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Terrorisme : les services de renseignement sont-ils à la hauteur ?

Alain Chouet, ancien responsable de la DGSE et auteur de nombreux ouvrages sur la menace terroriste, confie à francetv info son analyse sur l'état des services de renseignement après les attentats du 13 novembre.

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Estelle Walton
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Un policier devant des restaurants et des cafés visés par des attaques, trois jours après l'assaut des terroristes, le 16 novembre, à Paris. (ETIENNE LAURENT / EPA / MAXPPP)

Les attentats qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis le 13 novembre ont soulevé de nombreuses interrogations sur le rôle des services de renseignement. Pour Alain Chouet, ancien responsable de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), si certains aspects peuvent toujours être améliorés, le système antiterroriste français a fait son travail. Entretien.

Francetv info : La France a vécu les attentats les plus meurtriers sur son sol : les services de renseignement ont-ils failli à leur mission ?

Alain Chouet : Quand il y a un attentat, c'est qu'on n'a pas fait assez. Mais le problème ne vient pas obligatoirement des services de renseignement. Les auteurs des attaques avaient, pour la plupart, un passé judiciaire extrêmement chargé. Pourtant, ils n'ont jamais fait l'objet de mesure de privation de liberté ou d'un suivi spécifique.

Pourquoi ces personnes "à risque" n'étaient-elles pas mieux surveillées ? 

Parce qu'elles sont trop nombreuses. Il y a des milliers d'électrons libres comme elles. Techniquement, il est très difficile de suivre autant de personnes.

La loi renseignement votée cet été est-elle une solution pour empêcher de futurs attentats ?

Aucun service de sécurité au monde ne peut produire un filet aux mailles assez fines pour garantir qu'il ne se passera jamais rien. Les Etats-Unis subissent des attaques régulièrement, pas seulement liées au terrorisme islamiste, mais aussi les mass shootings [tueries de masse] que les mesures liberticides du Patriot Act n'ont pas réussi à empêcher.

A chaque fois qu'on a un attentat en France, on vote un train de lois nouvelles, pour rassurer. Nous avons déjà un arsenal judiciaire suffisant, je ne vois pas l'intérêt d'empiler des nouvelles mesures par-dessus. Nous avons des règles claires de suivi et d'encadrement judiciaire, alors appliquons-les ! Mais il faut intervenir plus rapidement.

Quelqu'un qui est condamné pour des faits graves doit passer par la case prison et faire l'objet d'un suivi concret pendant les années qui suivent. Et pas seulement au point de vue judiciaire, mais également social, pour qu'il puisse se réintégrer facilement dans la société.

Y a-t-il eu un problème de communication entre les différents services de renseignement ?

Il est difficile de communiquer avec un moindre effectif sur des milliers de cas de façon simultanée. Notre dispositif antiterroriste est prévu pour répondre à un style de terrorisme qui date des années 1990. A l'époque, il n'y avait qu'une centaine de cibles à traiter. Il faut réadapter notre dispositif pour ne pas être débordé.

Que pensez-vous de la nouvelle organisation de la lutte antiterroriste, repensée depuis la réforme de 2006 ?

On a désossé les renseignements généraux, dont la force majeure était un excellent maillage du territoire, pour les répartir entre des services multiples. C'est une erreur, et cela ne facilite pas la communication interne.

La gendarmerie, qui faisait un vrai travail de terrain, est devenue une police routière. Maintenant, les gendarmes ne peuvent plus fournir de renseignements : difficile d'obtenir des informations de quelqu'un à qui vous avez mis 400 euros d'amende et enlevé quatre points au permis pour infraction du Code de la route ! 

Peut-on mieux coopérer avec les pays voisins ?

Le problème n'est pas français, il est européen. Avec l'espace Schengen, on a créé un espace unique de libre circulation des personnes, mais il n'y a pas d'harmonisation de nos méthodes de renseignement au niveau européen. Certains pays restreignent la communication d'informations personnelles de leurs citoyens, pour des questions de libertés fondamentales parfaitement compréhensibles. Mais cela rend le suivi très compliqué pour les services de renseignement.

Nous n'avons même pas de système de traduction unique au niveau européen ! Chaque pays peut établir des listes de personnes à surveiller, mais si chacun choisit un système différent pour transcrire les noms en arabe ou en alphabet cyrillique, impossible de centraliser les sources. On n'arrive pas à tout savoir sur le parcours d'une personne.

Et puis, il n'y a pas que l'Europe. La Turquie, notre alliée, est la clé sur le transit de terroristes depuis et vers notre sol. Pourtant, nos relations entre services de renseignement ne sont pas assez solides, et c'est un problème dont on parle très peu. On n'a jamais demandé aux Turcs de surveiller pour nous leurs frontières avec l'Irak et la Syrie. Ils pourraient pourtant repérer et nous renvoyer les Français suspects, présents sur leur territoire, qui tentent de rejoindre la Syrie.

Un article paru dans Le Monde estime que "l'antiterrorisme serait en état de mort clinique". Partagez-vous ce constat ?

Pas du tout. Personne ne s'est demandé pourquoi il n'y a pas eu d'attentats sur notre sol entre 1995 à 2011. C'est peut-être parce que nos services de renseignement ont bien travaillé. Mais quand ça marche, il n'y a rien à dire.

On ne peut pas éviter tous les attentats. Vous n'empêcherez jamais un groupe de quelques personnes décidées à mourir de faire des dégâts autour d'elles en se suicidant. Ou alors, il faut mettre un gendarme derrière chaque citoyen. Mais en faisant ça, on joue le jeu des terroristes.

C'est exactement ce qu'ils cherchent : ils veulent creuser le fossé et l'isolement entre les communautés issues de l'immigration et leur pays d'accueil. La solution passe donc par les renseignements, bien sûr, mais aussi par l'éducation. L'apprentissage du vivre ensemble, ça commence au bac à sable.

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