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RECIT FRANCETV INFO. Un homme armé, des passagers piégés, cinq héros ordinaires : le récit de l'attaque du Thalys

Que s'est-il passé entre le premier coup de feu à 17h50 et l'arrestation du suspect en gare d'Arras, vers 18h30 ? Francetv info revient sur le voyage infernal des passagers du Thalys attaqué vendredi par Ayoub El Khazzani. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz - Eléments de reportage France 2 et France 3, récit par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Un blessé gît sur le sol du train Thalys, le 21 août 2015 dans le Pas-de-Calais.  (CHRISTINA CATHERINE COONS / AFP)

L'assaut a duré une poignée de secondes. Une quarantaine, selon certains témoins. "Pas plus de quinze secondes", affirme un autre. Une éternité pour les passagers du Thalys 9364, parti d'Amsterdam en direction de Paris, vendredi 21 août, en milieu d'après-midi. Vers 17h50, Ayoub El Khazzani, un Marocain de 26 ans, lourdement armé, a tenté de faire feu sur les passagers. Avant d'être maîtrisé par des voyageurs, il parvient à blesser deux hommes, désormais hors de danger. Le drame a été évité de justesse. Comment ? Voici le récit d'actes de bravoure, d'un coup de chance et de longues minutes d'angoisse.

Dans un bagage, des armes et des munitions

Comme tous les jours de la semaine, toutes les heures, le Thalys en provenance de la capitale hollandaise fait escale à Bruxelles. Départ prévu : 17h13. Parmi les passagers qui embarquent à ce moment-là, Ayoub El Khazzani, un jeune Marocain qui réside depuis peu en Belgique. Dans un bagage, il transporte des armes et des munitions. Quand le train redémarre et file vers Paris avec 554 personnes à son bord, l'homme est installé dans la voiture 11, la dernière. Une première classe. Dans cette voiture voyagent notamment l'acteur Jean-Hugues Anglade, ses deux enfants et sa compagne.

Peu après le départ, Ayoub El Khazzani se rend dans les toilettes de la voiture voisine, la 12, et s'y s'enferme avec son sac à dos. A l'intérieur : une kalachnikov, un pistolet automatique, neuf chargeurs (soit près de 300 cartouches), une arme de poing et un cutter. Dans la promiscuité de la cabine, il prépare son fusil d'assaut.

Vers 17h50, Maty, une Parisienne installée dans la voiture 11, entend "deux claquements".

"On a d’abord cru que ça venait du train, qu’il y avait un problème technique avec le Thalys."

Maty, passagère

La Voix du Nord

Des munitions au sol, en gare d'Arras (Pas-de-Calais), où a été interpellé l'homme qui a attaqué un Thalys, vendredi 21 août 2015. (PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS)
 

Une première lutte devant la porte des toilettes 

Devant la porte, un Français de 28 ans attend que les toilettes se libèrent. Employé dans une banque aux Pays-Bas, il connaît par cœur ce trajet. Mais le bruit métallique, à l'intérieur, l'intrigue. Le verrou cliquette, la porte s'ouvre.

Devant lui, un jeune homme torse nu, kalach en bandoulière.

Le jeune banquier n'hésite pas : il se jette sur lui et tente de le désarmer. Les deux hommes luttent. Dans la bagarre, le suspect tire plusieurs coups de feu. Une balle frôle un agent de la compagnie qui court en direction de la voiture 11, pour donner l'alerte. L'homme armé parvient à se débarrasser du Français, avant de faire irruption dans la voiture 12.

Le wagon est loin d'être plein. Mais il y a notamment Christina, une New-Yorkaise de 28 ans en vacances en Europe. Un employé de la SNCF en repos et d'autres touristes ainsi que des hommes et femmes d'affaires en voyage.  

Le cauchemar de la voiture 12

Mark Moogalian, 51 ans, professeur à la Sorbonne et musicien émérite à ses heures perdues, est là aussi. Très vite, il bondit sur Ayoub El Khazzani, parvient à lui arracher sa kalachnikov et tente de fuir.

Mais l'attaquant sort une arme de poing, un Luger : un coup de feu part.

Mark est touché. La balle rentre dans son dos, au niveau lombaire, traverse le poumon et ressort au niveau de la clavicule, sous les yeux de sa compagne, Isabella. Cachée derrière un siège, elle assiste horrifiée à la scène, tandis que l'attaquant récupère sa kalachnikov.

Une balle vient exploser une vitre au fond du wagon, à quelques centimètres de la tête d'Amy, une quadragénaire américaine qui voyage avec son mari, Joe. Le verre brisé lui tombe sur les épaules. Non loin, Christina aussi a assisté à la scène, voit tomber Mark : elle se précipite sous son siège et tente de se protéger en se recroquevillant sous la tablette rétractable accrochée devant elle. 

J’avais peur. Je n’ai jamais eu peur comme ça. Terriblement peur.

Christina, touriste new-yorkaise à bord du Thalys

Le Parisien

Ayoub El Khazzani se dirige alors vers la voiture 13. Damien, un Parisien de 35 ans plongé dans un magazine, lève les yeux et aperçoit le tireur dans l'embrasure de la porte : "J’ai vu qu’il était torse nu, assez fin et sec, mais, quand il est arrivé, j’ai bloqué sur le flingue." 

Il s’est arrêté entre les deux wagons, il a tiré, ça a fait clic-clic-clic, sans faire de coups de feu comme dans les films.

Damien, passager du Thalys

Le Monde.fr

Stupéfait, il voit "le mec torse nu" retourner dans le wagon 12 et un homme au crâne rasé se jeter sur lui et le plaquer au sol. Cet homme, c'est Spencer Stone. 

L'acte de bravoure d'une poignée de voyageurs

Alek Skarlatos, Spencer Stone et Anthony Sadler sont trois potes, trois jeunes hommes costauds, âgés de 22 et 23 ans. Ils ont grandi ensemble en Californie, à Sacramento. Les deux premiers ont choisi de rejoindre l'armée. Le "First Class" Stone vit dans une base de l'armée de l'air aux Açores, tandis que le soldat Skarlatos, de la Garde nationale dans l'Oregon, revient tout juste d'Afghanistan. Entre deux missions, ils ont retrouvé leur ami étudiant, Anthony, à l'occasion d'un voyage en Europe.

Alek Skarlatos (à gauche), Spencer Stone (au centre) et Anthony Sadler, trois Américains présents à bord du Thalys attaqué vendredi 21 août 2015, apparaissent sur une photo diffusée samedi 22 août sur France 2. (FRANCE 2)

Jusqu'à ce qu'un employé du train ne les dépasse en courant dans le couloir, Alek, Spencer et Anthony ne prennent pas conscience de la gravité de la situation. Leur premier réflexe est de se mettre à l'abri. Mais ils se ravisent : "Va le choper !" déclare Alek à Spencer. Athlétique, l'Américain se jette sur Ayoub El Khazzani. "Non, tu ne feras pas ça, mon pote !" lui lance-t-il en le plaquant au sol. 

Il faut désormais l'immobiliser au plus vite. Dans la bagarre, Spencer Stone reçoit plusieurs coups de cutter. L'un d'eux le blesse au cou, un autre manque de lui sectionner le pouce, coupant le tendon. Dans le wagon, la confusion règne. Chris Norman, 62 ans, bondit de son siège. A plusieurs, ils frappent le suspect au visage, pendant qu'Alek ramasse l'une des armes. 

Je me suis dit : 'Je vais mourir, alors autant y aller.'

Chris Norman, passager britannique du Thalys

En conférence de presse, samedi 22 août

Chris, un consultant qui travaillait sur son ordinateur deux minutes plus tôt, attrape le bras droit de l'assaillant, tandis qu'un cheminot en repos, présent dans le même wagon, s'empare de son bras gauche. Inconscient, l'agresseur est au sol. Avec la cravate d'un uniforme Thalys, apportée par un employé du train, les hommes lient les poignets du suspect, puis y joignent ses chevilles, solidement attachées.

Alek se précipite dans les autres wagons pour s'assurer qu'il ne voyageait pas avec un complice, pendant que Spencer fait un garrot à la victime, qui gémit, allongée sur des sièges. Les passagers, choqués, cherchent à rassembler l'arsenal du suspect.

"Est-ce qu'il y a un médecin ?"

Pendant ce temps, l'épouse de l'homme blessé cherche de l'aide dans les voitures voisines. "Il a reçu une balle, il perd du sang ! Est-ce qu'il y a un médecin ?"

J'ai hésité à y aller car, comme il y avait une blessure par balle, il y avait peut-être un tireur. D'autres personnes sont revenues en disant que la personne avait été neutralisée, j'y suis allé. La dame était paniquée, demandant pourquoi le train continuait à rouler et pourquoi les secours n'étaient pas là. On l'a rassurée.

Laurent, un passager du Thalys

AFP

Car, dans les autres wagons, les passagers ignorent tout de la situation. La plupart n'ont pas entendu les coups de feu, juste les conversations entre les agents, retransmis par les haut-parleurs, évoquant "un problème". Dans la voiture 11, Jean-Hugues Anglade comprend que quelque chose de grave est en cours en voyant un employé de Thalys traverser la rame, blême. Avec quelques passagers, ce dernier s'enferme dans le fourgon, un espace en bout de rame qui s'ouvre avec une clé spéciale et sert à ranger des bagages, et donne l'alerte, comme c'est la procédure. Désormais coupés des autres wagons, ils restent sourds aux appels des autres voyageurs qui tentent eux aussi de se mettre à l'abri.

De l'autre côté de la porte, Jean-Hugues Anglade brise la vitre pour tirer le signal d'alarme et s'entaille le "majeur jusqu'à l'os". Les machines ralentissent, mais lui continue de tambouriner. 

Nous tapions dessus, nous criions pour que le personnel nous laisse entrer, nous hurlions 'Ouvrez !' On voulait qu'ils réagissent ! En vain... Personne ne nous a répondu.

Jean-Hugues Anglade

Paris Match

Sur les rails du côté de Oignies, près de Lens, au moment de l'assaut, le train se dirige encore lentement vers la gare d'Arras. "L’alarme stridente a retenti, cela a duré deux minutes environ. Et puis le train a roulé au ralenti avant de stopper net. On a vu des gens ensanglantés en sauter, courir, puis se tapir dans l’herbe, en boule. Ils avaient l’air très choqués", raconte un voyageur. 

A l'arrivée en gare d'Arras, vers 18 heures, les forces de l'ordre envahissent le quai. A l'issue de ce voyage infernal, Ayoub El Khazzani est arrêté. En garde à vue dans les locaux de la DGSI, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), il déclarera plus tard avoir simplement voulu "rançonner" les passagers.

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