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Au procès des attentats du 13-Novembre, les gendarmes du Stade de France dévoilent leurs blessures : "J'ai eu peur de mourir, à chaque instant"

Après les enquêteurs, c'est désormais au tour des parties civiles de prendre la parole, pendant cinq semaines. Pour inaugurer cette lourde séquence, mardi, six gardes républicains ont livré sans fard le récit de leur soirée, revenant sur les traumas qui ont suivi. 

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le capitaine Jonathan, ancien membre de la Garde républicaine, témoigne au procès des attentats du 13-Novembre, devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 28 septembre 2021.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

"Ce soir-là, contrairement à la BRI, au GIGN, au Raid, qui ont eu le temps de s'équiper, on a d'abord dû absorber le choc. On a dû improviser, s'adapter et réagir", décrit Philippe, retraité de la gendarmerie. Le soir du 13-Novembre, il patrouille aux abords du Stade de France avec 12 membres de la Garde républicaine lorsqu'il est soufflé, à 21h20, par une première explosion. En moins de 40 minutes, trois kamikazes ont actionné leurs ceintures près de l'enceinte sportive. 

"D'un coup, de la fumée, beaucoup de fumée", décrit-il d'un débit rapide, fébrile sans doute, face à cette nouvelle étape du procès : après les enquêteurs, c'est désormais aux 360 rescapés et proches de victimes de venir raconter leur nuit d'horreur. Cinq semaines leur sont entièrement dédiées. Six membres du régiment de cavalerie de la Garde républicaine ont inauguré cette lourde séquence, mardi 28 septembre. Au fil de leurs dépositions, les voix de Philippe, Pierre, Renaud, Laurent, Grégory et Jonathan chavirent immanquablement. 

"Je garde en moi le bruit et l'odeur" 

Après cette première explosion, "le temps s'arrête, un silence de mort s'installe. Et puis, un cri déchirant retentit", expose Jonathan, chef d'escadron, venu témoigner en uniforme. Une victime allongée dans la poussière gémit. Un peu plus loin, il aperçoit un homme, agenouillé, les yeux ouverts. "Il a toujours ses lunettes et j'ai l'impression qu'il me regarde", dit Philippe, qui se demande alors : "Qu'est-ce que ce mannequin de vitrine fait là ?". Ce corps est celui de Manuel Dias, chauffeur d'autocar de 63 ans, venu conduire les supporters. Il est la première victime des attentats. Son épouse et sa fille, assises dans la salle, écoutent l'insoutenable récit. 

Dix minutes plus tard, le deuxième kamikaze actionne à son tour sa ceinture. L'explosion est plus proche et donc plus violente encore que la précédente. "On est projetés à terre. Je garde en moi le bruit et l'odeur, il y a des morceaux de chair un peu partout", détaille Pierre. "A partir de là, j'ai peur de mourir, à chaque instant. Je vois en chaque personne arrivant sur nous un kamikaze", se souvient Jonathan. Dans ce "moment de sidération", il entend le public du match France-Allemagne applaudir et crier de joie. 

"Je suis face à deux mondes inconciliables : la vie et la mort. La désolation est en face de moi."

Jonathan, garde républicain

devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 28 septembre 2021

Ces primo-intervenants, complètement sonnés, reçoivent rapidement l'ordre de quitter les lieux, pour laisser place aux forces de l'ordre arrivées entre-temps.

"Je suis en hypervigilance, à l'affût du moindre bruit"

Retour à la caserne. Les militaires sont dans un état second. Personne ne touche aux victuailles posées sur la table. Une jeune capitaine, le blouson recouvert de sang, s'effondre en larmes dans les bras de Jonathan. Puis chacun rentre chez soi. Renaud met une heure avant "de se débloquer" et de parler à sa femme. C'était son premier jour de reprise après son congé paternité. "Ma première fille avait cinq semaines, elle aurait pu ne jamais connaître son père". 

Le lendemain est encore plus difficile. "Ma femme me dit, le 14 au matin : 'Faut que tu parles aux petits', se souvient Philippe. Je leur ai dit : 'Posez-moi cinq questions maximum'. Mais depuis, je préfère ne pas en parler en famille". Les jours d'après, les premiers symptômes de stress post-traumatique apparaissent. "Quand j'ai l'uniforme ça va à peu près, avec les chevaux, je me sens bien. Mais à la maison, je suis en hypervigilance, à l'affût du moindre bruit", explique Renaud. Il se surprend un jour à fixer un homme de confession musulmane dans le RER. "Il ne demandait rien à personne. Mais je me suis dit : 'Si quelque chose se passe, c'est le premier sur lequel je vais sauter'."

Les blessures sont encore vives chez ces hommes en uniforme. Pour Pierre, le sort s'est acharné : il est aussi en mission sur les Champs-Elysées le 20 avril 2017, quand l'un de ses policiers, Xavier Jugelé, est abattu par un terroriste à 500 mètres de l'emplacement où il est stationné. Pour lui qui avait déjà du mal à dormir et manger, c'est le trauma de trop. Il est arrêté 45 jours et hospitalisé un mois et demi en psychiatrie.

"J'ai toujours beaucoup de problèmes quand on parle d'attentats, les images reviennent, les odeurs aussi. Quelque chose persiste".

Pierre, garde républicain

devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 28 septembre 2021

"Je voudrais parler de mes enfants, de ma femme, tout le monde a été touché par ces attentats", poursuit Pierre en pleurs. Les familles ont frôlé l'implosion. Face au surinvestissement de Renaud dans son travail, son épouse "a quasi fait ses valises". Ce dernier a finalement accepté de se faire aider. Juste après le 13 novembre 2015, la compagne de Laurent a quant à elle décidé de déménager avec leurs enfants. "Ils avaient trop peur" à Paris. Il a fini par les rejoindre quand il a pu. "J'ai pris ma retraite de gendarme, j'ai fait une reconversion", commente-t-il, évasif.

"Raconter mon histoire ici, ça fait du bien"

Fait rare dans une institution où l'omerta règne habituellement : les gendarmes sont plusieurs à dénoncer, parfois longuement, le manque de soutien de leur hiérarchie. "On a eu zéro reconnaissance", regrette Renaud, très déçu par l'attitude de certains de ses chefs. Jonathan, lui, raconte à quel point il s'est senti seul pour assurer le suivi de ces 12 militaires traumatisés. "J'étais seul devant l'inconnu, seul devant l'incompréhension de mes chefs directs."

Ainsi, lorsqu'il demande à déposer plainte, il se heurte à un net refus de ses supérieurs. Et quand il retente quelques mois plus tard, on lui répond simplement : "Pourquoi ?". Il se met en tête de trouver, seul, la porte d'entrée pour déposer plainte, aidé par l'Association française des victimes de terrorisme (AfVT), qui l'épaulera dans cette quête complexe. Pied à pied, il réussit à convaincre les 12 militaires de déposer plainte à leur tour.

Jonathan regrette aussi de n'avoir pas pu recevoir la médaille des victimes de terrorisme. "Dans les statuts, il est écrit noir sur blanc que le président peut la remettre aux militaires, mais le ministère de la Défense nous refuse de la mettre sur un uniforme. Car quand un militaire s'engage, il conçoit de mettre sa vie entière en danger", explique-t-il.

Philippe dénonce lui aussi le manque de considération à leur égard. "Au Stade de France, on a souvent été les oubliés des attentats. Et pour nous, les cavaliers, c'est même pas de l'oubli : on a l'impression qu'on n'existe pas, tranche-t-il. Alors raconter mon histoire ici, ça fait du bien".

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