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Londres, Orly, Nice... Pourquoi les terroristes délaissent les explosifs et les fusils d'assaut pour les couteaux et les voitures-béliers

A l'image de l'attaque qui a frappé le centre de Londres mercredi, les terroristes de l'Etat islamique suivent un mode opératoire qui nécessite peu de moyens, mais au retentissement maximal.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des policiers sécurisent les lieux de l'attaque qui a eu lieu dans le centre de Londres, mercredi 22 mars. (HANNAH MCKAY / REUTERS)

Une voiture lancée sur des piétons, un policier tué à coups de couteau... Le mode opératoire de l'attentat survenu près du Parlement de Londres, mercredi 22 mars, rappelle les attaques perpétrées ces dernières années par le groupe Etat islamique (EI) dans plusieurs pays occidentaux : camions-béliers lancés dans la foule à Nice et Berlin, prêtre égorgé en Normandie en 2016, soldats attaqués à la machette au Louvre en février...

A chaque fois, les moyens matériels et humains utilisés par les terroristes semblent très éloignés des attentats coordonnés et spectaculaires de Bruxelles en mars 2016 ou du Bataclan, à Paris, le 13 novembre 2015. Signe de l'affaiblissement du groupe terroriste ou simple pragmatisme de la part de ses membres ? Comment expliquer cette évolution ? Franceinfo fait le point.

Parce que ce type d'attaques est encouragé par l'Etat islamique 

"Si vous ne pouvez pas faire sauter une bombe ou tirer une balle, débrouillez-vous pour vous retrouver seul avec un infidèle français ou américain et fracassez-lui le crâne avec une pierre, tuez-le à coups de couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le d'une falaise, étranglez-le, empoisonnez-le", exhortait le propagandiste de l'EI, Abou Mohammed Al-Adnani, dans un message audio, en 2014. 

A l'époque, le "ministre des attentats" du groupe jihadiste, tué en 2016, appelait tous les "soldats du califat" à tuer, par n'importe quel moyen, les policiers, militaires et "simples" civils des pays de la coalition internationale, mobilisée contre l'EI en Syrie et en Irak, rappelle The Guardian (en anglais). Depuis cet appel, de nombreux attentats revendiqués par le groupe Etat islamique (Nice, Berlin, Saint-Etienne-du-Rouvray, Orlando...) ont été commis avec peu, voire pas, de moyens. 

Ce nouveau mode opératoire est aussi une façon de répondre à l'affaiblissement de l'EI sur son territoire. "Paradoxalement, plus le territoire de l’organisation Etat islamique se réduit et plus les actions terroristes s’accroissent dans nos villes", précise Jean-Paul Bonnet, ancien commissaire de police, président d'un groupe de sécurité, au Monde. En difficulté sur le plan militaire en Irak et en Syrie, le goupe jihadiste mise sur une stratégie fondée "sur la facilité, la vitesse, et la répétition presque à l’infini des actes terroristes" en Europe pour continuer de faire parler de lui.

Parce que ces objets du quotidien accroissent la terreur

Un couteau de cuisine, un camion, une voiture... Ces objets du quotidien ont été transformés en armes de terreur. "Leur utilisation est avant tout pragmatique, mais ce n'est pas forcément nouveau", explique Benjamin Oudet, doctorant à l'université de Poitiers, co-auteur de l'ouvrage Renseignement et sécurité (ed.Armand Colin) à franceinfo. 

Dans les années 1980 déjà, les combattants utilisaient des pierres dans la bande de Gaza, puis des couteaux et des attaques au camion-bélier ces derniers mois contre les civils ou militaires israéliens. "Le choix des armes est toujours un choix tactique et opérationnel en vue d’une fin politique. C'est une adaptation aux moyens utilisés par 'l'ennemi' pour les contrer, détaille Benjamin Oudet. Une réponse du faible envers le fort." 

L'utilisation de ces objets du quotidien accroît aussi la peur au sein de la population. "Il ne faut pas oublier que l'objectif des combattants du groupe Etat islamique est de créer la terreur, de contrer nos valeurs et de créer une inquiétude permanente au sein de la population", décrit Jean-Louis Bruguière, ancien juge anti-terroriste à franceinfo. Ces armes sont à la fois "des procédés redoutables et efficaces" pour semer la terreur, mais elles sont aussi "très difficiles à prévenir" pour les autorités.

Parce que cela permet d'échapper aux services de renseignement

“Plus un attentat est compliqué à réaliser, plus on va détecter en amont ses préparatifs, atteste Yves Trotignon, ex-agent de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) à "Envoyé Spécial" en janvier 2015. La tactique choisie depuis de nombreuses années (...) est donc de privilégier les opérations jihadistes d’intensité moyenne avec des équipes très autonomes, qui parfois ne se connaissent pas, et qui vont agir de façon très libre, en ayant une feuille de route très large."

En France, depuis les attentats de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, le renforcement des dispositifs de sécurité autour de lieux (gares, aéroports…) et événements (Euro de foot, défilé du 14-Juillet) particulièrement sensibles a encouragé les terroristes à utiliser des "armes" plus difficiles à repérer. "Les terroristes s’adaptent en permanence, c’est la dimension 'créative' du terrorisme", détaille Benjamin Oudet. 

Utiliser ces armes "rudimentaires", c’est "une façon de passer en dessous des moyens habituels de prévention (...) menés par la police pour prévenir les risques d'attentats, analyse Olivier Chopin, spécialiste du renseignement, sur France Culture. C'est le genre d’actions contre lequel tout système de sécurité est relativement démuni." 

Aujourd'hui, la faiblesse des services de renseignement n'est pas d'identifier les terroristes, mais leur passage à l'acte.

Benjamin Oudet, spécialiste du renseignement

à franceinfo

Résultat, les autorités misent désormais tout sur la réactivité en cas d'attaque de ce genre. Lorsque la Première ministre britannique, Theresa May, a indiqué qu'il faut apprendre à "vivre avec" ce type de menace, cela signifique que "les autorités ont intégré qu’elles ne pouvaient pas empêcher les attaques de se produire et qu'il fallait limiter au mieux le nombre de victimes en apportant une réponse efficace", explique le chercheur.

Parce que cela correspond aux terroristes du "troisième cercle" de l'EI 

"C'était une figure secondaire. (...) Il n'était pas dans le radar des services de renseignement ces temps-ci", a déclaré la Première ministre britannique, Theresa May, à propos de l'assaillant abattu par les forces de l'ordre, mercredi 22 mars à Londres. "Il y a quelques années, il a fait l'objet d'une enquête du MI5", le service de renseignement intérieur britannique en lien avec "l'extrémisme violent", a-t-elle poursuivi, ajoutant que c'était alors "un personnage périphérique" dans cette enquête.

Mohamed Lahouaiej Bouhlel à Nice, Larossi Abballa à Magnanville (Yvelines)... "Souvent, ces individus font partie du 'troisième cercle' de l'EI", poursuit Jean-Louis Bruguière. Ce ne sont pas les cadres de l'EI basé en zone irako-syrienne, ni des membres des nébuleuses installées dans la région. "Ce sont souvent des individus qui sont dans un processus de radicalisation rapide, ou qui ont été empêchés de partir faire le jihad", relève l'ancien juge anti-terroriste. Après ces attaques, "l'organisation Etat islamique se contente de revendiquer, pointe Benjamin Oudet. Et d'assurer le service après-vente."

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