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A Molenbeek, dans le quartier de Salah Abdeslam, l'ennemi public n°1

Francetv info est parti sur les traces de Salah Abdeslam à Molenbeek, le quartier de Bruxelles que les médias nomment désormais le Belgistan. Reportage.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une riveraine tente de rentrer chez elle, à Molenbeek (Bruxelles), juste après l'intervention policière, lundi 16 novembre 2015. (KOCILA MAKDECHE / FRANCETV INFO)

En novembre, quelques jours après les attentats de Paris et de Saint-Denis, francetv info s'était rendu à Molenbeek, une ville dans la banlieue de Bruxelles présentée comme le berceau des terroristes du 13 novembre. Alors que Salah Abdeslam y a été arrêté lors d'une vaste opération policière, vendredi 18 mars, francetv info republie ce reportage. 

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"Konichiwa", glousse Reda* devant la caméra d'un journaliste chinois. A Molenbeek, un quartier populaire de l’ouest de Bruxelles, les médias du monde entier sont réunis pour suivre la traque de Salah Abdeslam, le terroriste présumé des attentats de Paris, devenu l'ennemi public n°1. "Mon quartier, c’est le plus connu du monde maintenant", s‘amuse l’homme de 23 ans.

Il est 14h15, lundi 16 novembre. La rue Delaunoy est peuplée d’hommes en armes, cagoulés. La spectaculaire opération de police, qui se tient depuis près de quatre heures, au numéro 47 de la rue, vient de se terminer. Les forces d’intervention belges sont passées par le toit de l’immeuble, espérant débusquer Salah Abdeslam, le cerveau présumé des attaques de Paris. Mais le suspect n’était pas dans l’appartement ciblé. "Ils l’ont pas chopé ! Franchement, il est fort, Salah", s’exclame Reda, provocateur, sous la pluie battante.

Les journalistes du monde entier suivent l'assaut de Molenbeek (Bruxelles), censé débusquer Salah Abdeslam, le 16 novembre 2015. (KOCILA MAKDECHE / FRANCETV INFO)

"Salah ? Il habite cent mètres plus loin"

Ici, beaucoup connaissent les frères Abdeslam. "Salah ? Il habite cent mètres plus loin, sur la place Communale", raconte une bande d’adolescents de la rue. Son aîné, Brahim, logeait à quelques kilomètres de là, au niveau de la station de métro Osseghem, avant de blesser une quinzaine de personnes en se faisant exploser sur la terrasse du Comptoir Voltaire à Paris.

L'appel à témoins diffusé par la police française, le 15 novembre 2015, pour retrouver Salah Abdeslam, suspecté d'avoir participé aux attentats du 13 novembre à Paris. (POLICE NATIONALE / AFP)

Selon un habitant du 49 rue Delaunoy, l’immeuble mitoyen à celui de l’assaut, c’est un simple murmure qui a mis la police sur la piste. "La nuit dernière, j’ai entendu quelqu’un parler à travers la porte. Demander si mon voisin était là, raconte-t-il. C’était peut-être Salah." Dans ce quartier aux airs de village, les rumeurs courent.

"Depuis que j’ai appris, je ne dors plus"

Etourdis par cette soudaine renommée internationale, les jeunes du quartier, que certains médias nomment désormais le Belgistan, oscillent entre provocation et déni. "Kalach, ceintures d’explosif : franchement, c’est des bonshommes, les gars de chez nous", s’enorgueillit Amir*, 16 ans, d’un ton séditieux. Son bonnet vissé sur sa tête lui cache en partie les yeux. "Moi j’y crois pas, c’est un complot tout ça, lance un de ses copains, âgé de 22 ans. Salah, je l’ai vu il y a une semaine en train de fumer du shit en bas de l’immeuble."

"Depuis que j’ai appris que les frères Abdeslam étaient derrière tout ça, je ne dors plus", confie de son côté Fouad Ben Abdelkader. A 36 ans, cet éducateur socio-culturel vit au rythme de Molenbeek. Depuis quinze ans, il œuvre auprès des jeunes et organise des manifestations culturelles pour redorer l’image de son quartier. "A cause de Salah, poursuit-il, tout le monde va dire que Molenbeek est le berceau du terrorisme."

"Les premiers exportateurs de jihadistes, c’est nous !"

Sur ce point, la réputation de Molenbeek n’était cependant déjà plus à faire. La liste des personnes passées par ses rues avant de s’embarquer dans des entreprises terroristes a de quoi donner le tournis. Et s'inscrit dans une dimension presque historique. Les assassins du commandant Massoud en Afghanistan en 2001, tout comme Hassan El Haski, l'un des concepteurs des attentats de 2004 à Madrid. Medhi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, les terroristes présumés de Verviers et l’auteur de l’attaque du Thalys, Ayoub el-Khazzani, y ont tous fait escale.

Le dernier-né de cette cuvée s’appelle Abdelhamid Abaaoud. Engagé dans les rangs des jihadistes de l’Etat islamique, le Molenbeekois serait le commanditaire des attentats de Paris, selon les renseignements français. "Les premiers exportateurs de jihadistes, c’est nous !" plaisante un jeune du quartier.

"Pour eux, c’est très facile de manipuler ces jeunes"

Les réseaux islamistes internationaux ont-ils la mainmise sur Molenbeek ? "Il y a réellement des prédicateurs qui passent ici et qui font un travail de recrutement, assure Fouad Ben Abdelkader, l'éducateur du quartier. Pour eux, c’est très facile de manipuler ces jeunes. Ils sont nés ici, ils ne connaissent rien à l’Islam."

Avant de se radicaliser, les jihadistes molenbeekois n’étaient pas vraiment connus pour leur rigorisme. Brahim et Salah Abdeslam tenaient un bar à Bruxelles réputé pour le trafic de cannabis. Quant à Abdelhamid Abaaoud, il aurait été un habitué des sorties nocturnes, selon ceux qui l’ont connu. "A l’époque, on buvait et on allait aux putes ensemble", avoue Karim*, qui l'a bien connu.

A entendre les anciens de Molenbeek, les raisons de ces dérives sont plutôt à chercher du côté du politique. "C’est le résultat de vingt ans d’abandon de la part des élus, accuse un sexagénaire du quartier. Vingt ans qu’on nous laisse nous replier sur nous-mêmes". Il est, en effet, difficile de ne pas parler de ghettoïsation, lorsque l’on marche le long du canal Bruxelles-Charleroi et que l’on passe du Haut-Molenbeek au quartier dit "des arabes". Lorsque, soudainement, les immeubles cossus et modernes laissent place à des habitations en briques vieillissantes.

"Beaucoup de frustrations"

"C’était déjà difficile pour nous. Maintenant, avec ce qu’il s’est passé, ça va l’être encore plus, regrette Hamza, dépanneur de 22 ans. Ceux qui arriveront devant un employeur avec un CV avec une adresse à Molenbeek vont vraiment avoir du mal." En 2013, le chômage avoisinait les 30%, alors qu’il ne dépassait pas les 10% à Woluwe-Saint-Pierre, une autre commune de l’agglomération bruxelloise.

 

"Pas de travail, pas d’argent, pas de copine, pas d’avenir. Tout ça crée beaucoup de frustrations, déplore Fouad Ben Abdelkader. Imaginez-vous dans une pièce avec plein de belles choses que vous désirez, mais que vous n’avez pas le droit de toucher. C’est exactement ce que ressentent les gamins du coin ! Et parfois, la fin est dramatique."

* Les prénoms ont été modifiés. 

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