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"Paumé", "saoulé par la France" et déterminé à rejoindre la Syrie : qui est Adel Kermiche, l'un des tueurs de Saint-Etienne-du-Rouvray ?

Retour sur le parcours d'un des auteurs de l'attaque qui a coûté la vie au prêtre Jacques Hamel et blessé un fidèle lors d'une cérémonie religieuse dans sa ville d'origine.

Article rédigé par Simon Gourmellet - Juliette Duclos (envoyée spéciale à Saint-Etienne-du-Rouvray)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des policiers en faction dans le centre-ville de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 27 juillet, au lendemain de l'attaque terroriste dans une église de la ville et de la mort du prêtre Jacques Hamel. (JULIEN PAQUIN/SIPA)

"On savait qu'il allait commettre quelque chose de ouf, mais pas à ce point-là." Au lendemain de l'attaque contre l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), Thomas* n'a toujours pas réalisé l'horreur du geste de son ancien camarade de collège. Et il n'est pas le seul à se réveiller, mercredi 27 juillet, persuadé d'avoir toujours su qu'un jour ou l'autre Adel Kermiche allait déraper.

A 19 ans seulement, ce Franco-Algérien était déjà bien connu des services antiterroristes, notamment pour ses deux tentatives avortées de se rendre en Syrie. Le 23 mars 2015, il est arrêté à Munich (Allemagne) en possession de la carte d'identité de son frère alors qu'il tente de rejoindre Belgrade (Serbie) en bus. Il est une première fois mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Pas de quoi calmer ses rêves de Syrie. Deux mois plus tard, désormais majeur, il s'échappe à Genève (Suisse) en compagnie d'un mineur et prend un vol direction Istanbul (Turquie). Nouvel échec, il est refoulé en possession de la carte d'identité de son cousin et est renvoyé en Suisse, comme le décrit en détail La Tribune de Genève.

Radicalisation fulgurante

Lorsque sa mère l’interroge sur les raisons de ces départs, son fils n'a que cette réponse d'adolescent : "La France, ça me saoule." Une manière d'évacuer le sujet, et de taire ses relations, notamment celle avec Adel Bouaoun, un habitant de Saint-Etienne-du-Rouvray de 26 ans qu'il a rencontré devant la mosquée de la ville. Selon Le Monde, c'est lui qui l'initie à la propagande de l'organisation Etat islamique. A en devenir son mentor. "Il m'a retourné le cerveau, on s'est retourné le cerveau ensemble", explique-t-il devant les juges au moment de son premier retour en France. Le père d'Adel Bouaoun décrit, lui aussi, une radicalisation fulgurante après les événements de Charlie Hebdo. Selon la Tribune de Genève, Adel Bouaoun affirme le 31 mars sur Facebook être "arrivé sain et sauf. Les policiers me traquaient dans toute l'Europe, mais allah les a aveuglés et j'ai traversé la frontière de la Syrie en courant al hamdoullilah"**. Pour parvenir à rejoindre l'Etat islamique, le jeune homme a pu compter sur le soutien d'Adel Kermiche qui lui a prêté sa carte d'identité. En retour, ce dernier a reçu un itinéraire pour le rejoindre.

Si, dans son entourage, personne n'ignorait sa radicalisation, les proches d'Adel Kermiche se souviennent de lui avant son basculement. Un garçon comme les autres. "Il faisait des soirées de malade, il fumait du shit, il buvait, il sortait avec des meufs, il était comme nous", se souvient un autre de ses camarades de collège puis de lycée interrogé par francetv info. 

C'est après qu'il a pété un plomb. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça, il n'avait pas d'avenir ici, pas de boulot, alors il s'est fait endoctriner facilement. Il était paumé comme mec.

Un ancien camarade de classe

francetv info

Paumé, mais aussi fragile. De 6 à 13 ans, Adel Kermiche est suivi dans un centre médico-psychologique, rapporte Le Monde. "Ange ou démon ? Selon les jours… Quelquefois enfant modèle (…) le plus souvent agressif, énervé et pas en état de travailler", écrit un de ses enseignants de primaire. L'enquête de personnalité réalisée durant son incarcération, en 2015, décrit "des troubles du comportement" qui conduisent à son hospitalisation, à l'âge de 12 ans, dans un service de psychopathologie de l’adolescence, puis à l’hôpital de jour de Saint-Etienne-du-Rouvray. 

"Charlie Hebdo" comme détonateur

Son parcours scolaire s'arrête à 16 ans. Sans emploi, il passe alors la majorité de son temps sur internet, dialoguant avec plusieurs jihadistes à l'étranger, selon RTL. Une radicalisation que sa famille estime très rapide : deux mois à peine. Mais c'est la tuerie de Charlie Hebdo qui semble avoir accéléré le processus raconte sa mère, interrogée par la Tribune de Genève : "La tuerie de Charlie Hebdo a agi comme un détonateur (...) Il disait qu'on ne pouvait pas exercer sa religion tranquillement en France. Il parlait avec des mots qui ne lui appartenaient pas. Il a été ensorcelé, comme dans une secte." Et c'est en allant sur ses multiples comptes Facebook que les parents du jeune homme se rendent véritablement compte de sa radicalisation. La dispute "houleuse" qui suivra cette découverte précipitera son premier départ vers la Syrie.

Un processus de radicalisation rapide et déjà impossible à enrayer, comme le confirme le juge d'instruction Marc Trévidic, qui avait lancé un mandat d'arrêt international contre lui et l'avait mis en examen. Le magistrat se souvient très bien d'Adel Kermiche et confirme à L'Express la détermination qui animait l'apprenti jihadiste. "Il était très suffisant. Il disait : 'Libérez-moi, donnez-moi une dernière chance.' J'ai rapidement compris qu'il n'y avait pas de discussion possible."

J'avais en face de moi quelqu'un qui était déterminé à repartir.

Marc Trévidic, ancien juge antiterroriste

L'Express

Le jeune homme est alors placé en détention provisoire à Fleury-Mérogis (Essonne). Derrière les barreaux, il ne se fait pas remarquer selon un syndicaliste pénitentiaire contacté par francetv info. Mais "il semble qu'il se soit encore davantage radicalisé lors de ce séjour en prison", selon une source proche de l'enquête. Il aurait fait notamment la connaissance d'un autre jeune Français ayant passé 18 mois en Syrie, précise Le Monde

Mais devant la juge, et après 10 mois d'incarcération, il ne laisse rien transparaître. Il explique avoir du mal à vivre sa détention et regretter ses tentatives pour rejoindre la Syrie. Il déclare également avoir l'envie de "reprendre (sa) vie, de revoir (ses amis), de (se) marier". La magistrate antiterroriste décide de le libérer et de l'assigner à résidence sous surveillance électronique. Selon elle, le jeune homme "a pris conscience de ses erreurs"Le parquet fait appel pour qu'il reste en prison, inquiet de sa "réelle détermination" à partir combattre aux côtés des groupes jihadistes et estime qu'il faut "éviter toute concertation" entre Kermiche et d'autres individus actuellement en Syrie. Mais la chambre de l'instruction de la cour d'appel ne suit pas ces recommandations. Kermiche sort de prison le 18 mars et est assigné à résidence chez ses parents à Saint-Etienne-du-Rouvray, équipé d'un bracelet électronique. Il ne peut quitter son domicile qu'entre 8h30 et 12h30 en semaine, un créneau horaire durant lequel il a perpétré l'attaque contre l'église et son prêtre.

Habillé en noir ou en treillis

Pourtant, ceux qui le connaissent et qui le croisent durant ses moments de liberté savent que rien n'a changé. "Dernièrement, on l'avait revu, je pensais qu'il avait lâché l'affaire. Mais il avait quand même l'air un peu bizarre, il était en tenue militaire", se rappelle le gérant d'une sandwicherie de Saint-Etienne-du-Rouvray qu'Adel Karmiche avait l'habitude de fréquenter. Et pour ses amis Julien* et Vincent, c'était clair : "Il a fait genre devant le juge, mais il s'habillait tout en noir. On le croisait souvent Adel, mais on savait bien qu'il n'avait pas changé et qu'il était encore en contact avec l'autre Adel (Bouaoun) qui est en Syrie."

L'enquête devra dire si ces contacts ont bien été maintenus, mais les propos tenus par Adel Bouaoun sur Facebook à son arrivée en Syrie pourraient avoir inspiré Adel Kermiche. "Si j'avais été bloqué en France j’aurais commis de bons meurtres contre vous, habitants de l'enfer.**"

*Le prénom a été modifié

** Citations corrigées de leurs fautes d'orthographe

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