Autonomie de la Corse : trois questions pour comprendre le projet constitutionnel approuvé par l'assemblée de l'île

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'Assemblée de Corse adopte le projet constitutionnel prévoyant une autonomie pour l'île, le 27 mars 2024. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)
Les élus corses ont adopté mercredi soir un projet constitutionnel prévoyant "un statut d'autonomie" de la Corse. Pour qu'il soit mis en œuvre, il faudra toutefois modifier la Constitution française, ce qui ne sera pas une mince affaire pour l'exécutif.

Une première étape franchie pour l'île. Le projet constitutionnel prévoyant "un statut d'autonomie (...) au sein de la République" a été adopté à une large majorité, mercredi 27 mars, par l'Assemblée de Corse. Les discussions sur une forme d'autonomie avaient été lancées après des semaines de violence en 2022, consécutives à l'assassinat du militant indépendantiste Yvan Colonna en prison. En septembre, Emmanuel Macron avait proposé "l'entrée de la Corse dans la Constitution française" et "une autonomie pour la Corse", qui ne soit "ni contre l'Etat ni sans l'Etat".

"C'est surtout une étape informelle, rien n'obligeait à consulter l'Assemblée de Corse, commente le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. C'est une courtoisie, mais aussi un moyen de pression puisque les parlementaires qui auront à se prononcer sur la réforme, et en particulier les sénateurs, pourront plus ou moins s'y opposer avec ce résultat du vote." Franceinfo fait le point sur ce scrutin et sur les prochaines étapes à franchir, avant une éventuelle modification de la Constitution.

Que prévoit ce texte ? 

Envié par la Guyane, l'Alsace, le Pays basque ou la Bretagne, ce texte est celui sur lequel le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et huit élus corses s'étaient entendus mi-mars à Paris. Le texte, composé de six alinéas, a été soumis au vote en trois parties, sur la notion de communauté corse, la possibilité d'un pouvoir normatif octroyé aux élus insulaires, et enfin l'idée de soumettre ce texte aux électeurs corses via une consultation populaire. "Avec ce texte, on va un peu plus loin que le régime prévu pour les départements et régions d'Outre-mer, mais on n'est pas du tout au même niveau que la Nouvelle-Calédonie qui a un statut autonomiste bien plus avancé", remarque Jean-Philippe Derosier. 

La première partie, l'alinéa 1, a été approuvée par 62 élus sur 63. Elle prévoit "la reconnaissance d'un statut d'autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre".  La troisième partie, l'alinéa 6, envisageant une validation de ce texte par une consultation populaire des électeurs corses, sans date déterminée, n'a elle aussi reçu qu'une voix contre de la part des 63 votants.

La partie sur le pouvoir législatif qui pourrait être octroyé aux élus corses, correspondant aux alinéas 2 à 5 du texte, a obtenu 49 voix pour, 13 contre et une abstention. C'est le point qui divise le plus. Il dispose que "les lois et règlements peuvent faire l'objet d'adaptations justifiées par les spécificités de ce statut [autonome]. La collectivité de Corse peut être habilitée à décider de l'adaptation de ces normes dans les matières, les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique". Enfin, un quatrième vote a acté par 62 voix pour et une contre que "le texte ainsi adopté soit transmis au Parlement".

Sur quoi se divisent les élus corses ? 

Après les débats et avant les votes, le président autonomiste du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, a décrit un "moment démocratique extrêmement puissant et fort", jugeant que cette consultation des élus insulaires était "un formidable message d'espoir", même si elle "ne tait rien de nos désaccords". Le coprésident du groupe de droite Un Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni, a expliqué pourquoi lui et une partie de son groupe ne souhaitaient pas approuver dans son intégralité ce texte, "le cœur de [sa] divergence" étant "le pouvoir législatif" envisagé.

"Vous considérez qu'il n'y a pas d'autonomie sans pouvoir législatif", a-t-il dit à Gilles Simeoni. "Vous avez pour objectif d'exercer toutes les compétences législatives, sauf le régalien", ce qui signifie "la sécurité sociale, les retraites, l'Education nationale..." a-t-il rappelé. "Moi, je ne souhaite pas que ces compétences soient gérées par l'Assemblée de Corse, je ne veux pas aller jusque-là." "Vous ne m'avez pas démontré que demain les Corses iront mieux parce qu'il y aura un pouvoir législatif. (...) Lorsque l'on écrit la loi, on n'est plus du même pays, lorsque l'on écrit nos propres lois, on n'appartient plus au même pays", a insisté son collègue Jean-Louis Seatelli, également élu Un Soffiu Novu.

La coprésidente du groupe de droite Valérie Bozzi a de son côté fait savoir qu'elle allait "voter ce texte", refusant de "prendre le risque d'être celle qui fera échouer le processus". "Donnons-nous les moyens de peser de toutes nos forces plutôt que de nous auto-exclure", a-t-elle ajouté. Chez les indépendantistes, l'unique élue du parti Nazione, Josepha Giacometti, a affirmé être "contre cette délibération", qu'elle voit comme "un verrou et non un pas décisif", estimant qu'on "s'apprête à inscrire ce qui n'est pas essentiel dans le marbre de la Constitution". Le texte, selon elle, "vient sanctuariser ce qui ne sera pas possible de faire, mais ne vient pas dire là où les possibles s'ouvrent, ce que doit faire un texte constitutionnel".

Quelles étapes reste-t-il à franchir ? 

Il s'agit désormais de modifier la Constitution. La question d'un référendum n'étant pas sur la table, reste l'option du Congrès. Or, la droite, majoritaire au Sénat, est hostile à cette réforme constitutionnelle qui, pour être validée, devra être votée à l'identique par l'Assemblée nationale et au Sénat, avant la réunion des députés et sénateurs en Congrès, où une majorité des trois cinquièmes sera requise. Comme lors des débats récents sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution, l'exécutif fait face aux réticences du président du Sénat, Gérard Larcher, et du chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau.

"Si la droite sénatoriale s'y oppose de façon frontale, oui, ce sera impossible, mais il faut voir le cheminement politique", temporise Jean-Philippe Derosier. "Je ne pariais pas sur les chances de succès de la constitutionnalisation de l'IVG", reconnaît le constitutionnaliste. Mais la pression populaire a été décisive pour faire changer d'avis les sénateurs. Il est toutefois peu probable de retrouver le même niveau de mobilisation de la société civile sur la question corse.

"Il y a une double difficulté : le verrou sénatorial, mais aussi celui du Congrès où il va falloir les trois cinquièmes. Si cela passe juste à l'Assemblée et surtout au Sénat, cela ne suffira pas", poursuit Jean-Philippe Derosier. D'autant que le camp présidentiel n'est pas totalement favorable à ce texte. "Dans la majorité, ce sera compliqué", assurait un influent député Renaissance avant le vote de l'Assemblée corse. On ne se sent pas lié à ce sujet et je suis pour ma part sceptique." Les débats promettent donc d'être longs.

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