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Verviers, la petite ville belge et son réseau de jihadistes

Deux suspects sont morts au cours d'un vaste coup de filet antiterroriste à Verviers. Avec seulement 56 000 habitants, la ville belge est considérée depuis plusieurs années déjà comme un foyer de radicaux. Reportage.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger - Envoyé spécial à Verviers (Belgique),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des immeubles de la rue de la Colline à Verviers (Belgique) où a eu lieu une opération antiterroriste jeudi 15 janvier qui s'est soldée par deux morts et un blessé.  (VALERIE KUYPERS / AFP)

Investie par les enquêteurs, la rue de la Colline est restée inaccessible une grande partie de la journée. Tenus à l'écart, derrière un grillage, de nombreux habitants de Verviers sont venus, vendredi 16 janvier, constater par eux-mêmes les stigmates de l'opération de la veille.

A l'occasion d'un vaste coup de filet antiterroriste dans plusieurs villes de Belgique, 15 personnes ont été interpellées, soupçonnées de préparer des attentats contre les forces de police. Mais c'est dans cette commune de 56 000 habitants, située dans l'extrême Est du pays, que l'assaut a été le plus violent. Deux terroristes présumés sont morts avec, à leurs côtés, un arsenal impressionnant : quatre kalachnikov, des armes de poing, des munitions ou encore des uniformes de police.

Une ancienne cité lainière en crise

"J'ai assisté à un assaut policier en règle", raconte Frédéric Hausmann. De sa fenêtre, le riverain était aux premières loges, jeudi, pour suivre l'intervention de la police belge. Face aux caméras des télévisions nationales et internationales, qui ont diffusé sa vidéo amateur des événements, il raconte encore et encore les "détonations" et les "rafales de mitraillettes" entendues. "Ça me fait froid dans le dos", confie-t-il au lendemain de l'opération de police. Comme lui, le voisinage est encore incrédule. "J'ai d'abord cru à des pétards, des feux d'artifice, explique Sarah, qui vit à 200 mètres de là. Puis j'ai vu les gens courir partout. Jamais je n'aurais imaginé ça dans le quartier."

Une affiche placardee en centre-ville proclame "Verviers, fiers de nos couleurs". (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

Pourtant, les signes avant-coureurs ne manquaient pas. La veille, le quotidien local L'Avenir affichait à sa une une interrogation presque prémonitoire : "Pourquoi notre région est un terreau jihadiste", se demandait le journal. "Quand on a vu les attentats commis en France, on se disait que ça pourrait arriver ici, assure une consoeur belge, représentante d'un grand média national. Tout le monde savait que des radicaux se trouvaient à Verviers."

Comme sa jumelle Roubaix (Nord), l'ancienne capitale mondiale de la laine est à la peine depuis la crise de l'industrie textile, avec un taux de chômage flirtant avec les 25% et autant de désœuvrement pour les jeunes générations, de quoi constituer un terreau fertile pour les extrémistes de tout poil, analyse le bourgmestre Marc Elsen. L'édile souligne également le profil de sa ville, façonnée par l'immigration : ici, aux confins de l'Allemagne et des Pays-Bas, une centaine de nationalités sont représentées et une importante communauté musulmane est installée.

Au moins six départs pour la Syrie

"Verviers, fiers de nos couleurs", proclame une affiche installée par la municipalité en centre-ville. De l'autre côté de la Vesdre, la rivière qui divise la commune, le quartier d'Hodimont est à l'image de ce multiculturalisme et de cette situation économique peu enviable.

Sur le pont qui sépare les deux rives de Verviers (Belgique), à l'entrée du quartier Hodimont, vendredi 17 janvier.  (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

En traversant le pont qui sépare les deux rives, on découvre un quartier qui compte parmi les plus pauvres de Wallonie. En témoignent les façades en briques des petits immeubles qui le composent, un peu plus délabrées qu'ailleurs. L'église est à deux pas des premières mosquées. Sur le même trottoir, un café turc peut côtoyer un troquet grec, une association congolaise un centre kurde. Mais à Verviers, cette concentration de pauvreté et cette juxtaposition de communautés ont fini par dégénérer en laboratoire des mouvements rebelles où se croisent - entre autres - Tchétchènes, Algériens du GIA, Kurdes du PKK ou Somaliens trafiquants de drogue, détaille Le Vif.

C'est au sein de tout ce petit monde qu'ont émergé les apprentis jihadistes ces derniers mois : selon les sources, entre six et 10 Verviétois seraient partis se battre en Syrie. Plus que d'autres, la Belgique est frappée par le phénomène : officiellement, quelque 335 ressortissants du royaume sont partis combattre ces dernières années, un nombre proportionnellement très élevé au regard de la population de 11 millions d'habitants.

A l'aube de 2014, le départ de l'un d'entre eux avait fait grand bruit, relayé par la presse nationale. Agé d'une vingtaine d'années, Redwane aurait fait croire à ses parents qu'il se rendait au Maroc, chez de la famille, mais aurait pris la direction des terrains de guerre. "Ceux qui vous disent qu'ils ne le connaissent pas, ce sont des menteurs, explique un habitant. Nous sommes une petite ville, ici tout le monde se connaît, tout le monde le connaissait." Pourtant, peu acceptent d'en parler ouvertement. "Ces jeunes-là sont des victimes, victimes d'un lavage de cerveau", estime Mohamed Bouchlaghem, l'un des responsables de la mosquée Assahaba. "Apprendre que Redwane était parti, ça m'a fait mal au cœur, c'était comme un fils pour moi", finit-il par lâcher, avant de s'engouffrer dans l'édifice où les fidèles affluent pour la prière du vendredi.

La peur des amalgames

"Ceux qui sont partis font de la propagande sur Facebook, dénonce Franck Hensch, imam de la mosquée Assahaba. Les jeunes me ramènent parfois leurs messages, nous on se charge de déconstruire ce discours. Ces jihadistes n'interprètent même pas le Coran, ils s'inventent des choses." Dans la lignée de ce Belge de 36 ans, converti, de nombreux fidèles tiennent à afficher leurs distances avec les combattants. "Ils nous inspirent un dégoût profond", affirme ainsi Sofiane, 20 ans. Beaucoup craignent les amalgames, comme le boucher halal voisin. "Après ce qu'il s'est passé, mon fils m'a dit 'papa, faut pas aller travailler', il avait peur pour moi, raconte le commerçant. Moi j'ai peur pour eux."

L'entrée de la mosquée Assahaba de Verviers (Belgique).  (MATHIEU DEHLINGER / FRANCETV INFO)

Les autorités sont depuis longtemps sur le qui-vive, avec la présence d'"une ou deux mosquées suspectes" à Verviers selon le bourgmestre. Est souvent évoqué le cas de la mosquée somalienne, dont l'imam, adepte des "prêches extrémistes", a été mis à la porte l'été dernier, explique RTL Belgique.

Malgré son départ, les journalistes n'y sont toujours pas les bienvenus. Sur la façade du petit immeuble, seuls un croissant et une étoile verts, ainsi qu'une discrète boite aux lettres, signalent les occupants des lieux. Devant la mosquée, un premier homme abaisse la vitre de sa voiture pour nous apostropher : "Franchement, c'est honteux ce que vous faites." Puis, un second, adossé à l'entrée de l'immeuble d'en face. "Vous êtes journalistes ?", interroge-t-il, avant de se faire plus menaçant. "Restez bien loin de moi, je vous préviens." La police locale se veut tout de même rassurante et affirme être en contact avec le nouvel imam : la mosquée somalienne "n'est pas le coffre-fort sur la place", martèle-t-on.

Entre indifférence et impuissance

Dans le centre-ville de Verviers, à quelques centaines de mètres de là, les préoccupations semblent bien éloignées. Cet après-midi-là, dans l'une des principales rues commerçantes de la commune, les nombreux passants n'ont rien changé à leurs habitudes. Ils vaquent à leurs occupations dans l'artère piétonne et bétonnée, sans trop se préoccuper des événements de la veille. "En vivant dans une ville plutôt défavorisée, on a d'autres soucis que le départ ou le retour de quelques jeunes de Syrie", témoigne Ghislain, sapeur-pompier de 60 ans. "On ne sait pas quoi penser alors on ne pense rien, résume Suzie, une ancienne militaire de 59 ans. C'est un peu comme si on avait reçu une picouse, comme si on était anesthésiés."

L'indifférence, face à l'impuissance affichée par les autorités. "Que voulez-vous que je fasse, interroge Marc Elsen, pressé par les journalistes. Que je prenne un décret contre le radicalisme ?" Malgré tout, le bourgmestre invite ses concitoyens à surtout ne pas céder à la panique.

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