: Reportage Festival Off d’Avignon : derniers préparatifs pour les compagnies de théâtre avant un mois intense de représentations
C'est le grand jour : la 56e édition du festival Off d'Avignon commence ce mercredi et durera tout le mois de juillet. Cette année, plus de 1570 spectacles sont attendus dans les différentes salles de la ville. A la veille des festivités, les compagnies de théâtre se sont occupées des derniers préparatifs avant la grande première.
Dans la rue Bertrand, à Avignon, les murs sont déjà recouverts d’affiches de toutes les couleurs et de toutes les formes pour le festival de théâtre qui a lieu du 7 au 30 juillet : dans un coin, Roméo et Juliette s’enlacent dans la pénombre grise. Dans un autre, Merlin l’Enchanteur caresse un petit hibou. Tout cela sous le regard droit et figé de Thierry Lhermitte… Comme d’habitude, les spectacles sont variés et les affichages sont inventifs. "Mince, ça ne tient pas !", râle un jeune bénévole, debout sur son échelle. Quelques retardataires fixent encore leurs pancartes en luttant contre le vent, qui ne cesse de les décrocher. Si la rue paraît calme, à l’intérieur du théâtre La Factory, c’est l’effervescence. Depuis ce matin, les compagnies qui occuperont la salle de spectacle pendant tout le mois de juillet enchaînent leur pièce les unes après les autres pour l’unique répétition générale. A la veille du festival, il reste peu de temps à toutes ces équipes pour se préparer aux intenses festivités.
Course contre la montre
"Pas besoin de se donner à fond aujourd’hui. Concentrez-vous surtout sur vos déplacements, sur la manière dont vous occupez l’espace". Sandrine Pirès motive son équipe avant qu'elle ne monte sur scène pour la répétition générale qui commence dans cinq minutes. Les quatre femmes qui jouent La Vierge et moi écoutent attentivement les recommandations de leur metteure en scène. "Une panne de texte ? Tant pis ! On enchaîne et on se rattrape", continue-t-elle. Les artistes de la compagnie du Gourbi Bleu viennent d’Alsace et présentent une de ses créations pour la première fois à Avignon. Elles sont arrivées il y a quelques heures et joueront pendant un mois à La Factory. "C’est une scène plus petite que celles sur lesquelles nous avons l’habitude de jouer. On va vraiment devoir adapter nos gestes et nos déplacements", explique Emilie Baba, l’une des comédiennes, juste avant de bondir dans les loges.
Créée en 2019, La Vierge est moi croise les histoires de trois femmes qui ont pris l’habitude de se retrouver au pied d’une grande statue de la Vierge, chacune pour une raison différente : se confesser, donner des rendez-vous amoureux ou pour y dormir. A cause de la crise sanitaire, la pièce a été arrêtée pendant plusieurs mois. Elle a la chance de pouvoir être jouée à Avignon cette année, grâce au soutien de la région Grand Est. Parmi les quatre comédiennes, trois ont repris le rôle à la place des anciennes, spécialement pour l’événement. Elles n’ont encore jamais joué toutes ensemble. "J’ai confiance en elles. Je sais ce qu’elles valent individuellement. Ça va le faire", confie Sandrine, la metteure en scène, le sourire aux lèvres.
Le temps est compté. L’équipe a dix minutes pour installer le décor et en aura huit à la fin du spectacle pour le démonter avant que la compagnie suivante ne s’installe. Une vraie course contre la montre. "Vous êtes bientôt à 8 min ! Attention, le soleil est de travers !", crie Agathe Boisset, l’attachée de presse, en pointant du doigt la couronne qui servira d’auréole à la Sainte Vierge. Les comédiennes enfilent rapidement leur combinaison beige ou kaki. Elles s’étirent, s'échauffent la voix pendant que les régisseurs font les derniers réglages son et lumière. "Quinze minutes de retard", souffle Sandrine, la metteure en scène, quelque peu irritée à cause des problèmes techniques qui leur ont fait perdre du temps. "Tant pis, on réduira certaines scènes. On commence, les filles !".
Faire son premier Avignon
Une heure plus tard, les comédiennes saluent la salle vide, essoufflées par cette version accélérée de la pièce. La générale s’est bien passée mais elles n’ont pas pu faire la représentation dans son intégralité, faute de temps. "Elles ont assuré. On ne dit pas qu’une générale difficile promet un super festival ?", s’amuse la metteure en scène, beaucoup plus détendue maintenant que la répétition est terminée. Même si elle a eu des opportunités dans le passé, Sandrine a décidé pour la première fois de se jeter dans le grand bain avignonnais cette année. "Je ne me sentais pas assez solide pour le faire avant. J’avais l’impression qu’il me fallait une énorme équipe pour me lancer. Mais cette fois-ci, je sentais que c’était le bon moment !", explique-t-elle. "Avignon, c’est la multiplicité des rencontres avec le public, avec les professionnels et c’est un lieu où on se nourrit de théâtre".
Une première pour la compagnie mais aussi pour trois comédiennes de l’équipe. Silène Martinez joue la statue de la Vierge dans le spectacle. Elle était déjà venue au festival en tant que bénévole mais jamais pour jouer dans une pièce. "Je suis curieuse d’éprouver un spectacle pendant un mois, c’est rare ! Comment gérer la fatigue, avoir le temps d’aller voir d’autres spectacles… C’est un vrai marathon". "Moi, je n’étais jamais venue à Avignon", ajoute Emilie, jeune actrice qui sort à peine de son école de théâtre. Elle a intégré l’équipe de La Vierge et moi, il y a quelques semaines. "On m’a tellement parlé d’Avignon que j’ai hâte de vivre ce festival de l’intérieur. En plus, on a de la chance, il va faire chaud mais notre théâtre est climatisé !", dit-elle, en riant.
"Jouer à Avignon, c'est un investissement"
Quelques rues plus loin, la compagnie L’esprit de forge s’est installée en terrasse, à l'abri du soleil, en attendant l’heure de la générale. L’ambiance est plus décontractée car ils ont déjà pu répéter leur spectacle, la veille, à l’espace Roseau Teinturiers. Agnès Renaud, metteure en scène de J’ai si peu parlé ma propre langue, commence aussi à être une habituée : elle présente pour la troisième fois l’une de ses pièces à Avignon. Elle avoue tout de même qu’à chaque fois, c’est une nouvelle aventure qui commence. "Venir présenter sa pièce à Avignon, c’est un investissement. Financier, personnel… Il faut être sûr de son coup !", explique-t-elle en sirotant son Perrier rondelle.
J’ai si peu parlé ma propre langue prend la forme d’une station de radio. Les deux présentatrices de la Radio Amicale du Soleil s'intéressent, au cours d’une émission, à la vie d’une vieille dame du nom de Carmen. Elles reviennent sur son enfance en Algérie, sa vie en tant que pied-noir dans un pays en pleine guerre d’indépendance. "Ça me tenait à cœur de présenter ce spectacle", raconte Agnès. "La quête de l’identité, le fait qu’on soit tous des êtres multiples… Je suis sûre que ça plaira aux spectateurs et aux acheteurs".
Cette année, plus de 1500 pièces sont présentées tout au long du festival. Un large choix souvent influencé par les critiques sur internet. "Mais je crois encore au bouche-à-oreille", affirme la metteure en scène, qui fait geste à son équipe que leur dernière répétition va bientôt commencer. "Les spectacles à Avignon sont de plus en plus chers, le public reste de moins en moins longtemps… C’est donc très important de tracter, d’échanger avec les personnes dans la rue et leur donner envie de voir le spectacle". Financée à hauteur de 20 000 euros par la région Hauts-de-France, la compagnie est aussi soutenue par la LICRA (la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), qui animera des conférences au cours de festival et présentera leur spectacle au public.
Pour leur dernière répétition générale, quelques journalistes ont déjà fait le déplacement. Des amis des comédiennes sont venus aussi remplir la salle et donnent l’impression que le festival a déjà commencé.
La Vierge et moi de la compagnie Le Gourbi Bleu, à La Factory (4 rue Bertrand, à Avignon). Jusqu'au 30 juillet, à 12h45. Relâche le 11, 18 et 15 juillet.
J'ai si peu parlé ma propre langue, de la compagnie L'esprit de forge, à l'espace Roseau Teinturiers (45 Rue des Teinturiers, à Avignon). Jusqu'au 30 juillet, à 16h10. Relâche le 12, 19 et 26 juillet.
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