, rappelant que des promesses de travaux avaient été faites après les inondations de 2006, mais qu'il n'a "toujours pas vu le premier coup de pelle". Il demande donc des moyens pour améliorer le pompage, le renforcement des berges ou encore un curage, là où c'est nécessaire.

L'élu fustige aussi l'imperméabilisation des sols dans le département : "Le territoire a été urbanisé là où il ne fallait pas. Des secteurs n'auraient jamais dû être construits." Face à ces défis, le climatologue Matthieu Sorel invite le département à évoluer : "Sur la période hivernale, on s'attend à des précipitations plus marquées, c'est ce qu'on observe actuellement. Il doit s'adapter à ces nouvelles conditions météorologiques."

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