En patrouille avec la police des taxis, à la poursuite des UberPop
Mobilisés pour interpeller les chauffeurs de ce service illégal, avec des effectifs renforcés, les "Boers" constatent que les UberPop se font rares dans les rues de Paris.
"Il n'a pas de macaron, si ? - Il est seul ? - Non, il y a un passager à l'arrière. - Oui, mais attends, il est dans un réhausseur." Le verdict tombe : l'homme dans la voiture voisine, arrêtée au feu, est un conducteur lambda avec un enfant, pas un chauffeur UberPop qui transporterait son client. A peine sortis de leur commissariat, les "Boers" (prononcez "Baueurs") sont aux aguets. Ces policiers spécialisés font partie de l'unité de police en charge des transports de personnes.
Après une semaine de forte mobilisation des taxis, ils ont reçu l'ordre de se focaliser sur l'interpellation de chauffeurs du service UberPop, des non-professionnels qui exercent de façon illégale. Leurs effectifs, qui comptent 83 agents, ont également été renforcés, depuis vendredi 26 juin, par 200 fonctionnaires de police, soit la totalité des agents de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police de Paris. Mais lors de leur opération de contrôle, lundi 29 juin, les UberPop ont, semble-t-il, déserté les rues de Paris.
Des voitures UberPop qui se fondent dans le décor
Dans la première voiture, trois agents sont en patrouille. Ils ont accepté d'embarquer avec eux deux journalistes. Marion Peyron, lieutenant de police et adjointe du chef de compagnie de la police routière, nous accompagne. Mais, en temps normal, les voitures transportent plutôt un binôme : ici, Marc, agent des "Boers", et Lucie, qui travaille habituellement au groupe transport de marchandises et voyageurs. Elle fait partie des renforts arrivés vendredi. Si elle aussi est formée à repérer les véhicules en infraction, elle est encore en rodage sur la traque des chauffeurs UberPop. Elle est la plus prompte à se redresser dès qu'elle aperçoit une des berlines noires emblématiques utilisées par la marque Uber. Une fausse piste car, en réalité, les chauffeurs d'UberPop, des particuliers qui roulent dans leur propre véhicule, utilisent souvent de petites citadines qui se fondent aisément dans la circulation.
Elles sont difficiles à distinguer aux yeux du profane, mais certains signes ne trompent pas, explique Marc. Comme un passager seul à l'arrière : "Vous faites rarement ça avec vos amis". Les chauffeurs UberPop ont aussi tendance à placer leur smartphone en évidence à l'avant du véhicule, puisqu'ils sont mis en relation avec leurs clients via une application. Mais dernièrement, ils "cachent leurs smartphones et font monter leurs clients devant", explique Marc. Lui a une autre méthode : guetter "si le siège passager est avancé", signe que le chauffeur "laisse de l'espace pour des clients à l'arrière".
"Comme dans tous les contrôles routiers, on ne sait jamais sur qui on va tomber"
Les "Boers" patrouillent principalement autour des secteurs de prédilection des chauffeurs UberPop : les aéroports (25 agents travaillent en permanence à Roissy), les gares et les lieux touristiques. Après avoir commencé ses opérations autour de la gare de Lyon, notre équipage repère un véhicule suspect. Les agents se faufilent derrière lui dans les embouteillages avec leur voiture banalisée pour l'observer de plus près. Le trafic repart, le véhicule s'éloigne, les agents décident alors de l'interpeller : le lieutenant Marion Peyron sort le gyrophare et le place sur le toit, tandis que Marc, au volant, accélère pour se placer à hauteur du chauffeur et lui ordonne de se garer.
Fausse alerte. "Je suis un UberX", explique immédiatement le conducteur. De l'extérieur, la vignette qui certifie qu'il peut exercer légalement comme chauffeur de VTC (voiture de transport avec chauffeur) n'était pas bien visible. Les "Boers" ne tombent pas juste à tous les coups : vendredi, à Roissy, ils ont effectué 52 contrôles pour ne trouver qu'un UberPop. Le conducteur UberX repart, un peu agacé, avec sa cliente. Mais une autre équipe nous appelle en renforts. "En général, les interpellations se passent bien, explique le lieutenant Marion Peyron. Mais il arrive qu'on soit plus rassuré avec des collègues sur place." Notamment quand il s'agit de retenir un conducteur durant quelques heures en attendant la décision du parquet sur une éventuelle saisie de son véhicule. "C'est comme dans tous les contrôles routiers, on ne sait jamais sur qui on va tomber."
UberX ou UberPop ?
Sur place, aux abords de la gare de Lyon, la situation est confuse. Les "Boers" ont abordé un véhicule qui s'était arrêté devant eux pour charger une jeune fille. Interrogés sur l'application qu'ils utilisent, le chauffeur comme sa passagère ont répondu UberPop. Pourtant, après vérification sur leurs smartphones respectifs, le véhicule s'avère être un UberX. Les services d'Uber, tous légaux à l'exception d'UberPop, sont accessibles sur la même application, ce que la jeune passagère a du mal à comprendre : "Si je peux télécharger l'application légalement, je ne me doute pas que le service est illégal", explique-t-elle. Revenue d'un séjour au Mexique, elle n'a pas suivi la polémique. Après l'avoir entendue, un agent finit par lui trouver un taxi.
Le chauffeur est tout aussi perdu : il ne pratique que depuis trois jours, et affirme ne pas connaître la différence entre UberPop et UberX. "Quoi qu'il arrive, à chaque fois que je charge quelqu'un, je me fais contrôler", lance-t-il, dépité. Mais son vrai problème est qu'il n'est pas inscrit au registre des VTC. Il sera donc convoqué au commissariat.
Pour le capitaine Thierry Pujol, qui a intercepté le véhicule, "90 à 95% des passagers ou même des conducteurs d'UberPop sont de bonne foi", et ne savent pas que cette activité est illégale. Mais, après l'ampleur des manifestations des chauffeurs de taxi, "l'ignorance n'est plus permise", tranche le commissaire Pierre-Etienne Hourlier.
"Les clients ont compris qu'UberPop est illégal"
Il est 18h30, et après une heure et demie de patrouille, toujours aucun Uber à l'horizon : même l'application, dont les "Boers" se servent pour repérer les viviers de chauffeurs illégaux, n'indique aucun UberPop disponible autour de nous. "On est quand même gare de Lyon, l'une des plus grandes gares d'Europe. S'il n'y aucune Uber à cette heure-ci...", s'étonne le capitaine Thierry Pujol.
Pour lui, c'est le profil des chauffeurs UberPop - "monsieur tout le monde, des étudiants, des travailleurs précaires" qui veulent arrondir leurs fins de mois - qui explique ce sentiment d'un déclin du service. "Ils n'ont aucune envie de voir leur voiture immobilisée pendant six mois, ou d'avoir un casier judiciaire, tout ça pour gagner quelques centaines d'euros", analyse-t-il. L'offensive médiatique des forces de l'ordre et du gouvernement a marché, au moins temporairement. Quant aux clients, "les sujets pédagogiques dans les médias leur ont fait comprendre en quoi UberPop était illégal", avance l'agent des "Boers".
Direction gare de Bercy. Là-bas aussi, les UberPop ont disparu, et laissé la place... aux taxis : "Avant, il n'y en avait pas" autour de cette gare moins fréquentée, "mais maintenant, ils ont compris qu'ils se faisaient piquer leur boulot". Il est 19 heures, et les différentes patrouilles - jusqu'à dix véhicules déployés dans Paris ces derniers jours - égrènent leur bilan sur la radio : rien à gare du Nord, rien à Orly, rien à Roissy... Pour Thierry Pujol, ce calme plat est significatif : "Vous êtes peut-être en train de faire le premier reportage sur la mort d'UberPop, en tout cas dans les dimensions que l'on a connues."
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