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Attentats de Paris : "Il est sain d'avoir peur"

Depuis le 13 novembre, les Français sont en proie à diverses émotions : culpabilité, inquiétude... Est-il normal de se sentir déprimé et angoissé même si l'on n'a pas vécu directement les attentats ? La réponse d'un spécialiste.

Article rédigé par Céline Bernatowicz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des habitants rendent hommage aux victimes des attentats de Paris, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 16 novembre 2015. (MAXPPP)

Le cœur n'y est pas, la tête non plus. Depuis les attentats du vendredi 13 novembre, l'atmosphère qui règne dans l'Hexagone, et plus particulièrement à Paris, est propice aux inquiétudes. Les Français, sur le qui-vive, se partagent entre la colère, la tristesse et la culpabilité. Mais est-il légitime de broyer du noir quand on n’a pas directement été impliqué dans les attentats ?

Ils n’étaient pas présents, ils n’ont rien vu, rien entendu. Et puis ils ont allumé leurs écrans. Ils n’ont perdu aucun proche et devraient s’estimer chanceux. Pourtant, les témoignages foisonnent : "le regard dans le vide", "assommée par le choc", "en pleurs". Les réactions se ressemblent et toutes tendent vers ce même sentiment de culpabilité. Titiou Lecoq, auteure, s’est exprimée à cet égard sur son blog Girls and geeks, dans un article qu’elle intitule : "C’était pas moi". D'emblée, elle expose son problème dont, elle l'avoue, elle a un peu honte : "Oui, ça va parce que je suis en vie, pas blessée et que je n’ai perdu personne. Alors oui, ça va. Je ne vais pas me plaindre. Mais la vérité, c’est que ça ne va pas du tout.(...) Je n’ai pas été touchée directement, et pourtant j'erre comme un zombie, assommée par le choc." Elle n'est pas la seule, sa publication fait écho à de nombreux lecteurs, dont Morgane, qui "passe de l’abattement à la rage, à la peur aux pleurs, à l’indifférence, à l’insomnie… Je me sens ridicule, je culpabilise puis je me persuade que c’est normal…"

Détendez-vous, vous n’êtes pas fou

Si les Français sont parcourus par toutes sortes d'émotions, ils se montrent aussi inquiets, sur leurs gardes. Le journaliste Mathieu Charlebois, chroniqueur blogueur, s'est confié dans un long billet à lactualité.fr : "Dès la première alerte sur mon téléphone, j’ai tout fermé [chez moi]." Le temps pour Mathieu de tout remettre en question. "Je n’ai que ça depuis vendredi, des doutes. Des doutes. Partout. La terreur que voulaient insuffler les assassins de Paris, c’était justement celle-là : le doute. L’incertitude de ne pas savoir ce qui nous attend demain, ou même ce soir. L’incertitude qui mène à la peur, à la division et au rejet." D'autres développent de nouvelles angoisses, celles qui désormais font partie de leur quotidien. Nombreux sont ceux qui sursautent au moindre bruit. "Dimanche soir, j'ai fait cuire des châtaignes au four. Quand l'une d'elles a explosé, j'ai d'abord eu le réflexe de regarder dehors ce qu'il se passait avant de regarder dans mon four..." raconte Coralie au Huffington Post. 

Pour Allan Young, anthropologue canadien spécialisé dans la construction du concept de syndrome de stress post-traumatique à l'université McGill (Montréal), ces réactions sont normales. "Eviter de se rendre dans un café, scruter les gens dans le métro... C’est le comportement le plus rationnel à adopter dans une situation de cette ampleur, précise-t-il. Il est sain d'avoir peur."  

"Les Français ont les ressources nécessaires"

Mais vivre avec ces angoisses, ces changements de comportement et cette déprime ambiante, est-ce suffisant pour parler de troubles de stress post-traumatiques ? Pour Allan Young, la réponse est non. Si l’on n’a pas directement été victime ou spectateur des attentats, on ne peut pas souffrir de ce type de syndrome. "Il est vrai que, peu après les attentats du 11 septembre 2001, une étude américaine avait tenté de démontrer l'importance de la télévision et des médias dans l'apparition du symptôme de stress post-traumatique (PTSD en anglais). On parlait à l'époque de 'Distant PTSD'", explique-t-il. Mais cette théorie a été largement contestée en 2013 et ne figure pas dans la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Un constat qui ne nie pas pour autant les symptômes encourus par ces  "témoins indirects", ayant vécu l’attentat par procuration. Ces symptômes sont semblables à ceux éprouvés lors d’une dépression chronique ou à des troubles de l’anxiété. "Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont d’ordre pathologique", estime l'anthropologue canadien.

Et quand on lui demande si les Français peuvent surmonter ces signes de dépression, il reste positif : "Je pense que les Français ont les ressources nécessaires pour reprendre le cours d'une vie normale. Et la volonté de se rassembler, malgré l'état d'urgence et les risques, en est une preuve."

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