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Abdel Malik Petitjean, le second terroriste de Saint-Etienne-du-Rouvray que personne n'a vu se radicaliser

Contrairement à Adel Kermouche, le second assaillant de l'église n'avait jamais montré de signe de radicalisation avant l'attaque du 26 juillet.

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Photo non-datée, diffusée par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), sur laquelle figure Abdel Malik Petitjean, identifié le 28 juillet 2016 comme étant l'un des deux terroristes auteurs de l'attaque de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) deux jours plus tôt. (CAPTURE D'ECRAN)

"Doux", "calme", "respectueux". Abdel Malik Nabil Petitjean est non seulement passé au travers des mailles des services antiterroristes français, mais ceux qui ont connu le second assaillant de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray sont tombés des nues en apprenant la nouvelle, jeudi 28 juillet.

Il aura fallu près de deux jours pour que les enquêteurs mettent enfin un nom et un visage sur celui qui, avec Adel Kermiche, a assassiné en plein office le prêtre Jacques Hamel. Le jeune homme a été défiguré par une balle lors de l'intervention de la BRI, empêchant toute identification visuelle. Mais c'est une carte d'identité, retrouvée au domicile de Kermiche qui met les enquêteurs sur sa piste. Une comparaison avec l'ADN de sa mère, domiciliée à Aix-les-Bains (Savoie), met fin aux derniers doutes et lève le voile sur le parcours et la personnalité de ce jeune homme de 19 ans seulement. Lors de la perquisition des enquêteurs, sa maman n'arrivait pas à envisager une telle perspective.

C'est un bon Français. Il est doux. Je connais mon gamin, je connais mon fils, il n'est pas impliqué du tout. Il n'est pas du tout le monstre qu'on essaye de nous faire croire.

La mère d'Abdel Malik Petitjean

à France 2

Né à Saint-Dié-des-Vosges (Vosges) le 14 novembre 1996, Abdel Malik Petitjean a grandi à Montluçon (Allier) avec ses deux sœurs, dans une famille recomposée. Selon France 2, l'ex-compagnon de sa mère l'a reconnu et l'a élevé depuis qu'il a l'âge de six mois. Il porte donc le patronyme de cet homme, Petitjean. Après un nouveau déménagement à Seynod (Haute-Savoie), rapporte Le Dauphiné, la famille s'installe à Aix-les-Bains (Savoie).

"Il ne parlait pas de Daech, il était contre Daech"

Scolarisé au lycée Marlioz de la ville, Abdel Malik passe avec succès un bac pro commerce en 2015. Une formation durant laquelle il enchaîne les stages. "C'était un garçon très gentil, très doux, très poli", se souvient la gérante d'un magasin de vêtements d'Aix-les-Bains contactée par francetv info et chez qui il a travaillé "trois ou quatre semaines". "Dépitée", la commerçante est sous le choc en le reconnaissant. Mêmes souvenirs de lui dans une grande enseigne d'équipement de sport de la banlieue d'Aix-les-Bains où le responsable confirme que son stage s'est déroulé sans difficulté notable. Là aussi, c'est l'incompréhension."Je savais qu'il était d'Aix-les-Bains, mais quand un de mes collègues m'a montré sa photo, je l'ai reconnu, explique une employée. C'est très angoissant. Rien que d'en parler, j'ai des frissons." 

C'est à la fin de ses études que le jeune homme commence à fréquenter la mosquée de la ville. Il s'y rend avec un de ses amis, rencontré par France 2. "C'est quelqu'un de bien, de respectueux. Il ne parlait pas de Daech, il était contre Daech". Un sentiment partagé par Selim Ben Mehdi, le secrétaire de l'association qui gère le lieu de culte. "Il venait y prier régulièrement depuis un an et demi", précise-t-il, ajoutant que c'est à partir de juin 2016 qu'on ne l'y a plus croisé. A cette époque, rien ne laisse présager de ce qu'il commettra le 26 juillet à Saint-Etienne-du-Rouvray.

C'était un garçon simple, calme, respectueux et qui n'élevait jamais la voix.

Selim Ben Mehdi, secrétaire de l'association musulmane d'Aix-les-Bains

France 2

C'est le président de cette association qui a reconnu le jeune homme sur la vidéo diffusée par le groupe Etat islamique et dans laquelle Petitjean et Kermiche, barbus, prêtent allégeance en arabe à l'organisation jihadiste. "C'est incroyable ! Tous les fidèles sont choqués, car ils le connaissaient pour sa gentillesse, son calme. On n'a jamais eu un signe de radicalisation. Qu'est-ce qui s'est passé dans sa tête ?" s'interroge Djamel Tazghat.

Le bac en poche, il enchaîne les boulots en intérim. De décembre 2015 à avril 2016, il travaille le week-end au service des pistes de l'aéroport de Chambéry-Savoie. Selon la direction, contactée par France 2, il décharge les bagages des avions, mais ne les charge pas. Pour occuper cet emploi, il a fait l'objet d'une enquête de gendarmerie et de la préfecture au terme de laquelle il a été accrédité. Une fois encore, il ne se fait pas remarquer. Cachait-il bien son jeu, ou n'était-il tout simplement pas encore radicalisé ? Selon Le Point, il "se déplaçait régulièrement entre la Savoie, où vit sa mère, Montluçon, où réside une autre partie de sa famille, et la Seine-Maritime, pour voir ses amis". L'enquête devra dire si c'est lors de ces visites qu'il a fait la connaissance d'Adel Kermiche.

Une photo, une identité, mais pas de correspondance

A ce moment-là, son casier judiciaire est vierge. Ce n'est qu'en juin 2016 qu'il apparaît dans les radars des services antiterroristes. Abdel Malik Petitjean est repéré en Turquie le 10 juin, cherchant sans doute à se rendre en Syrie. Lors de son arrivée dans ce pays, il était accompagné d'un autre homme, qui s'est fait refouler. Il rentre en France dès le lendemain pour des raisons encore inconnues, mais les autorités turques ne le signalent que 15 jours plus tard à la Direction générale de la sécurité intérieure. La DGSI émet le 29 juin une fiche "S", pour "biper" le jeune homme, c'est-à-dire le repérer à son retour de Turquie. Problème : les services de renseignements ignorent qu'il a déjà rebroussé chemin.

Un service étranger prévient également l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), le 22 juillet, qu'un homme, à l'identité inconnue, "serait prêt à participer à un attentat sur le territoire national", information accompagnée d'une photo dont les enquêteurs estiment à présent qu'elle ressemble fortement à Petitjean. Mais impossible à ce moment-là pour les autorités françaises de faire le lien. Le discret Abdel Malik Nabil Petitjean passe entre les mailles du filet.

Quatre jours plus tard, il se trouve à Saint-Etienne-du-Rouvray et écrit un dernier message à sa mère : "T'inquiète pas. Tout va bien, fais dodo. Je t'aime". Cette fois-ci, il ne fera pas demi-tour.

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