On vous explique ce que change l'arrêt de la Cour de cassation sur le lien de subordination entre Uber et un chauffeur
La plus haute juridiction française a considéré que le statut d'indépendant d'un chauffeur n'était "que fictif". Un revers pour la plateforme américaine.
C'est un arrêt de la Cour de cassation suffisamment important pour qu'il soit traduit en anglais et en espagnol. Il faut dire que la plus haute juridiction française a frappé fort, mercredi 4 mars, en confirmant la requalification en contrat de travail du lien entre Uber et un de ses chauffeurs. Elle estime que le lien de subordination entre le chauffeur et la plateforme est caractérisé lors de la connexion à la plateforme et que le conducteur ne doit donc pas être considéré comme un travailleur indépendant mais comme un salarié. Cette décision – une première en France – pourrait bien bouleverser le modèle économique de Uber.
Il pourrait faire jurisprudence
L'avocat du chauffeur n'a pas caché sa joie à la lecture de la décision de la Cour de cassation. Fabien Masson y voit une "jurisprudence" qui vise "le numéro un des plateformes de VTC". C'est même un "coup de tonnerre", va jusqu'à dire Régis Dos Santos, le président des assemblées confédérales de la CFE-CGC.
De fait, l'issue favorable réservée à ce chauffeur devrait donner des idées aux 30 000 conducteurs Uber qui travaillent sur le territoire français. Comme leur collègue Maximilien Petrovic, certains vont à leur tour exiger la requalification de leur relation contractuelle avec l'entreprise américaine. Pour faciliter les démarches, Fabien Masson a mis en ligne un courrier type.
Les chauffeurs pourront également s'appuyer sur les éléments écrits noir sur blanc dans l'arrêt de la Cour de cassation. Elle juge en effet que le chauffeur "qui a recours à l'application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d'exécution de sa prestation de transport". Pour la plus haute juridiction française, la possibilité de se déconnecter de la plateforme sans pénalité "n'entre pas en compte dans la caractérisation du lien de subordination". Bref, autant d'éléments qui ne recouvrent pas les critères du travail indépendant.
Il n'a de valeur que pour ce cas précis
Dans les faits, les chauffeurs ne deviendront pas salariés d'Uber d'un coup de baguette magique. En effet, cet arrêt remet totalement en cause le modèle économique du géant américain... qui n'a donc pas intérêt à faciliter la démarche. Selon la plateforme, cette décision "n'entraîne pas une requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs utilisant notre application".
Dit autrement, celui qui souhaiterait se prévaloir de la décision de la Cour de cassation est prévenu : il devra attaquer l'opérateur devant la justice pour obtenir gain de cause. "Cette décision ne reflète pas les raisons pour lesquelles les chauffeurs choisissent d'utiliser l'application Uber", a ainsi réagi un porte-parole, qui met en avant "l'indépendance et la flexibilité qu'elle permet".
D'ailleurs, la société dit ne pas s'attendre à crouler sous les dossiers. "C'est la seule et unique affaire en requalification que nous ayons jamais perdue en France", explique Uber, qui recense à ce jour 150 cas de chauffeurs ayant lancé une procédure ou ayant affirmé vouloir le faire, dans le but de faire requalifier leur contrat de prestation de service en contrat de travail. Ce qui représente 0,2% des chauffeurs passés ou actuels.
Il pourrait inspirer les livreurs Deliveroo
Mais cette jurisprudence Uber pourrait aussi faire tache d'huile vers d'autres plateformes, par exemple celles de livraison de repas à domicile. "Cette décision nous donne évidemment envie de nous battre, confie à franceinfo Ludovic Rioux, livreur Deliveroo à Lyon. Elle confirme ce que nous disons depuis longtemps à la CGT, que ce n'est pas parce qu'on se connecte quand on veut que l'on n'est pas subordonné à l'application."
Cet arrêt ne permet pas en soi de dire que tout est réglé, loin de là. C'est à nous de nous battre pour obtenir gain de cause. Les plateformes ne nous aideront pas.
Ludovic Rioux, livreur Deliverooà franceinfo
Cet arrêt n'est d'ailleurs pas une véritable première en France puisque la Cour de cassation avait déjà rendu le même type de décision en 2018, alors qu'elle avait été saisie par un coursier à vélo de la société Take Eat Easy, autre plateforme de livraison de repas à domicile qui a depuis été liquidée.
L'avocat Kevin Mention, qui suit une dizaine de dossiers similaires, estime quand même que cet arrêt va "beaucoup plus loin" que cette précédente décision. "Les plateformes, si elles ne changent pas leur modèle aujourd'hui, vont droit dans le mur, car c'est la requalification assurée", avertit-il.
Il fragilise le modèle économique d'Uber
Est-ce pour autant le début de la fin de l'ubérisation ? "Le modèle économique de ces plateformes a été porté aux nues dans les années 2010, rappelle Joël Hazan, spécialiste des mobilités, dans La Croix. Mais on en revient en grande partie." "Les pays occidentaux ne peuvent pas laisser se développer des emplois aussi précaires", ajoute-t-il. Ce modèle n'a permis à aucune de ces plateformes de générer des profits. En fait, elles auraient plus à gagner avec un modèle de salariat qu'en économisant des charges patronales. Cela leur permettrait notamment d'optimiser leurs opérations."
Confronté à une régulation de plus en plus stricte de son activité sur certains marchés, Uber a porté plainte contre une loi californienne visant à le contraindre à requalifier les conducteurs de VTC en salariés. Plus largement, le statut d'indépendant des travailleurs des plateformes est contesté dans de nombreux pays.
La décision tombe en tout cas à un mauvais moment pour Uber France : l'intersyndicale nationale VTC appelle les chauffeurs à se déconnecter, vendredi 6 mars, de toutes les plateformes (Uber, Bolt, Kapten...) pour dénoncer leurs conditions de travail.
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