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13-Novembre : que disent les messages laissés dans les registres ouverts après les attentats ?

Plus de 1 300 petits mots ont été écrits dans les registres de la mairie du 11e arrondissement de Paris dans les semaines qui ont suivi les attaques terroristes. Franceinfo a pu les consulter.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les registres du 13 novembre de la mairie du 11e arrondissement de Paris, le 28 octobre 2016. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Le soir du 13 novembre 2015, la mairie du 11e arrondissement a été ouverte toute la nuit. Habitants du quartier, survivants des attaques... De nombreuses personnes sont venues s'y réfugier. Au petit matin, par tradition, un premier registre – un simple cahier à spirales – a été déposé sur le parvis de l'édifice. Trois autres, sous forme d'album, ont suivi. Pendant trois mois, les passants y ont déposé leur témoignage. Les trois quarts de ces messages ont été écrits dans les trois semaines suivant les attentats.

Hélène Frouard, chercheuse à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), a étudié les 1 325 petits mots inscrits dans les quatre registres afin de comprendre à quoi ont servi ces objets. "Qui a dit quoi, et comment ? Que peut-on comprendre à travers leur contenu ?" interroge-t-elle, pour résumer son travail. Franceinfo a consulté ces registres. Tous les noms des auteurs des témoignages, lorsqu'ils sont mentionnés, ont été modifiés.

Un très fort impact local

Les registres de condoléances du 13 novembre de la mairie du 11e arrondissement de Paris, photographiés le 28 octobre 2016. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

"Après le 13-Novembre, on a parlé des attentats au niveau national, comme d'un 'nous tous', dépeint Hélène Frouard. Mais les registres montrent bien que l'impact local est très très fort." Le 11e arrondissement de Paris, "en tant que village", a été touché. De nombreux messages proviennent de personnes signant "habitant(e) du 11e". Les auteurs précisent depuis combien de temps ils vivent dans et font référence à ses particularités.

D'ailleurs, la plupart des messages dans lesquels les personnes précisent qu'elles habitent le 11e arrondissement ne présentent pas de condoléances. "Souvent, les condoléances sont des formules utilisées lorsqu'on s'adresse à quelqu'un d'autre, et non pas quand on est soi-même au cœur de l'événement", précise la chercheuse. "Les habitants du 11e se sont sentis comme des victimes indirectes des attaques."

• "Notre arrondissement, le faubourg Saint-Antoine, qui a fait la révolution française ne baissera jamais les bras, jamais."

• "J’ai habité rue Faidherbe. Je suis allée me recueillir au Sushi, 92, Charonne. Comme tout le monde, je suis bouleversée. Le 11e est l’arrondissement de ma jeunesse. Paix pour Paris, la France et le monde entier."

• "Pourquoi deux carnages en 2015 dans notre 11e arrondissement ? C’est parce qu’il fait bon y vivre et les terroristes ne le supportent pas."  Hervé, 68 ans, habitant de la rue Popincourt.

• "Difficile de trouver les mots tellement votre disparition est soudaine et si irréelle. Sortir un vendredi soir dans notre 11e si tranquille et ne pas rentrer. Toutes mes pensées pour vous, jeunes bobos parisiens (comme moi !), toutes mes pensées à vos ptits bouts d'choux, vos conjoints, vos familles, vos amis. (...) Levons la tête et soyons fiers d’être Français, de profiter de notre liberté et de continuer à vivre tels que nous sommes." Lucie

Des messages en 16 langues 

Extrait des registres de condoléances du 13-Novembre, photographié le 28 octobre. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Serbo-croate, japonais, népalais, tamoul... "On recense près de 16 langues différentes dans les registres", précise . "Certains sont probablement écrits par des Parisiens nés dans un autre pays et utilisant leur langue maternelle, mais d'autres viennent de touristes." Leur usage montre la volonté de prouver une solidarité venant du monde entier.

La vie toujours ! They Shall not Prevail. You’ll Always be in our Hearts and we’ll Keep your Memory Alive.

anonyme

("La Vie toujours ! Ils ne vaincront pas. Vous serez toujours dans nos cœurs, et nous perpétuerons votre mémoire.")

Des reprises de poèmes et de citations

Extrait des registres de condoléances du 13-Novembre, photographié le 28 octobre. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

"Le 11e arrondissement est très spécifique. 60% des habitants possèdent un diplôme de l'enseignement supérieur, et 20% n'ont aucun diplôme", dépeint la chercheuse. Pour une partie d'entre eux, le français n'est d'ailleurs pas la langue maternelle, "les registres sont bien représentatifs de ces écarts entre les habitants. Il y a des poèmes et citations savantes (René Char ou Sénèque), mais aussi des messages écrits en phonétique." 

Une personne a même rédigé une chanson entière intitulée Pas mourir pour vivre l'amour qu'elle a envoyée à la mairie. Un autre a écrit un poème entier, intitulé Bataclan dans l'un des registres.

"La vie, ce n’est pas d’attendre l’orage passer, c’est d’apprendre à danser sous la pluie." Sénèque. "Aujourd’hui, dansons encore plus."

"Et même le ciel gris semble réciter du Baudelaire pour alourdir notre peine indicible."

• "Il faut enterrer les morts et réparer les vivants." Tchekhov. "Mais la vie va reprendre."

 "Nous voulons rester un pays où 'les amoureux se bécotent sur les bancs publics'."

 "Et par le pouvoir d’un mot, je recommence ma vie. Je suis né pour te connaître, pour te nommer. Liberté." Paul Eluard

De l'inquiétude de la part des musulmans

Parmi le millier de messages inscrits dans les registres, certains sont signés de personnes se déclarant musulmanes. "Les registres sont un moyen de parler publiquement aux autres. Le message était clair : l'islamisme n'a rien à voir avec l'islam", explique Hélène Frouard.

• "Je suis un ancien militaire musulman et je pleure avec vous aujourd’hui. Cette haine, je vais la transformer en force. N’oubliez jamais que la France est multiculturelle et ne confondez pas les ennemis d’Etat avec ces gens qui vous soutienne. Je vous aime."

• "Pour tous ceux qui sont morts ou ont été blessés. Je ne trouve pas juste ce qu'ils ont fait mais Dieu sera avec vous. Au nom d'Allah."

• "Je suis kabyle sans religion, mais de culture musulmane. Un bon musulman ne prêche que l’amour et la paix. Vive la France et à bas l’islamisme."

Pas au nom d’Allah

une musulmane choquée

• "Quiconque tuerait un être humain a tué toute l’humanité. En tant que musulman, c’est avec le cœur lourd que je prends la parole aujourd’hui. D’un côté, j’ai perdu 2 de mes voisines que j’aime et respecte beaucoup. D’un autre côté, en marchant dans Paris avec mon voile, je suis accusée et dévisagée par certaines personnes. Alors je m’adresse aux musulmans de Paris, soyons solidaires avec les familles des victimes et ayez de l’empathie. Surtout, n’ayez ni peur, ni honte."

L'aspect familial, évoqué par les femmes

Lorsque les femmes n'ont pas eu de proche directement touché, ce sont les seules à avoir évoqué le côté familial. "Ce sont les mères, les grands-mères qui ont eu une pensée pour les enfants, la famille", analyse la chercheuse. "Cela ne veut pas dire que les hommes n'y ont pas pensé, mais la façon de s'exprimer, de réagir; de mettre en avant un sujet, dépend beaucoup du sexe. C'est quelque chose qu'on a intégré."

• "Une maman qui aurait pu avoir l’un de ses fils parmi les victimes. Je comprends votre douleur. Je souhaite aux victimes encore hospitalisées d’aller vers la vie. Je vous aime." Florence

• "En tant que maman de jeunes enfants, j’ai peur pour eux, j’ai peur pour nous tous ! Tous ceux qui croient aux valeurs de liberté, tolérance, valeurs communes !"

•  "On est tous très choqués par les événements qui ont frappé notre cher arrondissement ainsi que le 10e et le Stade de France. On ne se laissera jamais faire par les terroristes. Il faut qu’on soit tous unis. Néanmoins je ne cache pas mon inquiétude par rapport aux crèches et aux écoles car j’ai deux petits enfants. J’espère que des dispositifs de sécurité seront mis en place dans les crèches et les écoles."

Les enfants ont plus écrit qu'ils n'ont dessiné

Extrait des registres de condoléances du 13-Novembre, photographié le 28 octobre. (ELISE LAMBERT/FRANCEINFO)

Même très jeunes, et ne maîtrisant pas encore bien l'écriture, les enfants ont beaucoup écrit. Plus qu'ils n'ont dessiné. "Le plus jeune signataire déclaré a 7 ans. Encore dans l'apprentissage de l'écriture, il s'est pourtant appliqué à écrire", décrit Hélène Frouard. "Pour tout le monde, les registres ont été considérés comme des objets très importants. L'écriture, même lorsque mal ou peu maîtrisée, n'a été un frein pour personne."

"C'est pas bien. C'est nul ce qui vous est arrivé. Je suis très triste." Xavier, 7 ans.

"Je trouve ça injuste de faire ça et de tuer des innocents. Ça fait de la peine." MB

"Ceux qui ont tué les gens sont très, très, très, très méchants."

 "Je pense à tous les morts et j'ai de la peine. Faisons un monde d'amour." Hugo, 10 ans.

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