Repérage des frères Clain en Syrie : "Des opérations qui durent plusieurs mois en amont", selon un ancien cadre de la DGSE
"Beryl 614" explique pour franceinfo comment les renseignements procèdent pour repérer une cible comme le jihadiste français Fabien Clain, tué mercredi.
Le jihadiste français Fabien Clain a été tué mercredi 20 février dans une frappe de la coalition internationale en Syrie, après une surveillance de quatre jours, vous révélait jeudi 21 février franceinfo. La surveillance durait en fait depuis plusieurs mois explique "Beryl 614", un ancien cadre de la DGSE qui a travaillé dans le contre-terrorisme. Maintenant, la cible prioritaire est son frère cadet, Jean-Michel Clain, grièvement blessé pendant l'attaque. "Quand un service de renseignement arrive à obtenir un prisonnier de cette valeur-là, vous avez tous les services de renseignement occidentaux qui arrivent", explique "Beryl 614" vendredi sur franceinfo. "C'est une vraie richesse ces gens-là, quand ils coopèrent".
franceinfo : Les frères Clain ont été neutralisés après plusieurs jours de surveillance. Comment on fait pour retrouver la trace de ce genre d'individus ?
"Beryl 614" : Ce sont des opérations extrêmement complexes puisqu'on n'a pas le droit à l'erreur. Si on lance un drone, il faut être sûr de la cible, il faut être sûr qu'il n'y aura pas de victimes collatérales. Donc ce sont des opérations qui durent plusieurs mois en amont. Là, on a parlé de quatre jours, mais ce sont dans les derniers instants, juste avant l'opération. C'est une conjonction de différents types de renseignement. C'est du renseignement technique : le positionnement GPS ou le positionnement des téléphones et des adresses IP... Mais ce genre de cibles fait bien attention de ne pas trop utiliser ces moyens techniques donc c'est assez compliqué. C'est souvent du renseignement humain qui nous aide, ce sont des renseignements d'interrogatoires de prisonniers qui vont nous donner une description physique de la cible en disant "il a une chemise pakistanaise, il porte un pantalon treillis". C'est ce type d'information qu'on va ensuite donner à des sources humaines qui vont aller sur place, devant un immeuble, devant une voiture et qui vont nous confirmer qu'une personne est bien là et que le renseignement initial était bon.
À quel moment se dit-on qu'on a suffisamment d'éléments pour agir ?
Quand on a suffisamment d'éléments ou qu'on est à peu près sûr, on va lancer la campagne de drones de surveillance. Et c'est avec la surveillance 24 heures sur 24 du ciel qu'on va savoir que la personne est là, c'est sûr. On saura son itinéraire, on va savoir qu'il y a des moments où on peut frapper sans toucher les civils et c'est à partir de ce moment-là, cette dernière phase finale d'observation par drones, qu'on peut donner ou non l'autorisation de tir.
Les services français ne travaillent pas seuls. Comment ça se passe ?
Sur des cibles comme ça, c'est de la coopération entre les services qui sont capables d'obtenir des renseignements suffisamment précis pour que ça marche. Donc on travaille énormément avec les Américains. Les Français, la DGSE notamment, est extrêmement précise et on apprécie de travailler avec la France parce qu'on a beaucoup de sources humaines sur place et on est efficaces. Les Britanniques également sont très bons et puis les services locaux évidemment, les Kurdes notamment. La coopération ne marche pas forcément dans d'autres thématiques mais sur le terrorisme et contre l'État islamique, il n'y a aucun problème.
Jean-Michel Clain est grièvement blessé. On imagine que les services français vont essayer de l'interroger. Comment et où ça se passe ?
Ça dépend où est-ce qu'on arrive à le récupérer. Normalement, ça se passe au plus près du lieu de récupération. Et quand un service de renseignement arrive à obtenir un prisonnier de cette valeur-là, vous avez tous les services de renseignement occidentaux qui arrivent avec leur liste de questions parce que c'est une vraie richesse ces gens-là, quand ils coopèrent. Il va y avoir plusieurs interrogatoires successifs parce que c'est extrêmement long, parce qu'au départ, bien évidemment, le terroriste, il ne coopère pas. Donc il faut vérifier ce qu'il raconte, il faut lui donner des marchés pour le pousser à coopérer et à parler. Il y en a qui ne parlent pas mais il y en a qui parlent. Et quand on a des prisonniers qui décident de coopérer librement, là on obtient des résultats formidables. Ce sont des interrogatoires qui durent plusieurs mois. Évidemment, au fur et à mesure, on exploite les renseignements au plus vite.
Qu'est-ce qu'on cherche à apprendre en priorité ?
Quels sont les camarades autour de lui, les autres cadres. Une fois qu'on a un cadre, on veut essayer d'attraper les autres cadres. Il y a quelques dizaines de cibles prioritaires pour les Français. Des listes qui ont été arrêtées, fixées. Souvent, on coopère avec les Américains pour décider d'une liste de cibles prioritaires sur lesquelles on va faire un effort. Cela demande beaucoup de moyens donc on ne peut pas non plus multiplier les cibles.
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